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- Argentine-Islande (1-1)
Messi cerné par la patrie
Un match nul face à l’Islande, un penalty raté. La pression que le peuple argentin met sur les épaules de Lionel Messi est plus forte que jamais, et ce n’est pas le premier match du capitaine de l’Albiceleste qui va servir d’anxiolytique.
On parle parfois de la solitude du gardien de but, mais il ne faut jamais oublier que cet homme-là a aussi le pouvoir d’infliger ce sort à l’attaquant qui se trouve en face de lui. Hannes Halldorsson, 34 ans, s’est servi du premier match de l’histoire de l’Islande en Coupe du monde, contre l’Argentine (1-1), pour rappeler tout ça. Un penalty arrêté, une joie folle et un trophée d’homme du match plus tard, le gardien qui évolue au Randers FC, en D1 danoise, avait le droit de planer : « En tant que gardien, affronter le plus grand joueur du monde sur un penalty pour le premier match, c’est un grand moment. C’est un rêve devenu réalité, surtout car je l’ai arrêté et que ça nous a aidés à sauver le match nul. J’ai fait mes devoirs, j’ai regardé beaucoup de penaltys tirés par Messi ces derniers temps. »
Tout est une question de vocabulaire. Pour le gardien islandais, cette scène appartient à l’histoire. Aux yeux du coach argentin Jorge Sampaoli, elle « fait partie du passé. Le penalty raté par Leo, ce n’est plus qu’une statistique. Évaluer le travail de Leo est très difficile. Aujourd’hui, il était dans une position inconfortable, car l’Islande jouait très défensif et bloquait toutes les occasions. Mais il faut analyser toutes les performances de tous les joueurs, pas seulement celle de Leo. Je sais à quel point il est motivé. » Une manière d’évacuer la pression qui empoisonne l’air que respire le capitaine argentin aujourd’hui. Car oui, la pression est là.
L’ombre ventripotente de Diego
Moscou, samedi 16 juin 2018, 16h06. Ces cinglés de supporters argentins chantent à s’en rompre les cordes vocales. Le match entre l’Albiceleste et l’Islande a commencé depuis six minutes, le ballon circule au milieu du terrain et les Sud-Américains situés derrière le but de Willy Caballero hurlent en l’honneur de… Diego Maradona, qui ne fait rien pour les arrêter. Bien au contraire. Diego, repéré dans une loge, agite les bras et demande au public de crier un peu plus fort. La scène se répètera à la cinquantième minute. À quelques mètres de là, Lionel Messi tente d’échapper au marquage bodybuildé de la défense islandaise. Pas dans l’indifférence, mais disons que le fait qu’une partie du public préfère avoir les yeux rivés vers Maradona qu’en direction du gaucher n°10 censé être le sujet principal de leur attention en 2018 dit beaucoup de choses sur la situation dans laquelle se trouve la Pulga.
Si un cours d’histoire express devait être donné, il servirait à rappeler que l’Argentine n’a plus gagné de Coupe du monde depuis l’édition 1986 au Mexique. Chacune des secondes qui s’est écoulée depuis 32 ans n’a fait qu’augmenter la pression sur les joueurs qui ont tour à tour représenté la sélection argentine. Lionel Messi, qui prend part aujourd’hui au quatrième Mondial de sa carrière, n’échappe pas à cette réalité. Elle s’applique d’ailleurs plus à lui qu’à n’importe qui d’autre. Parce qu’un quintuple Ballon d’or n’est pas une personne comme une autre.
Emprisonné dans un contexte
Voilà le natif de Rosario emprisonné dans un contexte duquel il a un mois pour s’échapper. Ces tatouages ne sont pas ceux de Michael Scofield, mais il va tout de même falloir trouver un stratagème pour sortir de ce bazar. Car quand on a trente ans, l’étiquette (peu importe qu’elle soit injuste ou non) de type incapable de porter sa sélection sur ses épaules est de plus en plus dure à décoller. Et c’est peu dire que la prestation du Barcelonais face à l’Islande ne va pas l’aider à avancer dans cette entreprise. Personne ne retiendra de ce match que Messi a envoyé la première frappe cadrée argentine (17e), puis tout tenté ensuite pour forcer le verrou de ce gang de déménageurs islandais. On ne se souviendra que de cette 64e minute et ce penalty repoussé par Halldorsson.
Au lendemain du triplé fluorescent de Cristiano Ronaldo face à l’Espagne (3-3), le monde entier exigeait une autre réponse. Car la pression vient de partout. De Diego Maradona, donc, qui a passé son match à recevoir de l’amour tout en fumant un gros cigare. Mais aussi de Cristiano Ronaldo, ou plutôt de la rivalité que l’histoire nous a imposé. Les trois dernières Ligue des champions soulevées avec le Real Madrid par le Portugais ont accentué le côté winner de CR7 et laissé croire que Messi n’en était plus un. L’Argentin sait que ces analyses de comptoir ne sont que de belles conneries, mais il n’a pas le choix. La planète et bien plus que ça veut que Messi se serve de ce Mondial en Russie pour rappeler qui il a toujours été.
Mais que le capitaine de l’Albiceleste se rassure : tant que l’Argentine ne sera pas rentrée à la maison, aucun de ses compatriotes ne lui mettra des bâtons dans les protège-tibias. Cette preuve d’amour à l’égard de l’ancien coéquipier de Jérémy Mathieu a trouvé un heureux timing, ce samedi au Spartak Stadium. Pour dire la vérité, il n’y avait pas besoin d’avoir un cœur très grand pour avoir des frissons en écoutant le public scander son amour pour Leo dans la foulée de son péno raté : « Meeeeessi, Meeeessi… » Ces chants ont duré cinq bonnes minutes. Un pays qui ne comprend pas le foot aurait peut-être sifflé son capitaine. Les Argentins ont préféré chanter. Ces gens-là savent sans doute qu’on a le droit de rater le premier match d’un grand tournoi. Mais pas le dernier. Ils savent aussi forcément que leur buteur face à l’Islande s’appelle Sergio Agüero. Oui, l’ancien gendre de Maradona…
Par Matthieu Pécot, au Spartak Stadium (avec TP)