- Football féminin
Mélissa Plaza : « On ne peut pas avoir un championnat de D1 attractif »
Prématurément écartée du circuit professionnel en 2016 à cause d'un corps qui ne suivait plus, Mélissa Plaza est pour autant plus active que jamais : devenue la première joueuse à obtenir un doctorat après avoir soutenu il y a trois ans sa thèse sur les stéréotypes sexués dans le sport, celle qui anime aujourd'hui des conférences sur le sujet publie le 9 mai un livre, Pas pour les filles ? Elle se confie entre message d'espoir et coup de poing sur la table des inégalités.
Comment vous est venue en tête l’idée d’écrire un livre ?On m’a invitée à le faire lors d’une conférence. C’est une dame qui me l’a dit, alors qu’elle ne m’avait entendue parler que quelques minutes. C’était quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps, mais ce que m’a dit cette personne a un peu précipité les choses. D’un point de vue personnel, c’était un besoin cathartique de pouvoir définitivement tourner une page sur certains aspects de ma vie.
On imagine qu’il n’est pas seulement question de relater votre histoire.
Disons qu’il y a l’idée de retracer mon parcours, mais aussi celle de passer des messages d’espoir, pour tous ces enfants déracinés qui ont l’impression qu’ils ne peuvent pas réussir parce qu’ils sont nés au mauvais endroit, pas dans la bonne famille ou dans un quartier défavorisé. C’est leur dire qu’on peut sortir du déterminisme social. Je ne dis pas que j’ai la solution, je n’ai pas de recette magique, mais je dis que c’est possible, on peut réussir sa vie même en partant de rien. C’est aussi un message d’espoir pour toutes les jeunes filles et jeunes femmes : tout est possible, on peut tout s’autoriser, tout envisager, et ne pas écouter ceux qui disent que parce que ce sont des filles, elles ne peuvent pas réussir.
Qu’est-ce que vos travaux sur le sujet vous ont fait comprendre ou vous ont confirmé sur les stéréotypes genrés dans le sport ? Je n’avais pas besoin de confirmation pour savoir que le foot n’était pas perçu comme un sport féminin. Cette thèse m’a permis de mieux comprendre pourquoi on en était encore là aujourd’hui. De comprendre tous ces mécanismes qui sont sous-jacents aux inégalités, aux discriminations, de comprendre aussi comment le système perdure avec des dominants et des dominées. Cela m’a permis un éclairage scientifique et donc une prise de recul. Quand j’étais dans le contexte sportif, j’étais très en colère sans vraiment savoir pourquoi. Je trouvais ça très injuste, comme beaucoup, mais avoir un autre prisme permet d’avoir d’autres leviers ensuite pour agir concrètement en faveur de l’égalité.
Vous vous heurtez encore à beaucoup de discours qui vont à l’encontre de ce que vous défendez ?Oui, tout le temps. Pas plus tard qu’hier [mercredi], quelqu’un m’a dit sur Twitter « par principe je ne suis pas trop pour le foot féminin, mais là ça m’a intéressé » . C’est très ancré, il y a encore beaucoup de réticence. Mais c’est rarement fait de façon malveillante : dernièrement, je jouais avec un copain en foot en salle, et il me dit très sympathiquement et avec beaucoup d’admiration dans la voix : « Tu frappes comme un mec. » Pour lui, c’était un compliment. Moi, ça me paraissait complètement fou. Il y a beaucoup de méconnaissance et de manque d’éducation aussi. Parler de « football féminin » , de « Coupe du monde féminine » , ça nous rappelle juste que c’est considéré comme une sous-discipline du foot, et le football est par essence le standard masculin. C’est une Coupe du monde, et on ne devrait même pas avoir à préciser en fait.
Vous avez bon espoir que cette Coupe du monde organisée en France participe à faire changer les mentalités ?Bien sûr, j’aimerais y croire, et ce serait formidable qu’elles puissent ramener un titre, ce serait certainement catalyseur, car les petites filles ont besoin de modèles qui leur ressemblent. Mais ça ressemble aussi à de la poudre aux yeux, c’est le one shot et ce n’est pas sûr que ça change immédiatement la donne dans les clubs. Il y a une grande différence entre ce qu’on donne à voir et ce qui se passe en interne. Malheureusement, on est encore trop tributaire de volontés politiques qui ne sont pas encore présentes. Et notamment parce que dans les clubs élites, souvent il n’y a que des hommes. La politique est rarement en faveur des joueuses au niveau professionnel. On a de plus en plus de licenciées, ce qui veut dire qu’il y a de plus en plus de clubs qui s’ouvrent aux femmes et petites filles, mais dans les clubs dans lesquels les femmes ont fait du foot leur priorité et leur quasi unique activité, la plupart n’en vivent pas.
On voit encore des problèmes dans les moyens mis en œuvre et le cadre dans lequel les joueuses évoluent.Complètement, les moyens financiers, mais aussi structurels. Il y a des clubs qui n’ont pas de médecin, qui ont des encadrants qui sont incompétents – excusez-moi le terme… On ne peut pas avoir un championnat de D1 attractif : on a des joueuses comme celles de l’Olympique lyonnais qui sont professionnelles, ont tous les moyens humains, financiers et structurels à disposition, contre des filles qui s’entraînent quatre fois par semaine, mais bossent aussi huit heures par jour, se tapent 40 heures de bus pour aller jouer… Ce n’est pas possible, on ne peut pas assister à un spectacle intéressant. Pour la majorité des clubs de D1, ce sont des pratiques amateurs.
Selon vous, les joueuses anciennes et actuelles se doivent de prendre la parole par rapport à cela ?Il y a déjà beaucoup de choses qui pèsent sur les femmes. Je ne suis pas partie prenante de culpabiliser les femmes par rapport à ce qu’elles ne font pas, parce que je sais à quel point, c’est dur d’être dans ce système où règne vraiment l’omerta par moment. Elles essaient déjà d’être performantes malgré le peu de considération qui leur est offert et c’est déjà formidable. L’année dernière à Guingamp, il y a des grèves qui se sont bizarrement éteintes d’un coup. Quand on sait ce qui se passait les années précédentes, je peux vous dire que ce n’était pas joli. C’est très difficile de s’élever contre ça, les rouages sont bien huilés. C’est pour ça qu’aujourd’hui, n’étant plus dedans, je peux me permettre d’être plus marquante et de donner à voir certaines réalités.
L’après-carrière est brutal pour une joueuse professionnelle ?
Ça l’a été pour moi, même en ayant prévu l’après. Quand tout s’arrête d’un coup, c’est très difficile, il faut avoir de fortes ressources et des soutiens. Généralement, vous n’avez pas pu prévoir l’après parce que vous avez alloué toute votre énergie à cette pratique, mais par ailleurs vous avez eu un deuxième boulot parce que vous n’êtes pas ou peu payée, et vous ne mettez pas d’argent de côté parce que vous avez déjà du mal à joindre les deux bouts. Pendant toute votre carrière, on vous a fait croire que vous ne valiez pas plus de 150 balles brut par mois, en plus vous aviez un pauvre boulot chez Mac Do’ pour lequel vous étiez payée 600 euros, et après ça on vous dit de vous lancer dans la vie ? C’est très compliqué, et malheureusement je pense qu’on va en découvrir les effets bientôt, avec ces joueuses qui sont arrivées après les pionnières et qui n’ont pas pu prévoir l’après-carrière parce que les exigences étaient devenues des exigences de professionnelles, mais sans avoir la reconnaissance ni les moyens. Donc elles ont pour la plupart dû abandonner les études pour avoir des boulots d’appoint à coté.
Propos reccueillis par Jérémie Baron
Pas pour les filles ?, par Mélissa Plaza, éditions Robert Laffont, sortie le 9 mai.