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Mélenchon: « C’est scandaleux que Ribéry gagne un SMIC toutes les quarante minutes ! »

Propos recueillis par Jérémy Collado
Mélenchon: «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>C’est scandaleux que Ribéry gagne un SMIC toutes les quarante minutes !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

La tête dans son portable, Jean-Luc Mélenchon prévient : « J’y connais rien au foot, moi, ça m’intéresse pas, on a vous a prévenu, j’espère. Pas de blague, ça sent le traquenard. » Puis il discute, brillamment, du sport (« la pensée, ce n’est pas plus que du corps pensant, mais jamais moins non plus »), du culte du corps, des gamins, des bénévoles, des footballeurs surpayés, du blanchiment d’argent, du capitalisme… Sans oublier quelques punchlines sur le Qatar et la Coupe du monde au Brésil.

Enfant et adolescent, Albert Camus a été gardien de but en Algérie, et on lui prête cette phrase : « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois. » Le petit Mélenchon de Tanger, lui, n’a pas chaussé les crampons… Pourquoi ce rendez-vous manqué ?

Non, pour moi, c’était l’inverse de Camus : les seules parties de football auxquelles j’ai participé étaient une affreuse mêlée sans intérêt… Je n’étais pas le plus baraqué, ni le plus habile et personne ne m’avait expliqué les règles du jeu… Ce qui fait que je n’en ai gardé que des mauvais souvenirs ! Alors que, quand j’ai joué un peu au handball ou au basket, il me semblait qu’il y avait, dans ma pratique, quelque chose de plus « politique » . Pourtant, je vois mes neveux, avec leurs copains, le football reste l’activité la plus naturelle et spontanée. On jette quelque chose par terre, une boîte, un sac plastique et hop, c’est parti !

Est-ce qu’il y a dans votre désintérêt vis-à-vis du football une sorte de hauteur ou de condescendance de l’intellectuel que vous êtes pour ce qui a trait au « corps » ?

Au contraire ! J’ai toujours eu un rapport intellectuel au football et au sport en général, en tant qu’objet d’étude et sujet de questionnement. Mais je n’ai jamais eu une attitude hostile, contrairement à certains intellectuels ordinaires, qui manifestent un mépris affiché à l’égard de tout ce qui touche au corps et donc au sport. Ils vivent de choses immatérielles, enfermés dans leurs bibliothèques. C’est aussi un peu mon cas, il faut bien le reconnaître, mais j’appartiens à l’école philosophique du matérialisme, donc…

Pourtant, toute l’histoire de la philosophie, c’est la réflexion autour de la relation qu’entretiennent le corps et l’esprit !

Exactement ! Et c’est toute ma formation intellectuelle, les humanités, la culture sportive au sens de la vision du corps inséparable de la vie de l’esprit… Dans le sport, le corps est sa propre fin, alors que le propre des philosophies de l’aliénation, est de toujours commencer par séparer le corps de l’esprit, avant de faire du corps l’ennemi de l’esprit… C’est dans la religion catholique qu’on est allé le plus loin dans cette conception de la « haine du corps » , avec le spectacle du « corps souffrant » de Dieu. Le capitalisme a ensuite « dressé » les corps, celui des ouvriers, captifs enchaînés à leur tâche répétitive. C’est la raison pour laquelle la révolution commence d’abord par une émancipation physique. Le sport honnête pose la dimension du corps libéré, qui cesse d’être une proie pour les autres ! Dans l’imagerie révolutionnaire, le corps combattant et débridé est partout présent.

Et concrètement, dans la sphère politique, ça passe par quoi ? L’éducation sportive à l’école ?

L’émancipation, c’est la liberté de disposer de soi, donc d’abord de son corps. C’est pour cela que j’ai toujours été un ardent partisan de l’éducation sportive, pas comme enseignement subsidiaire comme ça se passe à l’école aujourd’hui, avec l’art plastique, mais comme une matière qui contribue au perfectionnement de l’être humain ! Dans le sport, le corps est considéré comme sa propre fin dans un objectif de dépassement des limites. Objectif absurde, au final, car nous sommes condamnés à une limite : nous sommes mortels. Mais c’est un objectif qui permet de ne pas être assujetti à un destin biologique. Regardez Lionel Messi, il est tout petit et ça ne l’empêche pas d’être le meilleur joueur du monde. Sa taille est une preuve que l’on n’est pas déterminé totalement par la biologie ! Quand on réclame le droit à l’avortement, c’est la même chose : on doit être maître de son corps. Une condition biologique ne doit pas devenir un destin social…

Le sport est vecteur de normes. Et beaucoup de gamins s’identifient aux stars du football. Est-ce qu’en les érigeant comme « modèles » , on n’en demande pas un peu trop aux footballeurs ? Ils sont des sportifs au fond, pas des symboles, bien souvent récupérés par les politiques d’ailleurs…

Tous les êtres humains fonctionnent comme ça. On essaie de s’identifier et donc de reproduire ce qu’on a vu. Le drame commence quand on essaie d’imiter l’autre au point de vouloir être l’autre. C’est la raison pour laquelle les footballeurs doivent être exemplaires sur le plan moral : ils ont une exigence de comportement, une responsabilité, parce que, précisément, ils sont des modèles ! Donc ils ne doivent pas insulter l’arbitre, tricher, s’injurier, se comporter bassement sur un terrain de football. Le sport est dans ses règles autant que dans ses gestes. Ils doivent respecter certaines règles ! Ensuite, il ne faut pas que le football soit le vecteur d’une nouvelle aliénation : le corps triomphant parce qu’il gagne beaucoup d’argent… Le dépassement de soi, voilà la seule exigence du sport. Dès lors, il n’y a pas de différence pour moi entre le gars qui veut courir le 100 mètres le plus rapidement possible et celui qui veut envoyer un être humain dans l’espace ! Sauf que le premier est souvent méprisé.

Pour beaucoup d’entre eux, les footballeurs viennent de milieux peu éduqués, ils n’ont pas pu faire d’études, ont tout sacrifié au sport. C’est assez étrange de vous entendre tenir un discours puritain sur les insultes, les comportements exemplaires : c’est plutôt un discours d’élites bourgeoises qui méprisent le prolo, vous ne trouvez pas ?

Les prolos ne sont pas ce que vous dites. Les bourgeois sont souvent beaucoup plus brutaux. Et puis ces gens, peu éduqués, comme vous dites, n’ont pas « réussi » brutalement ! Vous vous trompez totalement : ils se sont juste enrichis brutalement ! Et ça n’est pas pareil. Réussir, c’est se construire comme être humain. La confusion vient du fait que l’on considère qu’en s’enrichissant, ils ont réussi. « Réussir » comme eux, c’est proposer comme idéal une catégorie entre le Père Noël et le gagnant du Loto, entre le pur hasard et le don du ciel. N’importe qui pourrait être un brillant footballeur ! Et donc n’importe qui pourrait gagner des sommes incroyables, sans cause réelle. C’est scandaleux que Franck Ribéry gagne un SMIC toutes les quarante minutes ! Et quoi ? Il en est au même point que n’importe quel être humain : le matin il se lève, va se laver et boire un café…

Insulter des journalistes, c’est pas bien grave, c’est d’ailleurs un des reproches qu’on vous fait souvent ! Samir Nasri et vous, c’est la même chose au fond ?

Ce qui est différent, c’est que moi, je ne suis pas censé être dans une arène ! Pourquoi devrais-je accepter qu’un médiacrate s’amuse de moi ? J’incarne une cause face à ses ennemis. Je réplique en rendant les coups…

Les footballeurs aussi, non ?

Non, ce n’est pas pareil ! Ils ont une obligation d’exemplarité dans le domaine de leurs règles. Ils ne sont pas des combattants. La vraie question est : qui marche devant dans l’humanité? Je pense que c’est le poète, le chercheur, l’auteur d’un exploit physique. Ceux-là sont dans la gratuité du geste humain : ils donnent contre rien en échange. Le gratuit est la signature de ce qui est radicalement humain. Tout le reste, c’est de l’instinct, certes socialisé, mais juste de l’instinct : la hiérarchie sociale, la réussite par l’argent… Chercher à courir plus vite, par exemple, à l’inverse, c’est quelque chose de profondément humain : ça ne sert absolument à rien ! Je suis donc pour la gratuité fondamentale du geste sportif, c’est celui-là que je respecte, comme celui qui donne de l’amour, en échange de rien… Quand le sportif entre dans la sphère marchande, il sort de la gratuité. Le héros devient alors un bouffon.

Mais le football a-t-il un jour échappé à des contraintes économiques, a-t-il été un jour purement « gratuit » , censé exprimé une éthique sportive déconnectée de l’univers marchand ? Vous êtes d’accord avec Pierre de Coubertin alors, l’important c’est de participer…

Je me méfie un peu de Pierre de Coubertin, vous ne m’en voudrez pas trop, parce que derrière ce sportif-là, le facho n’est pas loin… Je connais aussi les limites du culte du corps, ça peut finir très mal, ces choses-là… Mais je ne juge pas du football en général, je juge du contexte en particulier, celui des conditions de notre époque. Et le football y est transformé, comme tout le reste, par son intégration au système financier mondial qui sera un jour la raison d’une catastrophe de notre civilisation. D’ailleurs, la bulle financière du football qui repose sur un enrichissement sans cause, une création de monnaie sans réalité matérielle et provoque une dette impayable, sera peut-être le déclencheur de la crise financière mondiale. Ça m’amuserait beaucoup.

Vous parlez du système des transferts par exemple ?

On fait comme si les millions donnés pour le transfert d’un joueur faisaient partie des actifs du club. Or c’est faux, cette valeur n’existe pas ! Le joueur n’est que l’intermédiaire d’un échange entre zéro valeur ! Un club va s’endetter avec comme garantie la valeur du joueur. Illusion. Cette valeur ne sera jamais compensée matériellement : on est donc dans la création d’une bulle ! N’oublions pas non plus que des clubs sportifs sont aussi de grandes blanchisseuses pour les oligarques pourris et des émirs corrompus… Mais, le plus drôle, c’est qu’ils vont peut-être eux même faire exploser le système.

Vous parlez du Qatar par exemple ? Où est le problème quand le Qatar rachète le PSG : c’est plutôt rassurant, au moins on sait d’où vient l’argent, non ?

Euh… non ! Vous ne savez rien du tout : on ne sait rien du tout sur la fortune de ces princes qataris et vous savez pourquoi ? Parce que personne ne peut leur demander de comptes ! C’est incroyable. Enfin bon, laissons le Qatar de côté pour l’instant…

C’est un peu la même chose quand on dit : « C’est la faute de l’Europe » : si l’Europe agit mal, c’est parce que les États lui ont laissé la possibilité de le faire en lui déléguant le pouvoir. C’est pareil pour le Qatar !

C’est vous qui le dites.

Pourquoi, on ne peut pas parler du Qatar ?

Si, on peut en parler. Ça comporte des risques, mais pas plus que d’autres choses. Remarquez une chose : on ne parle jamais de la politique du Qatar. On va discuter de celle de Cuba, du Venezuela… On reproche même au Venezuela de distribuer l’argent du pétrole : pourquoi, devrait-on faire l’inverse ? On doit critiquer le Qatar ! Pas pour ses activités sportives, mais pour ses activités politiques et économiques. Elles permettent à une infime partie de la population de s’enrichir sur le dos de tous les autres et surtout de leurs quasi-esclaves ouvriers immigrés. Ce qui est intéressant, c’est de constater à quel point le sport a pris un virage dément avec l’investissement de pays comme le Qatar dans le football. Un stade climatisé dans le désert, il fallait le faire !
Il n’y a pas plus de mérite à admirer une équipe de milliardaires courir derrière un ballon qu’à tirer le bon alignement au bandit manchot.

Olivier Besancenot qui supporte le PSG, c’est un peu comme si on découvrait que votre écrivain préféré, c’est Céline ?

(Rires) Ça pourrait être Céline ! Mais sur ce sujet, je suis très sévère : je ne pardonne pas. Je pense que le racisme et l’antisémitisme sont au-delà de la limite absolue du supportable. Du coup, j’ai beaucoup de mal à faire la lecture de gens qui véhiculent ce genre de pensées. Crève Céline plutôt qu’un principe ! Je pense que Besancenot aime le football, c’est sa génération, sa culture. Il doit sans doute avoir aussi un peu de recul sur tout ça. Mais après, tout le monde n’est pas obligé de faire de la philosophie et je ne suis pas le curé de service pour dire aux autres ce qu’ils doivent faire. En fait, je ne comprends pas comment on peut être fan d’un club : ceux qui ont le plus d’argent achètent des joueurs qui changent de maillot chaque saison… Comment s’identifier à une histoire dans ce cas-là ? Au fond, vous êtes fan de quoi ? D’un nom, d’un fanion ? Une identité collective bidon. Je trouve ça aussi louche que le communautarisme !

On peut être attaché à une histoire, surtout quand elle se mêle à une identité sociale, qu’elle crée du lien social par exemple…

Autrefois ! Même quelqu’un comme moi sait ce que c’est que « les Verts » ! Pourquoi ? Parce que c’étaient les prolos de Saint-Étienne et qu’ils avaient triomphé de tout le monde. Ce qu’on aimait chez les Verts, c’était leur côté prolos héroïques. Mais là, aujourd’hui, c’est quoi ? L’argent ? Le brio ? Il n’y a pas plus de mérite à admirer une équipe de milliardaires courir derrière un ballon qu’à tirer le bon alignement au bandit manchot. Le PSG a mis sept ou huit stars qui poussent bien le ballon et c’est tout !

Vous croyez que c’est pareil en politique, alors : il suffit d’aligner les stars au gouvernement pour faire une bonne politique, efficace et cohérente ?

Ça n’existe pas, ça : si ça marchait, on l’aurait déjà fait ! Le gouvernement des meilleurs, ça s’appelle l’aristocratie. On s’est aperçu que ça tournait encore plus mal que quand on pouvait les changer de temps à autre…

Jean-Luc Mélenchon, il serait quoi sur le terrain ? Un numéro 10 : un peu perso mais qui a une bonne vista ?

Ce que j’aime au rugby, c’est que le type qui est devant passe la balle derrière. Déjà c’est symbolique. Dans le football, je vois bien qu’il faut un stratège, donc ça me rapproche de la politique. Le stratège, c’est celui qui va avoir le talent d’interpréter les situations par rapport au but ! Si c’est ça alors oui, je pense, je serais le numéro 10. Un bon, j’espère…

Derrière, il faut une équipe, ça vous rapproche du football ça aussi, comme en politique. Vous avez les communistes avec vous, ça fait une bonne équipe ça, avec de l’expérience ?

Je dis toujours qu’on ne fait pas de la musique avec une seule note. J’ai toujours été au cœur d’équipes. Certes, de l’extérieur, on ne voit que moi, mais je sais que ça n’est pas vrai : derrière, il y a un ensemble de gens qui se passent la balle. Ma force, ça a toujours été de faire équipe avec les plus coriaces. Certes dans ces équipes, c’est moi qui distribuait la balle, mais aux meilleurs !

Les communistes ne sont pas pour rien dans l’organisation du sport en France. C’est un héritage que vous portez, ça ?

Oui. Il y a aussi les socialistes, les fédérations Léo Lagrange, la CGT… L’organisation du sport en France est le résultat de la lutte de la Libération, de la Résistance, et des valeurs que ces mouvements portaient. Toutes ses règles ont été inventées par le monde d’après-guerre. Il faut se figurer ce monde : une population immense s’arrache de la campagne pour aller en ville faire tourner des usines et des machines. Quand vous êtes dans la nature, vous êtes spontanément inscrits dans des cycles naturels. Le monde va de soi. La construction de l’être humain reçoit un sens par le signal de son harmonie avec son environnement. Quand vous êtes déracinés, c’est dur de trouver un sens… Le sport en proposait un.

Donc le football permet de donner un sens, encore aujourd’hui, à beaucoup de gamins en banlieue qui peuvent sortir de leur condition ?

Oui, mais ce n’est pas le but. De toutes façons, l’être humain contemporain est un être profondément dénaturé. Le sport contenait une idée progressiste affirmant que l’ouvrier n’était pas seulement un ouvrier, c’était aussi un musicien, un artiste, un sportif… Les nôtres ont créé toutes sortes de structures dans lesquelles on pensait que l’être humain s’accomplissait par le sport, notamment le football… Mais aujourd’hui, comment vous trouvez du sens en admirant des mecs gonflés au fric et shootés à mort à la visibilité médiatique ?

Vous savez bien que vous présentez là une caricature du football. Le salaire moyen d’un joueur de Ligue 1, c’est 40 000 euros par mois, 20 000 en Ligue 2… On est loin des sommes astronomiques ?

Attendez… Précisons les choses. C’est pareil quand je parle du patronat ! Je parle du Medef et des très grands patrons, pas du maçon du coin ou du coiffeur qui est persuadé d’être un chef d’entreprise. J’ai été élu local dans l’Essonne, je sais ce qu’est la base du football : des bénévoles, des gamins qui portent fièrement le 10 de Zidane, la buvette du club, l’école de foot, les déplacements… Je parle de ce qui est donné à voir et de ceux qui sont donnés en exemple : je proteste contre ce système amoral et immoral qui rétribue de manière grotesque de type qui courent derrière un ballon ! Et ça ne veut pas dire que je trouve grotesque le fait de courir derrière un ballon : je trouve ça rigolo, comme moi quand je m’habillais en Zorro à 8 ans, j’adorais ça, je m’identifiais à des héros. Mais je trouve grotesque le fait de les payer avec des sommes pareilles ! De plus, je ne suis pas dupe de ces lessiveuses à blanchir du fric et à faire tourner de l’argent qui n’existe pas !

En 2010, vous écriviez sur votre blog que le foot était très excitant parce que « un soviet de soldats millionnaires avait réussi à contraindre un officier à lire une motion d’assemblée générale devant la presse » . Vous ne versez pas un peu dans la caricature du footballeur surpayé par hasard ?

La scène était à la fois tellement drôle et tellement humiliante, de se voir représenter aux yeux du monde par de tels zozos ! Le foot a été happé tout vif dans le système globalitaire : c’était un sport qui se jouait à un certain endroit du monde, il se joue dans le monde entier. C’était un sport qui avait une part considérable de gratuité, de spontanéité : ça n’est plus le cas ! Il y a maintenant des clubs cotés en bourse, rachetés par des milliardaires, des fonds de pension ; et ce système a produit des individus extrêmement égoïstes, en tout cas c’est ce qu’on voit de l’extérieur, des gens supérieurs, immensément riches… Leur apparence n’exprime plus en rien l’idéal de leur sport !
En 1978, en Argentine, ce fut la honte absolue. Les dictateurs ont organisé la Coupe du monde pendant qu’on torturait des gens !

Fin 2013, vous avez demandé qu’un joueur qui ne paie pas ses impôts en France ne puisse pas être sélectionné en équipe de France. Ça sent l’usine à gaz, votre truc, non ? On va tout perdre avec votre système…

Je n’y crois pas une seconde. Vous avez l’air de croire que l’humanité est exclusivement motivée par la cupidité. Au contraire ! Je pense que l’homme n’est ni mauvais ni bon, mais qu’il se construit socialement selon des règles qui s’imposent à lui. Si ces règles sont absurdes et déraisonnables, il devient lui-même absurde et déraisonnable. On voit ça dans le football. Mais ces acteurs jouent une pièce qu’ils n’ont pas écrite ! Si l’on change le système, on changera leur comportement. S’il y a de nouvelles règles, vous croyez qu’il n’y aura plus de mômes pour jouer au foot ? Qu’est-ce qui est premier : le plaisir ou le fric ? Il y aura toujours des mômes pour jouer au foot, des talents qui se construiront…

La Coupe du monde qui s’apprête à avoir lieu au Brésil (et à laquelle participera la France bien sûr…) suscite de nombreuses polémiques : manifestations réprimées par la violence, mort d’un cameraman… Faut-il renoncer à l’organisation de cette Coupe du monde, quand on sait l’importance qu’a par ailleurs le football dans ce pays ?

Pourquoi ferait-on son bonheur à la condition du malheur des autres ? Il y a peut-être moyen d’organiser une Coupe du monde qui ne repose pas sur l’esclavagisme, la violence, l’argent sale et les combines pourries, non ? Ensuite, il faut que dans l’édiction des normes qui président à l’organisation d’une Coupe du monde, on ne présente pas des conditions asociales : on demande au pays qui accueille, le Brésil en l’occurrence, des investissements qu’il ne peut pas faire sans provoquer des manifestations de masse. D’abord des transports publics de qualité, le football après, voilà la hiérarchie proclamée par les manifestants brésiliens ! Je suis d’accord avec eux ! Mais c’est vrai que les Coupes du Monde vont d’une infamie à l’autre. En 1978, en Argentine, ce fut la honte absolue. Les dictateurs ont organisé la Coupe du monde pendant qu’on torturait des gens ! Des massacres organisés industriellement, pendant qu’on jouait au football à côté. Juan Antonio Samaranch a négocié avec les dictateurs la libération des fils à papa parmi les guerilleros et il a topé avec les tortureurs… Ne parlons pas de celle qui va avoir lieu au Qatar ! Le foot mondial va apporter appui à un régime politique barbare qui est une survivance du Moyen-âge. Et encore, le Moyen-âge contenait des aspects beaucoup plus sympathiques que ce machin qui est en plus une infamie écologique !

Est-ce que le côté viril du football, camaraderie entre potes, vous choque ? Pourtant c’est un peu comme en manif, on retrouve le camarade, on boit un coup après ?

Pourquoi ça me choquerait ? Mais ça m’interroge. Pourquoi les héros du football sont toujours masculins ? Qu’est-ce que ça révèle à votre avis ? Eh bien, l’état de la société, le machisme de cette société, la valorisation de l’angoisse masculine qui a toujours quelque chose à se prouver. Tout bon macho, latin et méditerranéen que je suis, j’ai dû apprendre à réviser mes jugements et à être percuté par des évidences : pourquoi ne voit-on pas le foot féminin ?

Vous ne croyez pas que le jour où le foot féminin rapportera autant d’argent que le foot masculin, on en parlera autant ?

Comme au tennis ?

Et en plus il y aura toujours le sous-entendu machiste de dire « Quand même, elles sont pas mal, hein ? »

Peut-être…

Donc le foot, c’est toujours « l’opium du peuple » selon vous ?

Quand j’étais jeune homme, on disait au Portugal que la dictature reposait sur trois « F » : le fado, Fatima (le Lourdes du coin) et le football. La fonction « opium du peuple » est quand même bien inscrite dans l’ADN politique des puissants. « Panem et circences » , ça n’a pas été qu’un mot : c’était une réalité ! Des hommes politiques ont fait leur carrière sur la distraction du peuple… Mais quand même : je suis sûr que le football, c’est comme l’opéra, si vous n’avez pas l’oreille éduquée, vous n’entendez que des glapissements et ça vous agresse. Un jour, il m’est arrivé l’aventure suivante : l’opéra ne m’intéressait pas, mais j’ai entendu La Callas chanter Casta Diva. Ça m’a mis les larmes aux yeux, littéralement. D’un seul coup, je suis entré dans ce monde et j’ai compris de quoi il s’agissait. Peut-être que c’est pareil au foot !

Il faut qu’on aille ensemble voir un match à Geoffroy-Guichard ou à Buenos Aires alors…

Un jour, je tomberai sur le match de ma vie, peut-être !
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Propos recueillis par Jérémy Collado

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