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Més que un Klopp
Désormais loin de Dortmund, Jürgen Klopp s'apprête à retrouver ce soir le mur jaune et l'amour qu'il lui a donné. Le tout, un an après avoir quitté le BvB, et avec le survêtement d'un Liverpool qu'il est enfin en train de faire à sa main, avec sa passion, sa folie et son style singulier. Tout en transitions énergétiques, lignes cassées et grosses têtes.
Au départ, il voulait se reposer. Prendre une année de repos, loin du football, de son stress quotidien et de la passion qu’il lui procure. C’était il y a maintenant un an, face à une armée de journalistes qui n’était pas totalement prête à gratter une telle information. Le 15 avril 2015, Jürgen Klopp délivrait ce message : « J’avais toujours dit que je ferais cette annonce dès que je ne me sentirais plus le parfait coach de cette équipe extraordinaire. » Le point final d’une histoire de sept ans, d’une reconstruction totale, de l’apogée d’une philosophie extraordinaire tirée d’un entraîneur ordinaire à qui l’on refusait des postes quelques années plus tôt pour ses jeans troués et sa barbe mal rasée.
Au printemps dernier, Klopp a donc quitté un Dortmund qu’il avait emmené au sommet de l’Europe deux ans plus tôt à Wembley.
Un succès tactique, mais avant tout philosophique autour du célèbre gegenpressing, le contre-pressing en français. Une idée de jeu que son adjoint, Pep Lijnders, expliquait au Liverpool Echo il y a quelques mois autour de l’attacking-balance : « C’est un système de jeu qui s’enclenche dès qu’on perd le ballon. On pense défensif quand on attaque, l’essence de cette méthode est tirée de l’équilibre entre la folie offensive et la solidité défensive. Tout passe par les deuxièmes ballons. Si on les perd, tout s’effondre. » Reste que Jürgen ne peut pas tenir en place. Alors, en octobre dernier, il rejoint Liverpool pour prendre la suite de Brendan Rodgers. Avec un mot d’ordre : proposer un football « sauvage » . Six mois après, il s’agite encore derrière la ligne, casse parfois ses lunettes et touche enfin aux contours de ce qu’il souhaitait mettre en place chez les Reds. À la sueur et à la rage, alors que son ancienne famille s’apprête à le revoir. Sur le banc opposé.
Les bouffeurs d’espaces
Il est encore tôt pour affirmer que Klopp a réussi à calquer son style à Liverpool. On s’en rapproche par instants, comme lors de la victoire à l’Etihad Stadium face à Manchester City en novembre (4-1), ou à Stamford Bridge fin octobre (3-1). Depuis plusieurs semaines, les Reds dégagent enfin la folie attendue, celle dont Klopp raffole, celle qui le transcende. C’est un paradoxe, mais le système kloppien ne doit pas être jugé à sa mise en place tactique, mais plutôt dans sa multiplication des efforts car, dans tous les cas, une équipe de Klopp va courir plus que son adversaire. Plusieurs fois, l’entraîneur allemand a décrit son football comme du « heavy metal » , notamment lorsqu’il avait été comparé à l’un de ses modèles, Arsène Wenger, et sa « symphonie silencieuse » .
Son jeu est fait de transitions, offensives et défensives, en permanence. Lorsqu’il était au sommet, son Dortmund faisait tout à une vitesse incroyable avec la volonté perpétuelle de récupérer rapidement le ballon sur un pressing très haut. C’est aussi une question de volume de jeu à l’image de ce que faisait la paire Bender-Kehl hier et Can principalement aujourd’hui à Liverpool. Dans ce sens, Klopp a réussi à imposer sa philosophie en Angleterre dans un 4-2-3-1 modulable en 4-3-3, dopé à la liberté de mouvements. Derrière ses lunettes, l’ancien professeur de Dortmund a libéré Coutinho et surtout Adam Lallana, devenu un élément presque indispensable dans la construction offensive des Reds. Où Sturridge et Firmino, bouffeurs d’espaces, s’éclatent logiquement.
C’est là où je t’emmènerai
Lors de son arrivée au BvB, Klopp sortait d’une expérience reconnue avec Mayence, un club traditionnel, et les doutes sur son adaptation à l’environnement du Borussia étaient légitimes. Il s’agissait là d’épouser l’amour de supporters fervents, ce qu’il a retrouvé à Liverpool et qu’il gère aujourd’hui avec la plus grand classe qu’il soit. Car Jürgen Klopp est devenu un maître de la communication. La plupart des joueurs qui ont travaillé avec lui le racontent : le joueur et le collectif passent avant l’entraîneur. Il sait vous faire sentir important, indispensable. Ses deux premières années à Dortmund furent pourtant une grande lessive, dégageant les stars vieillissantes du club pour dénicher des jeunes prometteurs à coûts réduits (Hummels, Barrios, Bender, Kagawa, Lewandowski ou encore Schmelzer).
Pourtant, l’un des anciens cadres expliquera dans Four Four Two que « la seule raison qui le rend triste de quitter le club est de ne pas avoir pu travailler avec cet entraîneur » . C’est sa force. Derrière les lignes anglaises, les images sont frappantes entre sa passion communicative et l’amour qu’il transmet à ses joueurs qui, à chaque but, viennent lui sauter dans les bras. Comme pour le remercier de la confiance accordée et alors que Klopp n’a pas décidé de l’effectif qu’il dirige aujourd’hui. Les règles sont humaines : tu me fais confiance, je t’emmène au sommet, sinon, on n’avancera pas ensemble. Arrivé l’été dernier pour 46,8 millions d’euros, Christian Benteke devrait en être la première victime.
La famille Tuchel
Alors, ce soir, le sentiment devrait être double. Klopp, lui, parle d’une histoire que « seul le football peut écrire » , alors que Michael Zorc, le directeur sportif du Borussia, a exprimé sa peur de voir les sentiments mêlés des supporters de son équipe. Aujourd’hui, Dortmund est revenu à la place qui est la sienne grâce à l’excellent travail de Thomas Tuchel. L’ancien entraîneur de Mayence a réussi à faire du BvB une équipe plus solide et a dépassé l’héritage. Sa mission était un poison, mais il l’a rendu sienne.
Du côté de Mayence, déjà, Tuchel avait fait mieux que Klopp. Il a pris sa place à Dortmund et le manque ne se fait plus sentir, la démonstration offerte au tour précédent contre Tottenham en est la preuve. Ce Borussia est plus équilibré que celui de Klopp malgré sa folie contrôlée. Le duel du soir est donc magnifique sur le papier, car Tuchel a presque fait du Klopp en mieux, déjà, selon certains, alors que Jürgen commence seulement à mettre au propre ses brouillons des premiers mois. Le temps de l’héritage est passé, une page s’est tournée. Au Signal Iduna Park de juger. L’Europe n’attend que ça, et Klopp n’a plus que ça en main. Comme la dernière carte d’une saison sans lumière.
Par Maxime Brigand