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Meriem Naili : « L’idée de Soccer de Rue, c’est servir de tremplin »
Cofondatrice de l’association Soccer de Rue, Meriem Naili cumule les casquettes d’enseignante-chercheuse en faculté de droit à l’université Grenoble Alpes et de coach sportive pour des personnes en situation précaire. Entretien avec une femme tournée vers les plus démunis et au planning surchargé.
Commençons par le début : d’où viens-tu et quel était ton quotidien avant d’entrer en contact avec le football ?
Je suis de la génération 88, issue d’un milieu social très modeste avec un père tunisien et une mère algérienne. Mes parents étaient immigrés et illettrés. Si mon père était encore de ce monde, il aurait eu 100 ans cette année. Quand il est arrivé en France, il avait 29 ans. Il est d’abord passé par La Rochelle, puis Grenoble grâce à des connaissances. J’ai grandi dans le quartier populaire de Saint-Bruno. Mon père était déjà retraité et ma mère enchaînait les petits boulots de ménage. Avec ma sœur, on ne manquait de rien, même si mes premières vacances, c’était à 12 ans. À l’époque, c’était déjà grâce à une association ! (Rires.) J’ai connu le cinéma grâce au Secours populaire. Les cadeaux de Noël, pareil. On allait à la bibliothèque municipale parce que c’était gratuit. C’est sans doute de là que vient mon goût pour la lecture et l’écriture. Mes parents avaient à cœur que nous profitions de ce qu’ils n’avaient pas pu avoir : l’accès à l’éducation.
Qu’est-ce qui t’a amené vers la pratique du football ?
Au départ, je faisais du handball avec ma sœur dans notre collège. Mais à l’adolescence, mon corps a changé, et j’ai dû arrêter, car il y avait trop de contacts physiques. J’étais pivot, donc ça posait un gros souci… En plus de ça, c’était l’époque où j’étais un peu la tête de Turc, le garçon manqué. La fille avec son acné, ses lunettes rondes et ses 20 sur 20, c’était moi ! (Rires.) Mais finalement, ça m’a placée dans une catégorie de personnes. Avec mes potes du lycée, on s’est mis au foot. Mon adaptation s’est faite hyper facilement, je n’ai pas connu de préjugé sexiste. Les garçons que j’avais comme amis m’ont ouvert la porte. Entre personnes mises à l’écart, on s’est rassemblé pour coexister. En parallèle, j’ai commencé à m’intéresser au foot à la télé. La Ligue 1, mais aussi les championnats européens.
Tu avais une équipe favorite ?
Ah ouais, Arsenal ! C’était en 2004, l’année des Invincibles, j’ai adoré. Il y avait beaucoup de joueurs français, je m’identifiais vachement à eux. En plus, je voulais être prof d’anglais à l’époque. Encore aujourd’hui, je les suis à fond et je ne loupe pas un seul de leur match. Le week-end, c’est bien simple : je passe mes après-midi à regarder du foot et le laisser en fond sonore.
Comment est venue cette idée de créer l’association Soccer de Rue ?
La genèse de tout ça, c’est après avoir émigré en Irlande du Nord pour des raisons personnelles. J’ai continué à jouer au foot dans un club local et dans cet environnement-là, j’ai également pu entrer en contact avec l’association Street Soccer Northern Ireland. Ils proposaient du football aux personnes issues de la rue. J’ai donc d’abord été bénévole, puis membre du bureau, puis présidente du bureau. Là-bas, j’ai également découvert la Homeless World Cup. J’ai ensuite quitté l’Irlande du Nord pour l’Angleterre où j’ai fait ma thèse. Ensuite, l’enchaînement Brexit et Covid m’a ramené à Grenoble. En octobre 2020, je me suis lancé avec Robin Lamothe, le cofondateur de l’association à l’époque qui était déjà en lien avec des sans-papiers. J’avais vu les bénéfices que cela avait eus, surtout chez les femmes. C’est tellement simple : tu prends un ballon, tu shootes dedans et ça change nos vies ! Au départ, nous étions quatre ou cinq et maintenant, nous comptons une quarantaine d’hommes et une dizaine de femmes. Ça bouge pas mal, mais officiellement, nous sommes 31 licenciés. Et pour communiquer, il faut s’accrocher : ça parle anglais, mais aussi afghan, arabe, portugais…
À quoi ressemblent les séances ?
En temps normal, à des entraînements classiques : on met la tenue, on s’échauffe et on joue. Cela dit, il y a des situations où il faut gérer des éléments supplémentaires. Si des bénéficiaires ont des chiens, ils peuvent les attacher sur le bord du terrain. Chez les femmes, on accepte aussi les enfants. Dernièrement, une bénévole à la retraite s’est proposée pour garder les enfants quand les mamans jouent. Nous nous adaptons aux conditions de vie des bénéficiaires.
Quel est ton rôle au sein de Soccer de Rue ?
La vraie question, c’est qu’est-ce que je ne fais pas ? (Rires.) Je suis quasiment seule à tout gérer, donc ça va du lavage de chaussettes à la demande de subventions. Tous les aspects, qu’ils soient logistiques, administratifs, financiers ou sociaux pour les bénéficiaires, je suis la coach, l’encadrante, la référente, la psy, l’assistante sociale car il y a des démarches qui n’ont rien à voir avec le foot, l’infirmière quand il y a besoin d’un soin…
Attends, mais c’est un boulot de titan…
Oui. C’est beaucoup de charge mentale, car il faut vraiment penser à tout. Sincèrement, je ne me rends pas compte du temps passé à faire tout cela. Au début, c’était une réunion à cinq et un jeu de ballon une fois par semaine. Et puis c’est allé crescendo… Au fur et à mesure des mois et années, nous avons augmenté notre nombre de bénéficiaires et nos projets. Des matchs amicaux, des tournois. Là, je commence aussi à développer la course à pied, ma deuxième passion. Cette année, il y a déjà quatre courses de prévues. Des personnes viennent jouer au foot, mais il y en a aussi d’autres qui préfèrent se dépenser avec la course, alors je varie les activités.
À quelles problématiques sont confrontés les différents licenciés ?
J’en vois deux principales. La première, c’est l’imprévisibilité. Ce n’est pas facile pour un bénéficiaire dans une situation précaire d’assurer sa présence à l’heure et au lieu de rendez-vous, donc la ponctualité n’est pas toujours respectée. Ce sont des personnes qui ont perdu certains repères et cela prend souvent du temps pour les retrouver. Cela peut être lié à la différence culturelle, à la méconnaissance du secteur ou l’absence de moyens pour utiliser les transports en commun. Parfois, ils n’ont pas de téléphone pour trouver l’endroit. Et puis il se passe tellement de choses dans leur vie qu’ils ne peuvent finalement pas venir. Par exemple, si une personne s’est fait voler son sac de couchage dans la journée, là, l’objectif prioritaire n’est plus l’entraînement, mais de retrouver un sac de couchage pour dormir la nuit prochaine. La deuxième, ce sont les addictions, notamment l’alcool. Certains vont boire le matin et ne pas venir l’après-midi… Et puis sur le plan logistique, le gros problème reste l’absence de véhicule. J’avais une 206, mais j’ai dû la vendre et de toute façon, je ne pouvais pas accueillir sept personnes dedans pour les matchs en dehors de Grenoble. Donc voilà, je recherche un véhicule.
De quoi a également besoin l’association pour continuer sa mission ?
Pour faire simple : tous les dons, qu’ils soient en nature ou financier, sont acceptés. Des chaussures de foot qui traînent dans le placard, des boulangeries qui n’ont pas vendu tous leurs sandwichs de la journée…
S’il y avait une histoire pour comprendre cette réalité, tu nous raconterais laquelle ?
Romy était une joueuse membre de notre association depuis les premières semaines. C’était une jeune femme française très fragile à la fois physiquement et psychologiquement à la suite d’agressions subies plus jeune. Elle a fait plusieurs tentatives de suicide. Cela dit, elle était aussi passionnée par le foot. Quand je l’ai rencontrée, elle faisait la manche et ne pouvait pas travailler, car elle était sous antidépresseurs. Elle est décédée en août 2022. J’étais très proche d’elle, donc j’ai toujours du mal à raconter cette histoire. Nous ne voulions pas en rester là, donc le 27 novembre suivant, le jour de son anniversaire, nous avons organisé un tournoi que nous avons baptisé la Romy Cup. Depuis, nous le faisons chaque année pour mettre en avant les risques liés à la précarité.
Pour d’autres, cette association permet aussi de rebondir…
Oui, certains disparaissent du jour au lendemain et, plus tard, on apprend qu’ils ont retrouvé du travail en ville ou en station de ski. Ce genre de nouvelles fait toujours plaisir ! Pour prendre un cas plus isolé, il y a celui d’Elvira. Elle avait fait un burn-out au travail. Depuis, elle a participé à la Homeless World Cup avec l’équipe de France. Elle n’a pas encore repris une activité professionnelle, mais elle reprend sa vie en main pour retrouver un logement à sa taille, retoucher ses droits au chômage car elle avait perdu le fil. Ces tâches lui semblaient insurmontables, et cela a entraîné une succession de problèmes dans sa vie personnelle. Aujourd’hui, elle a rejoint le bureau de Soccer de Rue. C’est une femme intelligente et avec une bonne vision des choses sur l’aspect social. L’idée de Soccer de Rue, c’est de servir de tremplin.
Le football professionnel soutient-il des initiatives comme la tienne ?
J’aimerais évidemment qu’un joueur professionnel puisse nous soutenir, ne serait-ce que par l’image. La seule chose que je demande dans l’absolu, c’est de la visibilité. Cela pourrait changer tellement de choses ! Le GF38 a récemment organisé une vente aux enchères pour aider les associations qu’il parraine, et cela va participer au financement de nos futurs voyages. Et au-delà de ça, le club nous offre des places pour aller voir des matchs. Certains bénéficiaires entrent dans le stade pour la première fois et ils ne font que prendre des photos ! (Rires.) Cette magie du stade, le fait de partager un moment, c’est une forme de rêve qui se réalise.
L’avenir proche pour Soccer de Rue, c’est quoi ?
Du 10 au 12 mai, nous organisons le tournoi international Solid’Her à l’Anneau de vitesse de Grenoble. C’est un évènement exclusivement féminin unique en France, avec huit équipes nationales représentées, dont le Mexique, champion du monde en titre. Le président de la Homeless World Cup sera d’ailleurs présent pour l’évènement. Pour les femmes, nous aurons également un tournoi prévu en Pologne au mois de juillet et peut-être un tournoi hommes en Allemagne pour juin, cela reste à confirmer, car ce n’est pas garanti d’avoir les fonds. Et au mois d’avril, il y a aussi les sélections de l’équipe de France à Montpellier en vue du Mondial en Corée du Sud prévu en septembre. Il y a de quoi faire !
Propos recueillis par Antoine Donnarieix, à Grenoble