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Mélenchon, les joueurs millionnaires et le populisme
En face des présidents qui hurlent à la mort contre les 75%, certains ont lancé la chasse aux « méchants riches » du ballon rond. Dernier en titre : Jean-Luc Mélenchon et sa liste noire (sans jeu de mots) de joueurs « traîtres fiscaux » à la patrie.
Le populisme est devenu la nouvelle menace fantôme de la vie politique (en tout cas à en croire le nombre d’ouvrages qui sortent dessus, Taguieff en tête). Au milieu de cette grande confusion des genres et des discours, le foot fait les frais du nouveau besoin des partis et de leur partisans de se rapprocher d’un peuple qui, paraît-il, ne leur accorde plus sa confiance (bonnet rouge et brun bonnet), si possible en dégainant l’artillerie lourde et lourdingue des banalités de comptoir (à se demander ce qu’en dirait Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues ou encore Léon Bly s’il écrivait de nos jours son Exégèse des lieux communs). Dans ce registre, il faut bien le reconnaître, Jean-Luc Mélenchon vient d’exploser en vol et de ramener son camp plus d’un siècle en arrière. On sait le personnage peu adepte, et encore moins spécialiste, d’un sport dont il se moque de savoir « s’il se joue à la main ou non » . « Mélenchon n’a jamais été foot, rappelait Stéphane Allies, journaliste à Médiapart et co-auteur du livre Mélenchon le Plébéien (Robert Laffont). Pour lui, le footballeur millionnaire reste une caricature de ce qu’il déteste. » Il avait d’ailleurs voté contre l’idée de construire le grand stade de 1998 à Massy.
Durant la campagne de 2012, il avait logiquement confié la conception du « front de gauche du sport » à son proche conseiller Éric Coquerel et au PC, plutôt calé en la matière. Et il figurait pourtant déjà dans son programme une étonnante proposition, qui n’avait alors été relevée par quasiment personne : interdire de sélection nationale ceux qui ne seraient pas fiscalement résidant en France.
« Les footballeurs jouissent déjà de privilèges inouïs »
Il a donc dû potasser ses notes de l’époque où il se rêvait au second tour et il savait sûrement qu’il serait questionné, à un moment ou un autre, sur les 75% et le foot. Une belle occasion de s’offrir au passage un peu de visibilité médiatique en parlant sport (ce qui est plutôt rare pour lui), pendant qu’il s’amuse à coté à semer le doute interne chez ses alliés communistes avant les municipales (un ancien Mitterrandien sait toujours comment se bâtir un destin sur le dos de ses alliés). Il s’est donc fendu d’une belle déclaration sur le sujet d’où exhale toute sa modestie naturelle. « Si j’étais à la tête du pays, ceux qui ne paient pas leurs impôts en France n’auraient pas le droit de jouer en équipe nationale. Je signale que les footballeurs jouissent déjà de privilèges inouïs, comme le fait de ne pas payer de cotisations sur leur droit à l’image alors qu’ils coûtent très cher à la Sécurité sociale. »
Donc, après le scandale des quotas qui voulait séparer les Français en crampons en deux niveaux de citoyens (bref d’atteindre au sacro-saint principe d’égalité garanti par la Constitution), nous voilà désormais confrontés à cette splendide hypothèse de travail : ne pas payer vos impôts en France vous exclurait d’une certaine manière de la communauté nationale. On aurait préféré un petit décalage à gauche contre le « le régime fiscal des impatriés » (un abattement dont profitent les joueurs français qui débarquent en L1 d’un club étranger), la suppression des primes des Bleus ou alors une revendication plus cohérente d’harmonisation européenne. Au contraire, on bourrine sans même prendre la peine d’y réfléchir deux secondes.
Récupérer les électeurs gaucho-lepénistes ?
Alors pourquoi s’arrêter en si bon chemin, autant retirer le droit de vote aux 200 000 « réfugiés économiques » à Londres. Ou faut-il moduler le principe de cette interdiction en fonction du niveau d’imposition des divers championnats (les « Allemands » auraient le droit à deux places chez les Bleus contre zéro aux « Anglais » , une aux « Italiens » ?). Nous pensions en avoir suffisamment soupé de la mise en cause des Tricolores qui chantaient ou non la Marseillaise, mais venant de quelqu’un qui pourfendait les discours simplificateurs de Marine Le Pen sur l’immigration, l’entendre s’en prendre ainsi aux Français émigrés laisse imaginer une sacré marge de manœuvre pour la suite des débats. Ou ne serait-ce qu’une façon déguisée de récupérer les électeurs gaucho-lepénistes, vu les profils des personnes incriminées (en résumé riches & fils d’immigrés) ?
Depuis l’affaire Dreyfus, la gauche française s’est caractérisée par son refus de sacrifier l’éthique et la morale, bref la défense des droits individuels, au nom d’une vision dévoyée de la lutte des classes (on peut défendre un bourgeois militariste quand il est persécuté en tant que juif sans basculer dans le camp de « l’ennemi » pour autant). A-t-on le droit, quand on passe son temps à se réclamer de cette famille politique, de piétiner l’égalité citoyenne parce que les impôts ne sont pas les même en perfide Albion ? Le PC, le seul parti à prendre ouvertement la défense des supporters, ne leur demande pas leur positionnement idéologique. Il n’y pas que les joueurs que le foot rend bête apparemment…
par Nicolas Kssis- Martov