- CDM 2018
- 8es
- France-Argentine (4-3)
Messi, l’illusion du sauveur
Sans projet collectif cohérent depuis de longues années, l'Argentine s'est réfugiée derrière l'image réconfortante de Lionel Messi, qui incarnait à lui seul le concept de sauveur de la nation. Une illusion puissante, mais sans lendemain.
Au coup de sifflet final, il est resté seul, dans le rond central. Pas de larmes sur son visage. Juste une triste résignation, avant de saluer adversaires et coéquipiers. À 31 ans, Lionel Messi vient de jouer, et perdre ce qui devrait être son dernier match de Coupe du monde, face à l’équipe de France. Une rencontre où l’Argentine, sur les rotules défensivement, sans idée offensivement, espérait un miracle de Messi pour continuer d’exister aux yeux du monde. Une erreur fondamentale, qui a abouti à la bouillie collective proposée par l’Albiceleste en Russie. Et plus globalement au rendu collectif décevant de la Selección depuis le début de la décennie.
2010-2018, même combat
De la Coupe du monde 2010 – la première que Messi démarre avec le statut de meilleur joueur de la planète depuis qu’il a mis avec le Barça l’Europe à ses pieds – à celle de 2018, les différences sont minimes. À chaque fois, Messi fait le boulot en phase de groupes, ses exploits individuels compensant alors les manquements d’une Argentine poussive. Du moins, avant que ses étincelles de génie ne s’éteignent progressivement quand l’Albiceleste progresse dans la compétition. Face aux poids lourds du football mondial, le génie de Messi, toujours nécessaire, n’est néanmoins plus suffisant. Conséquence : l’Argentine s’effondre. 4-0 face à l’Allemagne en quarts de finale en 2010, 4-3 face aux Bleus huit ans plus tard.
Entre les deux, il y aura bien eu ce Mondial 2014 où l’Albiceleste, finaliste, aura su assembler quelques pièces d’un puzzle dont les contours sont restés sans panache, sans style de jeu identifié, mais portés par une forme de rigueur tactique et des individualités offensives – Higuaín, Agüero, Di María – alors à leur apogée. Un Mondial où, à l’exception de la phase de poules durant laquelle il avait encore porté à lui seul l’Argentine sur ses frêles épaules (quatre buts), Messi sembla même se greffer plus organiquement au collectif argentin en épousant un rôle de neuf et demi voué à fluidifier la construction du jeu. Une parenthèse sans lendemain, comme l’a illustré la Coupe du monde 2018 de la Selección quatre ans plus tard. Messi lui, tire probablement sa révérence dans la compétition accompagné d’une drôle de statistique illustrant la relation contrariée qu’il entretient avec le tournoi suprême : il n’a jamais marqué en Coupe du monde en phase à élimination directe en huit rencontres et 756 minutes de jeu.
2006, regrets éternels
Alors que les médias argentins se déchaînent pour traîner dans la boue une sélection déjà face contre terre, il s’agit tout de même de se demander comment l’Argentine en est arrivée là. Sans idée de jeu offensive, sans organisation défensive… mais avec Messi. Seulement Messi. Ou presque. Pourtant, avant que Messi n’explose à la face du monde, quand il n’était encore qu’un gamin au talent en devenir, il faut se souvenir de ce qu’était l’équipe d’Argentine. Et revenir à la Coupe du monde 2006, la première de Messi, où il n’endosse qu’un rôle de joker de luxe.
Sous la houlette de José Pékerman, l’Albiceleste est alors peut-être la sélection dont le jeu collectif fait le plus scintiller les mirettes. Elle n’a pas besoin de sauveur : les talents d’Ayala, Cambiasso, Riquelme, Crespo et consorts s’additionnent, se complètent. Et l’Argentine délivre un premier tour renversant, symbolisé par cette monumentale action collective conclue par Cambiasso face à la Serbie Monténégro. Elle aura simplement la malchance de tomber en quarts de finale face à l’Allemagne aux tirs au but.
« Si tu as Messi dans ton équipe, tu es quasiment sûr de gagner »
Qu’importe, la direction, le projet de la Selección semblaient porteurs d’espoirs. Mais l’Albiceleste s’est progressivement perdue en route, quand Messi et le Barça se sont mis à régner impitoyablement sur le football de club. Messi a grandi exponentiellement et, avec lui, a grossi l’idée qu’il était celui qui permettrait à l’Argentine de conquérir son troisième trophée mondial. Pas à lui seul, mais presque. La reprise en main de l’Argentine par Jorge Sampaoli en a été une illustration caricaturale : l’ex-gourou du Chili n’a cessé de répéter depuis sa prise de fonctions que « cette équipe est beaucoup plus celle de Messi que la mienne » : « Messi, ce serait moi qui aurais énormément à apprendre de lui. Si tu as Messi dans ton équipe, tu es quasiment sûr de gagner. »
L’ombre de Maradona
Une survalorisation du talent individuel, du concept du sauveur, qui prend évidemment sa source dans le mythe de Maradona. L’ombre du Pibe de Oro n’aura jamais cessé de planer sur la Selección et sur Messi, à l’image de la présence remarquée en tribunes de l’icône argentine lors de ce Mondial 2018. Pourtant, aussi immense soit-il, Messi n’est pas Maradona. Messi n’a jamais marqué quatre buts en phase à élimination directe du Mondial comme Maradona en 1986. Messi n’a pas transfiguré à lui seul un club au palmarès jusque-là inexistant sur les plans nationaux et européens comme Maradona l’a fait à Naples. Toutes les prouesses que Messi a réalisé se sont inscrites dans un cadre collectif savamment théorisé, élaboré, construit, au FC Barcelone. Soit l’inverse de ce qu’est devenue l’Argentine, où l’on s’est mis à penser que ses fulgurances permettraient de compenser le chaos tactique qui caractérise la sélection.
Star Système
Problème : à force de lui souffler continuellement qu’il doit transmuter le destin de la Nación, Messi s’est peut-être mis à y croire un peu, plus ou moins malgré lui. Les rumeurs sur son omnipotence au sein de l’équipe d’Argentine, où il aurait par exemple demandé à ce qu’Icardi – qu’il n’apprécierait pas – ne soit pas sélectionné pour le Mondial, n’ont cessé de parasiter l’environnement de la sélection.
Ultime illustration du statut complètement à part du joueur du Barça : cet échange qu’aurait eu Sampaoli avec son numéro 10 en fin de match face au Nigeria pour lui demander s’il doit faire entrer Sergio Agüero sur la pelouse. Une scène surréaliste, qui achevait de démontrer que l’Argentine s’était inféodée aveuglément au talent de Messi. Le système au service de sa star, et non l’inverse. Un non-sens, mais un mirage réconfortant pour oublier la médiocrité du projet collectif proposé par l’Argentine depuis le début de la décennie. Finalement, il aura fallu que l’équipe de France passe par là pour déchirer, peut-être une bonne fois pour toutes, le voile de l’illusion dans lequel s’était drapée l’Albiceleste.
Par Adrien Candau