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- FC Metz 1997-1998
- Partie 2/2
Metz 1997-1998 : « Tu fais pratiquement une saison parfaite et tout s’écroule »
On vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Un temps où Lens et Metz se disputaient un bout de gras auquel ils n'ont plus droit aujourd'hui. Mais si les Sang et Or ont été au bout de leur rêve, celui des Grenats s'est envolé pour cinq petits buts. À tout jamais ? Neuf des joueurs du club à la Croix de Lorraine racontent « l'échec » le plus beau et le plus savoureux de leur carrière.
Le casting :
Philippe Gaillot : arrière capital (31m., 3b.), actuel directeur général adjoint du FC Metz.Sylvain Kastendeuch : capitaine rigueur (34m., 1b.), actuel co-président de l’UNFP.Lionel Letizi : gardien du temple (34m.), actuel formateur à l’OGC Nice.Sylvain Marchal : aspirant défenseur (0m.), actuel entraîneur des U17 du FC Metz.Frédéric Meyrieu : milieu électrique (32m., 5b.), actuel conseiller municipal au Revest-les-Eaux et formateur au Racing Club de Toulon.Robert Pirès : idole des jeunes (31m., 11b.), champion du monde et consultant sur M6.Grégory Proment : jeune pousse (15m.), actuel entraîneur de la réserve du FC Metz. Cyril Serredszum : passe-plats (14m., 1b.), actuel responsable du recrutement du FC Metz.Geoffray Toyes : piston de rechange (15m., 1b.), aujourd’hui consultant en immobilier.
Si vous avez loupé la première partie, c’est par ici10. La mécanique de Carlo Molinari
Serredszum : Blanchard était sollicité par la Juventus. Mais il a décidé de rester à Metz pour finir la saison et tenir ses engagements. Pour moi, c’est certainement un tournant, parce qu’on était bien tous ensemble. C’était un homme et un joueur bien, donc il a poursuivi l’aventure qui pouvait être très très intéressante. Et tout le monde l’a fait, et ça a permis quand même au club d’imaginer se qualifier pour la Ligue des champions.
Proment : Forcément, si Jocelyn était parti, on aurait mis Cyril Serredszum ou moi, et à ce moment-là, Jocelyn était plus fort que nous deux. Ça aurait été un peu préjudiciable pour l’équipe. Mais quand Blanchard a dit à Carlo qu’il honorait sa promesse, c’était aussi pour lui rendre quelque chose qu’il lui avait donné.
Serredszum : Joce avait été ravi d’être accueilli par un club de première division pour montrer ses qualités quand il est arrivé de Dunkerque.
Proment : Carlo, c’est quelqu’un d’extraordinaire. Quand il dit quelque chose, il le fait. Donc pas besoin de papiers, pas de simagrées. On avait tellement de bons contacts avec Carlo que quelque part, c’était impossible pour Jocelyn de partir. Mais si ça avait été un autre président, malsain, peut-être que Jocelyn aurait demandé à partir.
Pirès : Carlo, c’est un homme de parole. Je ne sais pas ce qu’il a dit à Joce, mais tu sais qu’il a respecté sa parole. En tout cas, c’est ce qu’il s’est passé avec moi aussi. Au début de l’année 1998, il a vu que j’allais être sollicité et il m’a dit : « Si on a une très bonne proposition pour toi, je te laisse partir. » J’étais libre dans mon esprit et c’est aussi peut-être pour ça que je ne me suis pas pris la tête quand j’étais sur le terrain. Je savais pertinemment que si je continuais comme ça, j’allais rejoindre un grand club français. Et c’est ce qu’il s’est passé, puisque que j’ai rejoint l’Olympique de Marseille en fin de saison.
Gaillot : Le président Molinari, c’est l’âme du club. L’état d’esprit qui règne dans le vestiaire et autour des joueurs, la bienveillance qui règne, c’est dû à Carlo Molinari. Il a un vrai amour pour ses joueurs et ses staffs, en plus d’une énorme expérience.
Proment : Pour nous joueurs, Carlo c’était un père, ou un grand-père pour moi. Il a toujours fait en sorte que ses joueurs soient le mieux possible : il y a des joueurs avec qui ça ne passait pas, mais ces joueurs-là, ils avaient soit craché sur le FC Metz, soit sur les valeurs de la Lorraine. Mais à partir du moment où on est correct, cette personne-là est prête à tout donner.
Kastendeuch : Carlo était très présent aux entraînements, il aimait tellement ça. C’était un président très présent au quotidien, il était au courant de tout. C’était très important parce que ça lui permettait d’éteindre les feux très vite, toujours avec les bonnes réactions. Il n’y a rien de pire qu’un président qui rassure quand il faut gueuler et gueule quand il faut rassurer.
Pirès : Il ne voulait pas nous mettre la pression. Quand on perdait, il venait toujours nous voir à la fin pour nous serrer la main. C’est intéressant de voir un président faire ça. On a vu aussi qu’il faisait des efforts pour aller chercher des joueurs, les payer, donc sur le terrain, il fallait qu’on lui rende la monnaie de sa pièce.
Serredszum : On le voyait souvent et on voyait sa passion, qu’il était fier de ce qu’on faisait. Donc ça nous a donné encore plus d’envie de rester à ce niveau-là.
Kastendeuch : On l’appréciait, parce qu’on sentait qu’il nous aimait, et on avait un devoir de rendre l’investissement qu’il mettait et la confiance qu’il nous accordait. Il y avait un échange affectif et affectueux. Et ça ne l’empêchait pas de gueuler quand il fallait, de recadrer, mais toujours avec ce respect et cet amour du foot et des joueurs.
Toyes : Carlo, c’était le sourire, le petit bonhomme qui ne paye pas de mine, mais qui, quand il avait quelque chose à dire, le disait, avec du caractère. Gentil, mais il savait se faire entendre et gueuler quand il fallait gueuler.
Le monopole du coeur.
11. Le bon roi Rigobert et une couronne à prendre
Gaillot : Toutes les équipes de tête, on a été capables de toutes les battre. On n’avait aucune crainte face aux grosses écuries du championnat, malgré leurs stars. Ça, c’est rare comme sentiment quand on est dans un club comme le nôtre.
Serredszum : Les spécialistes savaient bien que Metz était une équipe solide et qu’elle pouvait se frotter aux meilleurs, surtout quand ces meilleurs-là ne sont pas à leur summum. Et la preuve, nous, on n’a pas été champions, mais ce n’est pas un cador qui l’a été, c’était Lens, une autre équipe surprise.
Pirès : En tant que petit club, on ne considérait pas avoir de concurrent direct. On est là, sans faire de vague, personne ne pense qu’on peut aller jusqu’au bout. Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux… Pourtant, Bordeaux, on leur a mis une petite leçon.
Meyrieu : Je me souviens surtout du match contre Nantes (J32, 17 avril 1998, 3-2). Je m’étais luxé la clavicule contre Guingamp, mais je voulais quand même jouer, au point de faire une infiltration pour être opérationnel. Et sur un corner, le ballon me revient, Landreau pense que je vais centrer et je la mets direct sous la barre. Quand je vois mes coéquipiers qui arrivent tous sur moi pour me sauter dessus, je leur dis : « Arrêtez, arrêtez ! » Ils n’ont rien arrêté du tout. Ce sont des comportements qui prouvaient aussi que le vivre-ensemble était important.
Serredszum : Il y a eu ce match contre Marseille, 3-2 à Saint-Symphorien (J28, 6 mars 1998), avec le but de Rigo Song. À partir de là, on savait très bien qu’on n’avait personne à craindre et qu’on devait jouer tous les matchs en pensant que tout pouvait nous arriver, même le meilleur, et qu’il ne fallait pas douter de ça.
Meyrieu : Le but de Rigobert Song contre l’OM résume un peu la saison : de la folie dans le jeu, de la prise de risque, de la justesse, du mental…
Toyes : Tu te dis qu’en marquant des buts comme ça, que si chacun met sa pierre à l’édifice comme ça avec des buts incroyables, rien ne pouvait nous arriver ! (Rires.)
Proment : Quand on voit le but que Rigobert marque, je ne pense pas qu’il en a remarqué un comme ça, et je ne pense pas que quelqu’un aurait prédit qu’il marquerait comme ça.
Song, le tube de l’année.
Marchal : Cette aile de pigeon de Rigobert Song contre Marseille, je m’en souviendrai toute ma vie. Je me souviens aussi de son match contre Monaco (J21, 18 décembre 1997) : il avait pris la soupe au match aller contre David Trezeguet et, au retour, il l’a brisé en deux.
Proment : Avant le match, dans la petite camionnette qui nous amenait au stade, Fred et d’autres commencent à dire à Rigo : « Putain, t’as vu ce qu’il a dit Trezeguet dans le journal ? » Rigo répond que non, et les autres lui ont dit : « Ouais, il a dit :« Rigobert Song, connais pas, c’est qui Rigobert Song ? » » Et l’autre, quand il est arrivé aux vestiaires, la première chose qu’il a faite, c’est prendre ses chaussures, changer les crampons et les monter. Les mecs, ils voulaient gagner à tout prix, et là, Rigo a été touché dans son orgueil en se disant : « Même mes potes me disent ça ? Et bah je vais leur montrer à tous comment ça va se passer. » C’était extraordinaire.
12. Stade Saint-Symphorien : ambiance dingue, avec vue sur l’autoroute
Serredszum : Ces matchs-là, contre Marseille notamment, sont de grands souvenirs. Le public était déchaîné. Le public était aux anges, il y avait une équipe qui marchait bien, du spectacle, du suspense, avec des matchs de qualité, des adversaires qui faisaient aussi rêver, parce qu’on était au tout début de l’arrêt Bosman, donc il y avait encore de grands joueurs.
Proment : Le stade Saint-Symphorien, quand il y a du monde, je ne peux pas croire une personne qui dit qu’elle n’a aucune émotion. Déjà d’une, la pelouse est belle, le stade en lui-même est atypique, il fait partie des anciens stades avec une jolie architecture.
Toyes : C’était blindé à chaque fois. Et quand tu te baladais à Metz, les gens étaient heureux. On était en osmose avec le public.
Meyrieu : Je connaissais Saint-Symphorien pour y avoir joué avec mes anciens clubs, mais cette année, c’était la folie. C’était plein à craquer. On a découvert un public exceptionnel qui venait de toute la région, du Luxembourg, d’Allemagne…
Proment : Ce public-là, c’est… Franchement, c’est du rêve. Et en plus, je n’exagère même pas. Quand ça va bien, c’est extraordinaire et quand ça ne va pas, c’est extraordinaire aussi parce qu’ils te le mettent dans la gueule. Ce ne sont pas des spectateurs qui applaudissent quand tu marques et qui te disent que ce n’est pas grave quand tu perds. Il y a des valeurs, tu les respectes. Et parfois, les gens te disent « Eh oh, tu vas commencer à te bouger le cul ! » : ça, j’aime bien. Ce public-là, il est franc.
Pirès : J’adorais jouer à Saint-Symphorien. Cette atmosphère, ce public aussi passionné qu’exigeant, c’était extraordinaire. Il y avait ce match contre Paris (J4, 22 août 1997, 2-1), où Saint-Symphorien, il était…. Boouuuuh ! (Il pose le curseur avec sa main, NDLR.) Quand tu t’appelles Metz et que tu reçois le PSG, c’est toujours un événement. Et en plus on les bat : le petit est en train de battre le grand. Inconsciemment, tu es extrêmement fier de ce que tu as fait.
En temps normal, à Metz, les écharpes c’est autour du cou…
Serredszum : Ceci dit, les Premières (l’actuelle Tribune ouest, côté A31, NDLR) étaient fermées parce qu’elles étaient en travaux. C’est certainement dommageable. Mais après, voilà, on s’est bien adaptés, le public aussi. C’était un peu bizarre d’attaquer ce but-là, mais bon, on s’y faisait, et je ne pense pas que ça ait eu une incidence sur le reste de la saison.
Pirès : En revanche, on laisse aussi en cours de route des points qui, je pense, nous coûtent le titre.
Meyrieu : Il y a des matchs où on se contente juste de gagner, mais sans se faire mal. On marquait et on fermait la boutique avant de procéder en contres. Et ça nous coûtait des points.
Pirès : Je pense à un nul contre Cannes (J23, 20 janvier 1998, 1-1), lanterne rouge du championnat. Tu sais que les concurrents directs ne te feront pas de cadeau, et un nul à Cannes, c’est prendre un risque par rapport au titre.
Meyrieu : Celui-là… les occasions qu’on a… Je me suis fait la remarque en disant : « Putain, j’espère qu’on ne va pas les regretter ces points perdus. »
13. Le drame contre Lens : Martel, Meyrieu, mortel
Marchal : En avant-match, il y a eu une histoire entre les présidents Molinari et Martel, autour d’une suspension de Fred Meyrieu.
Meyrieu : Gervais Martel a été très malin. Je devais être suspendu pour ce match, mais j’avais reçu un carton qui ne m’était pas attribué. On avait fait appel auprès du comité olympique, et finalement, j’aurais dû jouer ce match-là. Gervais appelle Carlo Molinari en lui disant : « Tu comprends, pour l’éthique du football, il faudrait que Fred Meyrieu ne joue pas. » Le président est venu me voir, m’a demandé mon avis. Mais lui pour l’éthique, il m’a dit que je ne jouerais pas. Carlo Molinari a été classe, comme à son habitude, mais Martel savait très bien qu’il pouvait jouer sur la corde sensible. Et c’est comme ça que j’ai suivi ce match depuis les tribunes.
Proment : C’est de bonne guerre parce que Fred était important pour nous.
Pirès : Nous, on était surpris de cette décision prise par la direction. Fred avait un rôle hyper important dans le jeu. Avec ce caractère dur, quand ça ne va pas, il est capable de remonter tout le monde. Et là, on ne l’avait plus au moment le plus important de la saison, la finale avant l’heure. Le seul match où on n’est pas prêts, c’est celui-ci. Et si on a Fred Meyrieu avec nous, ce n’est pas pareil.
Marchal : Moi, j’étais dans les tribunes et quand on a vu les compos, j’ai senti dans le public une sorte d’étonnement. Il n’y avait pas Internet sur les portables à cette époque, donc c’était l’incompréhension. On a fini par le savoir après.
Toyes : Mais est-ce que jouer avec Fred aurait changé quelque chose ? On n’en sait rien. Même sans Fred, on pouvait le gagner.
Meyrieu : Je ne dis pas que ça aurait changé la physionomie du match, mais me connaissant, jouant contre mon ancien club… J’aurais répondu présent.
Proment : On a peut-être été un petit peu trop sûrs de nous, je ne sais pas.
Letizi : Je fais une erreur sur le deuxième but d’Anto Drobnjak. Pour moi, ça arrivait dans une période pas évidente parce que quatre jours plus tôt j’en fais déjà une avec l’équipe de France contre la Russie. Je n’étais pas dans les meilleures conditions. Sans ces deux buts « casquettes » , je pense que mon année 1998 est différente. (Il ne sera pas retenu dans les 22 d’Aimé Jacquet, NDLR.) Après, si on me juge sur ma saison, il n’y a pas photo entre Charbonnier et moi. Ce qui entrait en compte, c’est qu’il avait un peu plus d’expérience.
Gaillot : Je pense qu’on était globalement au-dessus de Lens, mais ce jour-là, on fait certainement notre plus mauvais match de la saison. C’est un match raté.
Serredszum : Mais il faut aussi dire que Lens avait une belle équipe, et sur ce match-là, c’est eux qui l’ont emporté et c’est ce qui a fait la différence dans la dernière ligne droite. On rate le coche sur ce match, sur deux ou trois autres matchs où on a échoué, mais il ne faut pas oublier aussi que sur la série du début du championnat, on a aussi fait des matchs plus difficiles où on a eu de la réussite.
P’tit Louis, fromage frais.
Toyes : A posteriori, tu te dis que tu aurais pu prendre un point de plus ici ou là, mais d’un autre côté, il y a des matchs qu’on ne doit pas gagner. Donc ça s’équilibre sur une saison.
Serredszum : Mais on a continué à y croire. Il ne restait plus beaucoup de matchs, mais on a enchaîné les victoires. Et eux aussi pouvaient chuter. Finalement, Metz et Lens font un sans-faute jusqu’à la dernière journée.
Classement de D1 à la veille de la dernière journée (Source : LFP)
14. Dernière journée : fausses rumeurs, but de Lachor, « on fait la belle ? »
Serredszum : Au soir de la dernière journée (5 mai 1998), on pouvait encore espérer les coiffer, parce qu’ils ne jouaient pas un match sans enjeux. Ils allaient à Auxerre qui était obligé de gagner pour se qualifier pour la Coupe d’Europe. Et on connaissait quand même la valeur d’Auxerre à cette époque-là. Donc tout était encore possible.
Letizi : Avant ce match, il y avait 300 personnes à l’entraînement. Un truc de fou ! On s’entraînait à l’époque sur la Plaine des Jeux, juste derrière Saint-Symphorien, et on se changeait dans les vestiaires du stade. Et à chaque fois, il fallait compter 20 minutes pour les rejoindre parce qu’il fallait signer les autographes à tout le monde. C’était l’euphorie. Vivre ça, en tant que joueur, c’est extraordinaire. Nous, on était sûrs de le gagner, ce match contre Lyon. Quand tu es dans ce genre de dynamique, tu es sur un nuage, tu voles. On espère juste que Lens va perdre.
Metz que un club.
Gaillot : Auxerre jouait sa qualif, Guy Roux était leur coach, donc on leur faisait confiance pour gagner et nous permettre d’être champions.
Pirès : Nous, on joue contre Lyon, et ce match, on l’aborde comme tous les autres. Et on sait que pour ne pas avoir de regrets, il faut gagner, c’est tout.
Gaillot : Pendant le match, Lionel et moi, on discute avec l’arbitre et il nous dit : « Je crois qu’Auxerre gagne. » On voit des supporters qui confirment. Et on a joué comme ça en pensant que c’était bon pour nous.
Letizi : À la mi-temps, on est virtuellement champions (Metz mène, alors que Lens perd, NDLR). Mais comme on ne pouvait pas agir sur l’autre match, on savait ce qu’il restait à faire : continuer et rester concentrés pour ne pas avoir de regrets.
Meyrieu : Dans la tribune, on entendait qu’Auxerre gagnait. On surveillait aussi les réactions de Patrick Razurel (le directeur administratif, calé sur le banc entre Molinari et Muller avec la radio à l’oreille, NDLR). Sur le terrain, on se passait le mot et on pensait qu’on était champions. Ça nous a poussés à ne rien lâcher.
Letizi : Le public avait un œil sur le match et l’oreille collée au transistor. Je m’étais efforcé de mon côté de rester concentré sur mon match, mais à un moment, on entend une clameur. On ne sait pas si c’est parce qu’Auxerre a marqué un deuxième but ou si Lens a égalisé.
Proment : Il y a en effet une info qui passe dans la tribune. Il n’y avait pas Internet sur les portables à cette époque. Tout le monde croit à ce moment-là qu’on est bien.
Pirès : Finalement, on fait ce qu’il faut, avec une victoire 1-0, mais le match à Auxerre n’était pas terminé. (Il y a en effet un décalage de dix minutes à cause de la blessure de Lionel Charbonnier et le remplacement par Fabien Cool, NDLR). On file tous aux vestiaires, et Joël Muller met la radio.
Serredszum : On écoute le truc et on se dit que s’il y avait un but d’Auxerre, on était champions. Et ça a duré une ou deux minutes dans le vestiaire, c’était quand même bizarre d’attendre.
Gaillot : Finalement, ça reste à 1-1. Pendant une heure (de 20h13 à 21h13), on était champions, et l’égalisation de Lens nous a enlevé ça.
Meyrieu : Sur un but de Lachor qui n’a jamais marqué de sa vie…
Toyes : Un latéral gauche qui marque sur corner… C’est improbable. Mais c’est comme ça, c’est le football aussi. Ça aurait pu tourner pour nous, ça a tourné pour eux.
‘Tululutititutu ! Et but à l’Abbé-Deschamps ! »
Pirès : Un des pires moments de ma carrière. Tu fais pratiquement une saison parfaite et tout s’écroule.
Kastendeuch : Le moment de latence a été horrible. Le souvenir que j’ai, c’est que sur le coup, pas mal des coéquipiers n’ont pas reconnu la victoire de Lens et ont été en rage.
Pirès : Pendant un court instant, on s’est dit qu’on allait proposer à Lens de faire la belle, parce qu’on avait le même nombre de points. Mais bon, il y a un règlement.
Kastendeuch : Je me suis consolé en me disant qu’on le méritait moins qu’eux puisqu’ils étaient venus gagner le match contre nous, au sommet du championnat, chez nous qui plus est. Donc voilà, c’était pour eux une juste récompense.
Classement de D1 à l’issue de la 34e journée (Source : LFP)
15. Le sacre du deuxième : abattement, Carlo au volant et rues renommées
Gaillot : Dans les vestiaires, il y a de la frustration. On est secoués par le dénouement. Cinq buts… C’est quoi cinq buts ? C’est extrêmement violent. On est assis, il n’y a pas un mot.
Pirès : À ce moment-là, je sais que je viens de disputer mon dernier match avec Metz. (Le deal avec l’OM était déjà passé, NDLR.) J’aurais adoré pouvoir écrire sur mon palmarès, « champion de France avec Metz » . Ça aurait été exceptionnel et c’est ça qui est dur.
Pour le meilleur et le Pirès.
Meyrieu : Robert, à la fin de la saison, on l’appelait Rob’ Louis. Pourquoi d’après vous ? Comme Robert Louis-Dreyfus puisqu’on savait qu’il allait à l’OM ! (Rires.) Encore aujourd’hui, quand je l’ai au téléphone, c’est Rob’ Louis.
Toyes : On est à deux doigts, ou même à un, ou même à un ongle de finir champions. Quand tu es compétiteur, tu ne peux pas te consoler : quand tu as fait les trois quarts de la saison en premier, il faut la finir. Quand tu joues une finale, pareil, c’est pour la gagner : j’en ai joué quatre, j’en ai perdu quatre. Je suis peut-être un peu chat noir, je n’en sais rien ! Il y avait vraiment un goût amer, un goût d’inachevé. Parce que quand même, mettre « champion de France » sur un CV, c’est quelque chose. Et là, non, on n’a pas été jusqu’au bout.
Proment : Moi, à dix-huit ans, pour une première saison, ça se passe bien, et quelque part, je me dis qu’on a fait quelque chose de grand et que le titre, on l’aura un jour. Je me disais que des titres, j’aurais l’occasion d’en rejouer, mais finalement, ça ne s’est plus jamais représenté. Mais les plus vieux, ils ont dû se dire qu’ils avaient raté quelque chose.
Gaillot : Dans le vestiaire, on commence à entendre un bruit sourd, le public qui tape sur la tribune qui était juste au-dessus. Ça résonnait. Alors je ne sais plus si c’est un journaliste, un intendant ou un autre, mais on nous fait savoir que dehors, on nous appelle et qu’il fallait qu’on y aille.
Serredszum : On retourne sur le terrain en laissant notre frustration au vestiaire. Là, on s’est lâchés, parce qu’on a pris conscience, aussi grâce à la ferveur des supporters, qu’on avait fait quelque chose de grand.
Gaillot : Quand on approche du tunnel, les sentiments changent de côté. On se rend compte que les gens sont hystériques, qu’ils nous acclament, heureux de ce que nous avons fait.
Une question : qui a récupéré le slip de Fred ?
Proment : C’est inespéré quelque part. Pour les gens, on l’a eu le titre, c’est la même chose. Parce qu’on est là, on est un petit budget de D1 et puis on arrive là à faire des choses extras et avec les gens, une communion magnifique.
Pirès : Il y a ce supporter, je me souviens très bien de lui, qui me demande mes chaussures. Je lui ai dit : « Je suis désolé, mais j’en ai besoin pour la sélection et la Coupe du monde ! » C’était mes pompes, quoi ! (Rires.)
Gaillot : On est passés de la déprime à l’euphorie. Je ne les remercierai jamais assez de nous avoir rappelés et de nous avoir permis de bien vivre ce moment-là. Grâce à ça, je n’ai jamais eu vraiment d’amertume sur ce titre manqué.
Serredszum : Ensuite, on a défilé dans les rues sur un bus à plate-forme. J’ai le souvenir de monter dans le bus et de voir le président Molinari au volant. Mais est-ce c’est lui qui a roulé tout du long ? Je ne suis pas sûr.
Kastendeuch : Oui, c’était Carlo Molinari au volant. Et il a dû faire très très attention parce qu’il y avait tellement de monde dans les rues que pour faire passer le véhicule, ça n’a pas été simple.
C’est pas Sorcier.. C’est pas Sorcier… Facile à dire !
Proment : Il n’y a pas 50 000 présidents qui feraient des trucs comme ça, c’est dingue. Carlo, il disait qu’il avait mis une heure pour arriver jusqu’à la mairie tellement c’était impossible de passer, tellement c’était blindé dans les rues. Maintenant, avec la Covid, il y aurait gros cluster.
Meyrieu : Quand on a fêté cette première place ex-aequo, il y avait plus d’ambiance dans la ville que pour fêter le titre de champion du monde quelques semaines plus tard.
Pirès : Tout avait été prévu et organisé par le club, sur le principe que, quoi qu’il arrive, on allait faire une parade pour remercier le public messin. On l’a fait, et vis-à-vis des supporters, c’était important.
Kastendeuch : On est arrivés place d’Armes, à la mairie, devant la cathédrale. C’était inédit, une foule de cette ampleur-là, même si en 1984 et 1988 (les deux Coupes de France remportées par le FC Metz, NDLR), il y avait déjà eu de belles fêtes populaires. Mais là, de mémoire, c’était la première fois qu’on apparaissait sur le balcon de la mairie.
Proment : Et les gens ne te lâchaient pas, ne lâchaient rien : ils rappelaient Meyrieu, Pirès à la fenêtre… C’était magique.
Kastendeuch : C’était exceptionnel pour la ville de Metz. Le maire, Jean-Marie Rausch, que j’ai côtoyé plus tard en tant qu’adjoint aux Sports, n’était pas féru de foot, il suivait ça de très loin. Mais là, il s’était laissé emporter par l’engouement et avait même accepté que les rues soient renommées au nom des joueurs temporairement.
Toyes : J’ai gardé la petite plaque qu’on nous avait offerte, elle est chez mes parents. Un bel honneur.
Proment : Mes parents étaient venus de Paris pour voir ça. Ils ont cherché partout dans Metz pour trouver la rue. Et ils ont réussi à la trouver ! Moi, c’était forcément une petite rue, j’avais 19 ans, je ne pouvais pas prendre une grande rue. Kastendeuch, Pirès, ce sont eux qui avaient les grosses rues. Mais peu importe : j’ai gardé la plaque, elle est là, à dix mètres de moi. « Rue Grégory Proment ». Et je ne veux surtout pas la perdre.
Big bisous.
16. La suite : vacances de son côté, départs à gogo et Finlandais déchaînés
Serredszum : À la fin de la saison, malheureusement, il y a eu la fête après le truc, et après on est partis en vacances, chacun est parti récupérer dans son coin. Et évidemment, après, comme il y avait déjà eu des sollicitations, que ce soit à l’été ou à l’hiver, certains sont partis, et malheureusement, il a fallu reconstruire. Moi, je suis parti à la fin de cette saison-là.
Pirès : Je quitte un club qui m’a tout donné, un club qui m’a fait confiance pendant six ans. Quand j’ai pris la décision d’aller à l’OM, les gens me disaient : « Mais non, Robert, ne va pas là-bas, c’est un club de fous, ils vont te manger ! » Ils voulaient que je reste. Je savais qu’une page de ma carrière venait de se tourner. Quand le championnat se termine, Aimé Jacquet décide de me sélectionner pour la Coupe du monde. Et au moment de partir, Carlo m’attrape et me dit : « Si tu es champion du monde, je veux qu’il soit écrit à côté de ton nom FC Metz »… alors que j’étais techniquement joueur de l’OM ! C’était la seule chose qu’il voulait.
Serredszum : Forcément, le départ de Robert, de Jocelyn, de Rigo, ça a été difficile, mais c’était la logique d’une équipe qui avait progressé ensemble et qui devait malheureusement refaire un autre cycle ou changer des choses.
Meyrieu : On espérait pouvoir tenir le coup la saison suivante, il restait quand même de bons joueurs. Le problème, c’est que le recrutement est moyen.
Proment : Comme on n’a pas un budget énorme, c’était infaisable de trouver un mec pas cher du calibre de Pirès. Le mec était en équipe de France… Pour prendre un mec comme ça, il aurait fallu mettre beaucoup plus.
Gaillot : On n’a pas réussi à remplacer les joueurs qui sont partis, on a dû reconstruire un groupe. Surtout que le début de la saison suivante démarre très mal : on a quatre ou cinq blessés, ce qui fait qu’on attaque les qualifications pour la Ligue des champions avec une équipe très jeune. Si on avait joué ce tour contre Helsinki avec l’équipe des mois précédents, on était devant.
Meyrieu : Ces préliminaires, ça arrive très vite. On se retrouve à Helsinki à jouer l’après-midi, avec peu de monde dans le stade, on a l’impression que c’est un match amical. On se fait éliminer bêtement…
Toyes : C’est un match qu’on ne doit jamais perdre : est-ce que mentalement, on n’était pas prêts ? Est-ce qu’on n’était pas encore sur la saison passée ? Et on a perdu des joueurs aussi, mais on aurait dû se qualifier quand même, sans problème.
Kastendeuch : La première claque, c’est d’être éliminé par les Finlandais. Ça a été une cassure pour la confiance et, à juste titre, tout le monde nous est tombé dessus. Il y a tout de suite eu des insinuations ou des comptes demandés à Carlo Molinari sur les transferts, et on est entrés dans une période beaucoup moins plaisante.
Proment : Malheureusement, oui, Helsinki, on a déconné. Mais c’est sûr que la C1, j’aurais pu la faire et je ne l’ai jamais faite. Mon plus gros regret, il est là : on nous avait donné quelque chose dans les mains et on ne l’a pas pris.
Serredszum : Entre le titre qui échappe de cinq buts et la non-qualification aux phases de groupes de C1, ça fait beaucoup.
Gaillot : Derrière, on se fait sortir de la Coupe de l’UEFA aux tirs au but par l’Étoile rouge de Belgrade… On rentre dans le rang, et il faut arriver à digérer ce retour à un quotidien moins facile. À partir de là, on a connu une chute progressive jusqu’en National. Après 1998, on a une ou deux saisons correctes, puis on décroche. La relégation en 2002, après 55 ans de D1, c’est un choc. Bon, depuis la saison en National, c’est le contraire, on arrive à remonter et se stabiliser.
17. Épilogue : on r’met ça ?
Serredszum : À l’époque, il y avait quand même des gros clubs : il y a eu l’OM de Tapie, le PSG de Canal+, Monaco, Nantes ou Auxerre dans une moindre mesure. Certes, ce n’était pas comme maintenant avec le Bayern en Allemagne : tout le monde était en capacité de se disputer le titre, et c’était aussi assez plaisant pour le public de voir qu’un club moyen, pas un petit, pouvait s’inviter.
Kastendeuch : Il n’y avait que quelques clubs qui savaient bien former, Metz en faisait partie et il y a eu une bonne génération qui était arrivée en même temps. Aujourd’hui, tous les clubs forment, et tout le monde est au même niveau à ce niveau-là. Et après, le haut du panier est réservé aux gros budgets, donc là, ça devient compliqué.
Gaillot : Le fait que Lens et Metz se disputent le titre l’année où la France devient championne du monde, ce n’est pas anodin. Récemment, on a vu Montpellier troubler l’ordre établi, mais aujourd’hui, ça paraît plus compliqué. Pour ça, il faudrait qu’un outsider arrive à garder plusieurs saisons un groupe de qualité, sans voir les meilleurs éléments partir directement.
Serredszum : Le fait qu’on puisse garder un grand joueur comme Robert quatre ou cinq saisons était exceptionnel. Maintenant, quand vous avez des joueurs exceptionnels, comme peut l’être Pape Matar Sarr ou comme l’a été Pjanić, ils ont fait une demi-saison ou une saison et ils partent parce qu’on en a besoin pour pérenniser le club. C’est quand même plus difficile pour avoir de la continuité et lutter sur les premières places…
Gaillot : Le contexte n’est plus le même. C’est difficile d’imaginer Metz capable de rivaliser à nouveau pour le titre. Ce n’est pas crédible. Mais si on m’avait dit il y a quatre ans qu’on serait dans le premier tiers du championnat, je n’y aurais pas forcément cru. Dans le foot, il y a toujours de belles surprises qui peuvent arriver.
Proment : Je me dis que le football, c’est cyclique, et que revenir en Coupe d’Europe, c’est faisable. J’ai un souhait : si on peut, il faut le prendre. Cette équipe est capable de faire beaucoup de bonnes choses, des choses sur lesquelles on ne l’attend pas.
Pirès : Je suis toujours les matchs du FC Metz. Voir Lens et Metz à ce niveau-là, ça fait du bien. Et ça rappelle les bons moments de la saison 1997-1998. C’est ça qui est magique. Ça prouve que ça bosse, qu’il y a de la qualité à la formation. Le président Serin a pris le relais, et il faut souligner son travail.
Marchal : La saison qu’on vit cette année à Metz est vachement différente, parce que les acteurs sont privés de toute cette ambiance, cette effervescence. Par la force des choses, il n’y a personne au stade, les restos sont fermés, il n’y a personne dans les rues… C’est presque dommage que ce renouveau intervienne cette saison. Ça faisait 20 ans qu’on courait après une saison aussi aboutie.
Pour relire la première partie, c’est par ici
Lettres du front.
Propos recueillis par Valentin Lutz et Mathieu Rollinger
Photos : Iconsport.