ACTU MERCATO
Savinho, une promesse et des questions
Il n’a fallu que 45 petites minutes à Savinho pour faire comprendre à l’Angleterre que Manchester City avait réalisé la bonne pioche de ce mercato estival. Le Brésilien de 20 ans est arrivé en provenance de Troyes où il n’a jamais disputé la moindre rencontre, ce qui interroge sur la multipropriété, puisque les deux clubs appartiennent au même conglomérat.
Numéro 26 floqué dans le dos, une silhouette svelte et des crochets déroutants sur le côté droit, certains spectateurs présents à Stamford Bridge dimanche dernier pour la victoire de Manchester City face à Chelsea (0-2) ont sans doute dû se frotter les yeux en croyant revoir Riyad Mahrez. Le nouvel ailier des Skyblues est pourtant brésilien, il s’appelle Savinho, mais a assuré s’inspirer de l’international algérien auteur de six saisons remarquées sous les ordres de Pep Guardiola. Celui qui est aujourd’hui à Al-Ahli, en Arabie saoudite, ne s’y est pas trompé et a aussitôt remarqué le point commun entre son jeu et celui de l’attaquant de 20 ans, qui pourrait compter dans la saison de Manchester City.
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— Riyad Mahrez (@Mahrez22) August 20, 2024
Savinho, son œuvre
Depuis plusieurs saisons, les étés se ressemblent à Manchester City, et cela semble fonctionner pour le quadruple champion d’Angleterre en titre. Sans affoler le marché des transferts et avec la volonté de modifier au minimum sa colonne vertébrale, le géant attire certains des joueurs les plus cotés d’Europe pour compléter son puzzle. Cette année, les sommes ont en plus été beaucoup moins hautes que par le passé. Après une saison époustouflante à Gérone, Savinho n’a coûté « que » 25 millions d’euros, quand City avait dû débourser 117 millions pour convaincre Jack Grealish et 60 au moment de faire venir Jérémy Doku.
Comme les deux ailiers, la dernière recrue n’hésite jamais à provoquer son vis-à-vis. « Mon style de jeu est celui d’un Brésilien qui aime affronter les adversaires, être joyeux, jouer un football positif avec des un-contre-un », confiait-il au moment de son arrivée en Angleterre. Ses adversaires en Liga, où il a terminé meilleur dribbleur devant l’insaisissable Nico Williams, peuvent en témoigner, tout comme Marc Cucurella, si bon lors de l’Euro 2024, mais extrêmement en difficulté lors des 45 minutes à enclencher le recul frein face aux percées du jeune Citizen. Celui-ci s’est blessé et est sorti à la mi-temps, mais Pep Guardiola a rassuré sur son état de santé et sur sa présence ce samedi face à Ipswich Town.
Souvent caricaturé pour son amour du contrôle à outrance, symbole de ses années à Barcelone, l’entraîneur de Manchester City semble se prendre d’affection pour ces ailiers électriques capables de tout désordonner. Même s’il a eu besoin d’un peu de temps pour prendre ses marques, Jack Grealish s’est révélé essentiel dans le triplé remporté en 2023 par les Skyblues par ce déséquilibre que ne peuvent pas emmener Kevin De Bruyne ou Bernardo Silva. Depuis le départ de Riyad Mahrez, qui avait justement été moins utilisé durant cette saison dorée, l’aile droite manquait de mordant lorsque Phil Foden était aspiré par l’axe. « L’apport de Savinho pour sa première a été très, très, très bon. Marc Cucurella pouvait contrôler les premières actions de Jérémy Doku, mais pas face à Savinho. Pour son premier match en Angleterre, à Stamford Bridge, une performance aussi bonne envoie un message : il est mûr, il a une bonne personnalité pour devenir un joueur de très haut niveau », s’est justement enthousiasmé Pep Guardiola en conférence de presse après le succès contre Chelsea. Les permutations sur un front offensif particulièrement fourni pourraient être la prochaine révolution menée par le tacticien catalan.
Un cas inédit des dérives de la multipropriété
À seulement 20 ans, le Brésilien ne possède pas un parcours aussi cabossé que Mahrez, son idole, mais il peut se targuer d’avoir déjà connu cinq clubs différents. Formé à l’Atlético Mineiro après une enfance passée à la ferme entre récolte de lait et spectacles de rodéo, il a été acheté par Troyes à l’été 2022 pour plus de 6 millions d’euros. Vous ne vous souvenez plus de ses dribbles chaloupés au stade de l’Aube ? C’est normal, il n’a tout simplement jamais porté le maillot de l’ESTAC, malgré son statut de joueur le plus cher de l’histoire du club. Prêté un an au PSV Eindhoven sans convaincre, il a véritablement explosé la saison suivante à Gérone avec 11 buts et 10 passes décisives toutes compétitions confondues ou encore 104 dribbles réussis en Liga. Il a illuminé l’Espagne avec l’équipe surprise de l’année. Il a ainsi pu découvrir la Seleção et s’envoler vers Manchester, bien loin de Troyes.
Les 25 millions d’euros reviennent tout de même à l’ESTAC, mais ce transfert interroge sur les possibilités qu’ont les clubs appartenant à des groupes multipropriétaires. Troyes, Gérone et Manchester font partie de la galaxie du City Football Group et si les prêts sont devenus monnaie courante entre les différentes entités, les transactions sont plus rares. En septembre dernier, Savinho confiait à El Periodico avoir choisi le club français pour son réseau : « Je savais que Troyes était dans le City Group et je pensais qu’en travaillant, je pourrais un jour arriver à Manchester City. » Une telle affaire dans un même conglomérat pourrait donc faire bouger les lignes de mercatos toujours plus fous. Cet été, Mohamed El Arouch a notamment quitté l’Olympique lyonnais pour Botafogo avec un sérieux pourcentage à la revente, deux clubs du groupe Eagle Football de John Textor, mais pourrait-il y avoir des sommes à plusieurs millions d’euros déboursées entre Strasbourg et Chelsea ou entre Toulouse et l’AC Milan ? L’avenir le dira, mais Manchester City, qui aurait déjà enfreint une centaine de fois les règles du fair-play financier, a peut-être ouvert une porte désormais impossible à refermer.
Par Enzo Leanni