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Messi, des adieux d’un autre temps
Les larmes et le discours de Lionel Messi ont ému bien au-delà du cercle des amoureux du Barça ou des passionnés du ballon rond. Ses mots ont fait résonner une forme d’attachement, quasi-élégiaque, à son club, qui appartient néanmoins de plus en plus au passé. Autant qu’un adieu à Barcelone, il s’agissait peut-être aussi de l’oraison funèbre, la dernière, d’une certaine manière de concevoir et de vivre - y compris en gagnant excessivement bien sa vie - son rapport au foot.
Lionel Messi n’était pas réputé pour être un grand orateur, ni davantage un immense communicant. Bien moins que son rival Ronaldo en tout cas. Plus discret, moins loquace, sa conférence de presse était donc fortement attendue. Comme il l’a lui-même répété souvent ce dimanche midi, en raison de la pandémie, elle représentait sa dernière occasion de parler directement au Barça, au sens large, de lui dire son amour, un peu son amertume, énormément sa reconnaissance, et, on l’aura décrypté, un attachement qui perdurera forcément après son départ. Son propos liminaire, après une séquence d’émotion les larmes à peine retenues, s’avère clairement un modèle du genre y compris dans ses hésitations et ses digressions. S’exprimant clairement, en phrase courtes, il a sûrement réussi à exprimer l’essentiel de ce qu’il voulait laisser dans le livre d’or du FCB. De ce point de vue, la com’ a été parfaitement maîtrisée et a sonné juste, parce qu’elle s’appuyait sur une sincérité que son histoire rendait crédible et une émotion palpable qui transpirait même à travers les écrans.
Le dernier des fidèles ?
Voici le point essentiel. Qui d’autre aujourd’hui pourrait prononcer ce type d’allocution sans être soupçonné d’opportunisme ? Arrivé à 13 ans au Barça, le sextuple Ballon d’Or, probablement le plus grand et beau joueur des années 2000, s’identifiait à sa « maison » , et sa propre vie, y compris personnelle, se confondait avec. « J’aurais voulu dire à ma famille que l’on reste ici à la maison. Je l’avais promis à mes fils aussi et je voulais rester ici encore. Cela fait 21 ans que je suis ici. Il s’est passé tellement de choses. Des bonnes, des moins bonnes. Mais je suis la personne que je suis. J’ai tout donné pour ce maillot dès le premier jour jusqu’au dernier » . Une fidélité du cœur et de la raison, au point que son départ paraît un événement en soit, un sacrilège qui qui clôture bel et bien une époque. « Je n’ai jamais imaginé quitter le club. Et jamais de cette manière-là. » Bref comme n’importe quel salaire trop élevé pour les finances de son « patron ».
Un club, un peuple, des valeurs
Surtout, celui qui se définit comme catalan-argentin, fournit une définition du Barça qui ne se récite pas comme une leçon mais restitue un vécu. Qui d’autre aujourd’hui parmi les footballeurs, à part Totti à la Roma, peut prétendre ressentir cette évidence biographique. Ce n’est pas un reproche, le football pro, gavé par les transferts et la course à l’armement, a transformé l’existence des footballeurs qui naviguent d’une ville à l’autre, embrasse avec amour le nouvel écusson à chaque but marqué comme s’il était une sainte relique, et annonce leur respect pour l’institution lors de leur présentation officielle. Messi ne quitte pas seulement le Barça. Il s’éloigne de la capitale catalane, des supporters, un peuple qui l’entourait et qui le connaissait depuis toujours. « J’aurais voulu une dernière ovation avec le public, sentir une dernière fois la chaleur des supporters dans le stade. Je l’imaginais autrement. Mais c’est comme ça. Il y a eu tellement de chaleur de la part des gens ici, tant d’amour et tant de reconnaissance. C’est le meilleur club du monde. Et je veux remercier tout le monde » . La définition qu’il dessine du Barça est certainement datée. Il suffit d’une visite au Nou Camp pour se rendre compte des dégâts du tourisme footballistique et la gentrification des gradins, y compris en Catalogne. Son discours d’adieu s’avère aussi un cours magistral, l’un des derniers que l’on pourra entendre dans la bouche d’un aussi immense joueur.
Finalement, nous lui devons aussi cela. D’avoir lors de ces quelques minutes timides et retenues dispensé le témoignage d’un autre monde dans lequel l’enfant de Rosario a débarqué, où il est devenu homme et joueur, où il a écrit l’histoire. La page qui se ferme n’est pas seulement celle de Messi au Barça.
Par Nicolas Kssis-Martov