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Messi, un homme en colère
Pour lui, pas de doute : les dés étaient pipés. Frustré par son neuvième échec lors d'une compétition majeure avec sa sélection, Lionel Messi a mis les pieds dans le plat, ce week-end, accusant les arbitres et la CONMEBOL d'être à la botte du Brésil, pays organisateur et vainqueur de la Copa América. Une ligne plutôt osée, tant la Pulga et l'Argentine ont ramé dans ce tournoi, achevé à une troisième place en forme de trompe-l'œil.
Les mots sont forts, très forts. Sans doute un peu trop, puisqu’ils remettent en cause – de manière infondée, jusqu’à preuve du contraire – l’intégrité de la Copa América 2019 et de la CONMEBOL, son organisatrice. Après l’élimination de l’Argentine en demi-finales du tournoi face à son pays-hôte brésilien (2-0), mardi dernier, Lionel Messi avait déjà flingué les hommes en noir, pointant ce qui ressemblait pour lui de près à un arbitrage maison. Mais quand est venue l’heure de justifier sa décision de ne pas aller chercher sa médaille de bronze après le succès argentin sur le Chili (2-1), samedi, au terme d’une petite finale au cours de laquelle il avait été exclu assez sévèrement pour avoir dansé collé-serré avec Gary Medel, le capitaine de l’Albiceleste a de nouveau choisi d’éloigner le débat du terrain pour verser pour de bon dans le complotisme. « Nous n’avons pas à faire partie de cette corruption, a-t-il alors estimé. Tout est fait pour que le Brésil gagne. On nous a totalement manqué de respect. Les arbitres ne nous ont pas laissé accéder à la finale. »
Profil bas de rigueur
Un parti discutable, et qui pourrait coûter à la Pulga jusqu’à deux ans de suspension, si l’on se réfère aux textes de la confédération sud-américaine de football. Mais avant les conséquences se posent les questions du fond et de la forme : à 32 ans, dont près de la moitié à couper aux obligations médiatiques, n’aurait-il pas été plus sage d’opter pour une certaine réserve ? Il n’a pas été nécessaire d’attendre 2019 et Leo Messi – ni même 2018 et Thibaut Courtois – pour savoir que les sportifs de haut niveau naissent inégaux dans leur manière d’appréhender la défaite. Mais dans le cas de l’Argentin, cette frustration manifeste interpelle : sur quoi peut-elle légitimement reposer ? Sur la déception sportive, une de plus, ou sur le sentiment d’injustice ? À l’écouter après la demie – « Au-delà du résultat, nous avons montré que nous étions à la hauteur de l’événement. Ils n’ont pas été meilleurs que nous dans le jeu » –, il semblerait que le Barcelonais ait opté pour la seconde option. Et pourtant.
Si l’Argentine a donné du fil à retordre à la Seleção et s’est bien montrée à la hauteur de ce match, difficile de ne pas reconnaître la supériorité brésilienne ce jour-là comme sur l’ensemble du tournoi. Difficile, aussi, de considérer que l’Albiceleste, certes troisième, s’est totalement montrée à la hauteur d’une compétition où elle a tremblé dès la phase de groupes, s’est inclinée deux fois en six matchs, et ne s’est imposée « que » face au Qatar, invité par les organisateurs, au Venezuela, seule nation de la CONMEBOL à n’avoir jamais disputé de Coupe du monde et le Chili, absent du dernier Mondial. Messi n’échappe pas à ce bilan mitigé : sur les sept buts inscrits par son équipe, le gaucher n’en a planté qu’un (contre cinq en 2016), sur penalty (lors du nul 1-1 face au Paraguay en poule), et n’en a offert aucun, lui le meilleur passeur des éditions 2011, 2015 et 2016 (avec respectivement trois, trois et quatre assists). D’un point de vue statistique, le quintuple Ballon d’or achève ainsi la Copa la plus faiblarde de sa carrière internationale, en cinq participations.
Neuf de chute, dix de der ?
Il vient aussi de boucler un neuvième tournoi majeur sans trophée, son palmarès international ne comptant qu’un titre olympique (en 2008) pour quatre balafres, ces quatre finales perdues (Copa América 2007, 2015 et 2016 et Coupe du monde 2014). C’est beaucoup quand on a passé sa vie à gagner. Trop ? Il faut croire que non. Dès la défaite face au Brésil, Leo s’est voulu clair : il n’a aucune intention de renoncer à la sélection, comme il avait pu le faire en 2016 avant de tourner casaque. Une abnégation et une solidarité appréciables, si l’on se souvient aussi de la façon dont il avait pointé le manque de réalisme offensif de ses équipiers – coucou Gonzalo Higuaín – au sortir de la finale perdue (1-0) contre l’Allemagne en 2014. « Si je dois continuer à aider d’une façon ou d’une autre, je le ferai, a-t-il ainsi assuré la semaine dernière. Je me sens bien dans ce groupe. » Rend-il seulement service à l’Albiceleste ?
Qu’un joueur systématiquement placé dans les meilleures conditions – au point d’exercer une certaine influence sur le choix des hommes qui l’entourent, coucou Carlos Tévez – se sente bien revêt quelque chose d’assez logique, au fond. Mais ce bien-être se fait généralement au détriment d’autres bonshommes performants en club, à commencer par Paulo Dybala, et rend cette Argentine dépendante d’un talent qui, bien qu’immense, reste sujet aux défaillances. Illustration samedi, à la 37e minute de cet Argentine-Chili particulièrement haché où le Barcelonais, apparu plus nerveux qu’épanoui, a reçu le deuxième rouge direct de sa carrière, quatorze ans après le premier, récolté – pour un geste d’humeur déjà – lors de sa… première sélection, le 17 août 2005 face à la Hongrie. La boucle est bouclée ? À un an seulement d’une nouvelle édition de la Copa América, que l’Argentine co-organisera avec la Colombie et qui ressemble à l’ultime chance pour le numéro 10 d’accrocher un trophée avec son pays, ce n’est évidemment pas le projet. À moins que la CONMEBOL en décide autrement.
Par Simon Butel