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Metz, le coffre-fort du Luxembourg
Alors que les grandes fortunes de notre pays savent que mettre quelques plaques dans les banques du Grand-Duché n’est pas une mauvaise idée, les Luxembourgeois préfèrent planquer leurs pépites de notre côté de la frontière. Un accord tacite que les deux parties – la sélection luxembourgeoise et le FC Metz – savent faire fructifier pour s’enrichir mutuellement.
Chaque jour de la semaine, des dizaines de milliers de travailleurs français empruntent l’A31 ou montent dans des TER pour traverser la frontière en direction du Luxembourg. Et pourtant, quelques-uns bravent ce trafic à contre-courant pour faire les 65 kilomètres qui séparent le Grand-Duché et l’île Saint-Symphorien. Ceux-là sont footballeurs, de nationalité luxembourgeoise et portent un maillot grenat. Aujourd’hui, ils sont trois à présenter ce profil dans le groupe pro du FC Metz : le défenseur Vahid Selimovic (qui n’a pas encore choisi entre les sélections du Luxembourg, de la Bosnie ou de la Serbie), le milieu polyvalent Chris Philipps et le petit prodige Vincent Thill. Mais ils ne sont que les derniers représentants de la délégation luxembourgeoise infiltrée chez le voisin messin. Depuis l’après-guerre, quatorze Luxembourgeois sont passés par l’équipe première du club à la Croix de Lorraine, de Gusty Kemp à Miralem Pjanić. Le Grand-Duché lui a même fourni son meilleur buteur : Nico Braun et ses 107 buts en 193 matchs entre 1973 et 1979. « Un attaquant fabuleux, avec une personnalité incroyable. Son passage dans les années 70 correspond à l’une des plus belles périodes sportives du FC Metz » , rappelle Philippe Gaillot, actuel directeur général adjoint messin en charge du sportif. Incarnant au mieux cette relation particulière entre Metz et le Luxembourg, Nico Braun explique celle-ci par une évidente proximité géographique. « C’est le club professionnel le plus proche, donc il y a un côté pratique pour nous les Luxembourgeois d’y aller, explique l’ambassadeur du Luxembourg au FC Metz et du FC Metz au Luxembourg. C’est une première étape idéale dans la carrière d’un joueur luxembourgeois qui veut devenir professionnel, d’autant plus quand le club évolue en Ligue 1. »
Lux Links
Mais ce n’est pas parce qu’on est voisins qu’on est obligés de bien s’entendre. Sochaux ne prélève pas autant de joueurs dans les coffres suisses, par exemple. « On a de très bonnes relations avec la fédé et avec les clubs luxembourgeois, qui sont généralement bien structurés. Dès que des joueurs sont en mesure de nous rejoindre, on essaye de leur donner leur chance. On l’a toujours fait » , affirme Philippe Gaillot. Dans les textes, aucune convention n’officialise cette relation, alors que Metz sait en faire avec d’autres régions du monde, que cela soit en Belgique avec le club satellite du RFC Seraing, au Sénégal avec l’académie Génération Foot, en Chine et Corée du Sud avec le programme MIFA, ou encore en Argentine à travers son partenariat avec River Plate. Non, l’histoire d’amour avec le Luxembourg n’a pas besoin de contrat de mariage pour être vécue avec intensité. Au point de susciter une crise de jalousie chez Nico Braun, lorsqu’il ne voit aucun de ses compatriotes dans le groupe messin. Au point, aussi, de prôner la préférence nationale : « Je pense que cela devrait presque être une obligation pour le FC Metz, à partir du moment où la qualité d’un joueur luxembourgeois équivaut à celle des autres joueurs de l’effectif. »
Dernièrement, le filet messin a tout de même laissé s’échapper quelques beaux poissons, comme Florian Bohnert à Schalke 04, alors que Christopher Martins ou plus récemment Ryan Johansson (seize ans) sont un temps passés par Metz avant d’être snobé et de rejoindre respectivement Lyon et le Bayern Munich. Une défaillance dans le système de détection qui ressemble plus à une exception qu’à une règle, tant les dirigeants du club savent l’importance de rester le hub du football luxembourgeois et de profiter de son vivier. Pour Philippe Gaillot, « la richesse du Luxembourg, c’est d’être composé de plusieurs communautés. En plus des Luxembourgeois d’origine, il y a des garçons qui sont originaires du Portugal, d’Italie, d’ex-Yougoslavie. C’est comme ça qu’on a pu avoir des talents comme Miralem Pjanić, dont le père venait de Bosnie, et que l’on forme aujourd’hui Vahid Selimović, Emir Bijelić ou encore Belmin Muratović. » Un exode qui apporte toute son identité footballistique au projet grenat.
Passion évasion
Nico Braun évoque des raisons plus profondes qui ont amené à construire ce pont historique entre la Moselle et l’Alzette : « Le Luxembourg et la région messine se ressemblent beaucoup d’un point de vue culturel. Dès qu’on va un peu plus loin en France, en Belgique ou en Allemagne, on sent que la mentalité diffère. Sans être méchant, c’est comme si le FC Metz était un peu le club local luxembourgeois. » Une French Connexion qui ressemble à un substitut salvateur pour des Luxembourgeois privés de championnat professionnel sur leurs terres. Car le FC Metz est un des clubs les plus populaires du pays. « Nous avons une certaine fierté quand un de nos compatriotes réussit dans un club étranger et nous suivons les clubs dans lesquels ils évoluent, confirme Nico Braun. On l’a bien vu quand Jeff Strasser a rejoint la Bundesliga en 1999 : automatiquement une petite centaine de supporters luxembourgeois sont allés voir les matchs de Kaiserslautern au lieu de ceux du FC Metz. » En plus de joueurs, le Luxembourg est donc pourvoyeur de supporters pour les Grenats et donc mécaniquement de sponsors, comme le brasseur Bofferding.
Sur le plan sportif, l’intérêt est forcément réciproque. Les Graoullys luxembourgeois ne sont pas étrangers aux progrès affichés par les Roud Léiwen. « Cela fait évidemment partie des points de notre accord, confirme Philippe Gaillot. Il n’y a qu’à voir Chris Philipps qui amène toute son expérience du haut niveau et le savoir-faire de la formation française à sa sélection. Les joueurs qui ont joué pro chez nous ont toujours été des éléments majeurs de leur équipe nationale. » Les matchs amicaux ou les prêts de joueurs sont encore autant d’initiatives qui contribuent à l’évolution d’un championnat local qui commence doucement à prendre de l’épaisseur et d’une sélection qui arrive désormais à échapper aux déculottées qui lui étaient promises à chaque sortie il y a quelques années. Si les Bleus tombent dans un traquenard ce samedi au stade Josy-Barthel, les Messins pourront réclamer leur part de l’exploit. Mais qu’ils ne s’enflamment pas : cela ne comptera pas dans la course au maintien.
Par Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par MR