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Messi a-t-il fini par affaiblir le Barça ?
Partira ou partira pas ? Lionel Messi a émis le souhait de quitter son cher FC Barcelone. Il ne supporterait plus le manque de compétitivité de son équipe, notamment en Ligue des champions, qu’il rêverait de remporter à nouveau. Mais Lionel ne manquerait-il pas de loyauté envers une équipe que lui-même aurait contribué à affaiblir ?
Mexico 1986. Diego Maradona est sur le toit du monde et l’Albiceleste championne du monde. Le Système M (comme Maradona) mis conjointement en place par lui-même et son sélectionneur Carlos Bilardo a parfaitement fonctionné : un collectif entier se dévoue pour son génie et leader dont la forme exceptionnelle lui garantit à 25 ans un rayonnement hors du commun… Rome 1990. L’Allemagne bat l’Argentine 1-0 en finale du Mondiale italien. Le Système M de 1986 reconduit n’a plus vraiment fonctionné. Diego (29 ans), déjà diminué, a décliné physiquement et il a moins pesé sur le jeu. L’Albiceleste médiocre est parvenue en finale, mais surtout grâce à son gardien Sergio Goycochea lors des tirs au but face à la Yougoslavie et face à l’Italie. Paradoxalement, Diego Maradona est resté le meilleur joueur de la planète. Mais l’Argentine a perdu, car elle n’avait que ce plan A à proposer, et rien d’autre.
Rebelote en 1994. Cette fois-ci, le Système M, encore reconduit par le nouveau sélectionneur Alfio Basile, explose en plein vol. Diego, 33 ans, est exclu du Mondial pour dopage à l’éphédrine. Privée de son plan A, l’Albiceleste de Redondo, Caniggia et Batistuta, incapable d’avoir pu imaginer un plan de rechange, ne savait plus comment jouer et elle a giclé en huitièmes face à la Roumanie (3-2). Rattrapé par ses propres insuffisances, Diego Maradona a fini par induire les limites d’une sélection Diego-dépendante en 1990 et 1994. À cause d’un trait de caractère que la culture hispanisante identifie sous l’appellation de « caudillo » : il s’était convaincu qu’il était éternel et irremplaçable. Erreur funeste.
FC Barcelone ou FC Messi ?
Le FC Barcelone a subi le même phénomène d’emprise, bénéfique puis néfaste, d’un caudillo nommé Lionel Messi. L’Argentin l’est progressivement devenu au fur et à mesure de l’effacement puis des départs de ses deux co-leaders de jeu, Xavi et Iniesta, longtemps contre-pouvoirs techniques salutaires de son leadership au sein des Blaugrana. Buteur fabuleux, le crack argentin était bien au centre du système blaugrana au point de créer une Messi-dépendance certaine, mais pas tout à fait absolue. Xavi avait quitté le club à la fin de cette saison 2015, tout comme Iniesta le fit en 2018 après un lent déclin progressif. Mais le vrai basculement de ce Grand Barça s’est opéré au moment du transfert de Neymar au PSG à l’été 2017. Désireux de s’émanciper de la tutelle d’un Messi qui resterait quoi qu’il arrive et pour longtemps au centre du système de jeu blaugrana, le Brésilien a préféré voler de ses propres ailes en allant tenter le pari fou de faire triompher Paris en C1.
Véritable héros de la remuntada, le Ney avait-il perçu chez Lionel à l’aller (0-4) comme au retour (6-1) contre Paris les prémices du déclin qui rendrait de moins en moins supportable son rôle d’éternel second de la star argentine ? Qui plus est, l’aventure en C1 s’était brusquement achevée en quarts contre la Juventus (0-3, 0-0). Vinrent ensuite les éliminations contre la Roma (4-1, 0-3), puis face à Liverpool (3-0, 0-4) et enfin cet été, face au Bayern (2-8). Dans un article impitoyable du Financial Times d’hier ( « Comment le FC Barcelone est devenu le FC Messi » ), l’illustre Simon Kuper a blâmé la sclérose d’une équipe et d’un système qui se sont trop reposés sur un joueur unique, fut-il le meilleur du monde. Sans épargner la direction du club qui a dilapidé presque un milliard d’euros en transferts depuis l’été 2014, le journaliste anglais a accablé la « génération Messi qui a trop étiré son bail en équipe première. Parmi les sportifs les mieux payés d’Europe, résidents d’une région magnifique, ils ont graduellement allégé la charge de leurs entraînements, sont moins allés au pressing en match, se contentant de battre des adversaires sur leur talent et leur savoir-faire. Et c’est ainsi que le Barça s’est présenté face au Bayern avec six joueurs âgés de 31 ans et plus. »
Syndrome d’éternité…
Simon Kuper rapporte que Messi avait prévenu ses dirigeants depuis des mois que l’équipe n’était plus assez bonne pour gagner des trophées. Sauf que… Messi était-il encore assez bon lui-même pour faire gagner le Barça en Ligue des champions ? L’Argentin demeure un joueur fabuleux et ses stats de cette saison passée le classent encore au top mondial. Mais c’est oublier qu’il fait aussi partie de l’équation négative du 8-2 contre le Bayern. L’humiliation de Lisbonne a certes sanctionné la faiblesse d’une équipe que Messi pouvait bien déplorer. Mais elle a d’abord sanctionné un système, le Système L (comme Lionel), que l’on a étiré, usé jusqu’à la corde. Même ses stats prodigieuses ont dessiné en creux le talent incontestable d’un champion hors pair, mais pour lequel un collectif entier se dévoue et se sacrifie. Jusqu’à la rupture ! Et c’est l’ensemble de ce Système L devenu obsolète qui a fait plonger le Barça cette saison, tout comme le Système M avait fini par faire perdre l’Argentine.
Mais en bon caudillo, Lionel Messi a choisi de ne pas se remettre en cause : il préfère claquer la porte du Barça en reportant sur les autres, la direction du club (il n’a pas vraiment tort) et ses coéquipiers, toute la responsabilité des échecs en Liga et en Ligue des champions. Frappé du syndrome du « héros éternel », il ne comprend pas que son Système L, où il ne défend même pas, peut difficilement faire concurrence à Liverpool et au Bayern, machines de guerre génératrices d’intensité inouïe ? On parle d’un possible transfert à Manchester City où Lionel retrouverait son ancien mentor Pep Guardiola. Mais la Premier League a ses exigences qui n’autorisent aucune faiblesse, aucun passe-droit… Lionel Messi est loin d’être fini. Alors rien ne l’empêcherait de rester au Barça et d’œuvrer à la phase de reconstruction d’une équipe loin d’être médiocre. Mais peut-il accepter de se fondre dans un autre système moins dévolu à sa personne ? Peut-il accepter à 33 ans d’être remplacé quand il piochera en fin de matchs ? En 1970, afin de rester le meilleur joueur du monde, un Pelé déclinant avait accepté de se fondre dans le collectif brésilien et de s’y dévouer totalement. Ni capitaine et ni numéro 9, Pelé s’est contenté de figurer comme un numéro 10 parmi d’autres numéros 10. Et il a gagné une troisième Coupe du monde. Pelé était roi. Pas caudillo.
Par Chérif Ghemmour