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Messi, trou noir et lumière blanche
Buteur sur penalty, passeur décisif au bout d’une action stellaire face à la Croatie, Lionel Messi, seule phare créatif de sa sélection, est en finale de la Coupe du monde 2022. Accessoirement, l’Argentine l’est aussi.
Si on devait trouver à Lionel Messi un équivalent cosmique, le soleil ne lui conviendrait sans doute pas tout à fait. Il s’agirait de sonder un peu plus consciencieusement l’espace infini des supernovas et des voix lactées, pour lui trouver un pendant plus approprié. Loin, très loin, aux confins de l’espace obscur, un objet céleste absorbe à petit feu tous les autres : le trou noir. Une anomalie spatiale qui obéit néanmoins à une règle simple : plus ces dévoreurs interstellaires sont petits, plus leur masse augmente, et, avec elle, leur capacité à allonger, déstructurer puis digérer toute matière et lumière prise dans leur champ gravitationnel. Comme Lionel Messi en équipe d’Argentine en somme. Ce mardi face à la Croatie, le capitaine de l’Albiceleste aura encore une fois été le grand enchanteur d’une sélection exemplaire défensivement, mais dépouillée de fantaisie et d’audace offensive.
Supermassive black hole
La formation de départ des Ciel et Blanc en fut une démonstration exemplaire. Avec De Paul replacé à droite et Leandro Paredes aligné devant la défense, l’Argentine refusait d’emblée de tenir le ballon, vite confisqué par le milieu croate. Scaloni pouvait de toute façon voir venir, en misant sur trois joueurs comme trois temps distincts. D’abord, Enzo Fernandez devait savamment polir la relance. Ensuite, à Julian Álvarez, plutôt adroit sans le ballon, de multiplier les appels. S’il est parfois servi – à l’image du second but argentin que son numéro 9 concluait au bout d’un contre chanceux -, la finalité est souvent ailleurs. À savoir, lancer Messi dans les meilleures conditions. C’est au meneur argentin de trouver non seulement les passes entre les lignes, mais aussi de dicter le tempo des siens, de multiplier les tirs en dehors de la surface de réparation, de botter les penaltys et de renouveler infiniment son logiciel de dribbles, pour ériger une énième merveille éphémère.
Déjà auteur d’un penalty imparable pour ouvrir le score, l’ex-icône du Barça mystifiait après l’heure de jeu Gvardiol, d’un enchaînement virtuose de feintes de corps et de crochets courts. Avant de servir Álvarez, qui plantait un troisième et dernier pion qui scellait le sort croate. Harnachée sur ses bases dans son 4-4-2 fixation béton, l’Albiceleste aura choisi de simplifier à l’extrême sa chaîne de montage, où Messi fait toujours office de contremaître omnipotent. Le numéro 10 n’est pas supposé partager. Il engendre de lui-même la lumière, puis la dispense. Ses équipiers fuient volontiers les projecteurs, pour que tous les regards se croisent vers leur meneur de jeu. Y compris les leurs. Depuis le mythe Maradona, l’Argentine est et restera sans doute ainsi : monothéiste. Monothématique. Dix hommes et un génie. Messi et les autres. Maintenant, il ne reste plus qu’un ultime match, dimanche prochain. Si le trou noir Lionel Messi absorbe la France ou le Maroc en finale, il achèvera de devenir le seul joueur, avec Maradona, à avoir fait du football argentin sa galaxie à lui.
Par Adrien Candau