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Messi-Mbappé : un été doré pour le PSG et le Qatar
Depuis dix ans, le Paris Saint-Germain s'impose comme l'une des réalisations de la diplomatie sportive du Qatar. À moins d'un an et demi du Mondial 2022, l'arrivée de Lionel Messi au PSG cet été n'est pas un cadeau d'adieu, mais simplement une arme supplémentaire pour la stratégie de soft power adoptée par l'émirat du Moyen-Orient. Une ambition géopolitique et sportive, les deux étant liés, et l'envie obsessionnelle de voir le club de la capitale française remporter la Ligue des champions pour offrir une légitimité au Qatar sur la planète foot.
Ce n’est pas tous les jours qu’un petit pays dont la superficie est inférieure à celle de l’Île-de-France accueille deux légendes vivantes du foot. Le 17 novembre 2005, Pelé, chemise bleu ciel sur le dos, et Diego Maradona, vêtu d’un ensemble blanc nacré, apparaissent côte à côte à Doha, où ils partagent pour la première fois la même scène en dehors de l’Amérique du Sud à l’occasion de l’inauguration officielle de l’Aspire, la toute nouvelle académie sportive d’excellence du Qatar. Une installation gigantesque de 290 000 mètres carrés, la plus grande de ce type au monde, qui a coûté à l’État plus d’un milliard de dollars et dont l’objectif est de « fabriquer » le plus grand nombre de champions du monde. Les deux stars font partie des invités d’honneur, aux côtés de Jacques Rogge, alors président du comité olympique ou encore des anciens athlètes marocains Said Aouita et Hicham El Guerrouj, à une époque où ceux qui ne s’intéressent pas du tout à la géographie sont incapables de placer l’émirat du Moyen-Orient sur une carte ou bien de nommer sa capitale.
Reste que Pelé et Maradona sont bluffés, comme en témoigne l’intervention du premier : « C’est incroyable de voir des installations pareilles. Nous avions l’habitude de penser qu’au Brésil, nous avions le meilleur football sur le terrain, les meilleurs joueurs, mais nous n’avons pas d’installations comme celle-ci. C’est incroyable. » Une reconnaissance flatteuse pour les Qataris, soucieux de développer un projet sportif de plus en plus ambitieux, notamment à travers le football. Seize ans plus tard, il n’est plus question d’envoyer du rêve aux plus grands noms du ballon rond, mais de les « posséder » en les attirant au PSG, le club du Qatar depuis 2011. En cela, l’arrivée cet été de Lionel Messi dans la capitale française — et dans la même veine le non-transfert de Kylian Mbappé au Real Madrid — est une arme supplémentaire pour la stratégie de soft power mise en place par le Qatar ces vingt dernières années pour exister sur l’échiquier international.
Le PSG, vitrine sportive de la diplomatie qatarienne
La possibilité de faire de Lionel Messi un joueur du Paris Saint-Germain relève d’abord d’un alignement des planètes pour les propriétaires du club de la capitale. À moins d’un an et demi du coup d’envoi du Mondial 2022, il était presque inespéré de compter au même moment sur l’envie de départ de l’international argentin, les problèmes financiers du Barça et un contexte favorable avec les instances après l’épisode de la Superligue, dont Nasser al-Khelaïfi était sorti grand gagnant (en tout cas aux yeux de l’UEFA) au printemps. Une aubaine pour le Qatar, qui ne connaît aucun problème de trésorerie. Le recrutement de Messi s’inscrit ainsi dans la stratégie développée par l’émirat du Moyen-Orient depuis une décennie avec le PSG, qui n’est autre que la vitrine sportive de sa diplomatie.
L’assurance de voir Messi évoluer au sein de l’équipe parisienne ces deux prochaines années (et plus si affinités) va contribuer à diffuser une image positive du club, et donc du Qatar, aux quatre coins de la planète. Quand le pays du Golfe était régulièrement associé aux ouvriers décédés sur les chantiers et d’autres polémiques, il sera désormais également lié à Messi. « Tout ce qui touche au Qatar et au sport est exagéré, et c’est exactement ce qu’ils cherchent à provoquer en prenant Messi, explique Raphaël Le Magoariec, spécialiste des sociétés du Golfe. Pendant ce temps-là, on ne parle pas d’autres problèmes en matière de droits de l’homme, ça permet de développer une communication spectaculaire autour de Messi, et c’est ce que le Qatar veut faire avant 2022. Il y a la tentative d’effacer tous ces éléments, même si c’est un peu illusoire. Pour une partie du public occidental, le Qatar restera associé à différents scandales, et ce n’est pas Messi qui viendra effacer tout ça. Ils seront même scrutés de près. » Pour l’impact sur l’image auprès du grand public, il faudra donc repasser. Et sportivement ? « Messi efface tous les revers subis par le PSG sous le Qatar. Ça repart sur un nouveau cycle avec Messi. La perte de la Ligue 1 la saison dernière, en matière d’image, ce n’était pas terrible, mais ils ont d’autres piliers sur lesquels ils peuvent s’appuyer. »
Une quête de légitimité dans le monde du foot
Le championnat de France est bien sûr secondaire dans l’esprit des dirigeants qataris, qui rêvent depuis une décennie de ramener la coupe aux grandes oreilles à Paris. Pour le succès, pour le prestige, mais également pour se faire une place de choix sur la planète foot. Depuis l’attribution de la Coupe du monde en 2010, le Qatar s’est attiré les foudres de ceux qui considèrent qu’il n’est pas un « pays de foot » . « Le Qatar a besoin de se doter d’un crédit foot. Et quoi de mieux que de remporter la Ligue des champions pour s’offrir une légitimité aux yeux du monde ? pose Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et auteur de plusieurs ouvrages sur le Qatar. Au début des années 2010, il restait encore un peu de temps, mais là, c’est la dernière année pour glaner le titre fantasmé avant le Mondial. C’est pour ça qu’ils sont dans l’envie, le besoin, pour ne pas dire l’obsession d’obtenir la C1. Par conséquent, ils ont décidé de mettre la main à la poche dans un contexte très favorable. »
En ce sens, il n’est pas étonnant d’avoir vu les dirigeants parisiens refuser les offres stratosphériques du Real Madrid pour embaucher Mbappé, le PSG ayant a priori plus de chances de remporter la compétition reine avec un trio Neymar-Messi-Mbappé que sans son génie français. « Mbappé est important pour les autorités dans cette diplomatie du rayonnement, ajoute Nabil Ennasri. C’est le joueur le plus bankable du monde, il représente un intérêt sportif, et surtout il est champion du monde, il fait partie des tenants du titre. Puis, la prochaine ville qui accueille les Jeux olympiques, c’est Paris. Il y a un concentré de symboliques autour de Mbappé qui fait que le PSG a tout intérêt de le garder. » En attendant, l’émirat devra être en mesure d’accueillir le double de sa population, soit plus de quatre millions de touristes, lors d’une Coupe du monde qui se présente comme le point d’orgue de la politique sportive mise en place depuis un quart de siècle. « C’est le même défi que pour la Chine en 2008 avec les JO, analyse Nabil Ennasri. Le sport est un indicateur de la puissance d’un État. Quand un petit pays comme le Qatar relève le défi d’organiser la compétition internationale la plus suivie, ça le crédite d’une aura, d’un prestige. Il a aussi besoin de montrer à ses rivaux sa capacité de résilience : quoi de mieux que l’organisation d’un Mondial pour cela ? »
Le rêve des Jeux olympiques
Reste cette interrogation qui revient comme un serpent de mer depuis l’engagement de QSI au Paris Saint-Germain : le Qatar va-t-il lâcher le club de la capitale une fois la Coupe du monde 2022 passée ? « Je ne crois pas à cette théorie, tranche Nabil Ennasri. L’investissement du Qatar au PSG dépasse l’accueil du Mondial. Le nouvel horizon ensuite, ce sera d’accueillir les JO, ils avaient déjà fait acte de candidature pour 2032. En 2030, l’émirat organisera les Jeux asiatiques avant son rival l’Arabie saoudite (ils se tiendront pour la première fois à Riyad en 2034, N.D.L.R.), et on parle du troisième évènement le plus important de la planète, puisque deux tiers de la population mondiale est concernée. On peut penser que le Qatar va tout faire pour hériter des Jeux en 2036, et dans cette perspective, le PSG aide à créer des relations dans le sport. » Depuis un bout de temps maintenant, le Qatar a compris que les ressources de gaz et de pétrole ne seront pas éternelles, ce qui a entraîné une reconversion économique où le sport et le tourisme sont des piliers majeurs. La venue de Lionel Messi n’est donc pas le dernier gros coup ni un baroud d’honneur du PSG à l’ère qatarie. « Le Qatar veut faire de la communication à court terme via le PSG, conclut Raphaël Le Magoariec. C’est de l’image, il faut avoir le meilleur joueur du moment si cela est possible. Ils savent très bien que ça va faire parler partout dans le monde. Et quand Messi ne sera plus le meilleur, ils se tourneront vers d’autres joueurs, ils en auront les moyens. » Le marché des transferts n’a pas fini d’être agité.
Par Clément Gavard
Tous propos recueillis par CG