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Mbappé, retour au laboratoire
Quatre ans après avoir quitté l’INF Clairefontaine pour rejoindre le centre de formation de l’AS Monaco, Kylian Mbappé est donc de retour chez lui, à Paris. La troisième tentative du PSG aura été la bonne. Chronique d’une séduction.
Depuis plusieurs mois, il allait à toute vitesse, ne se souciait de rien et s’amusait à conduire avec une maîtrise insolente et l’imprudence attachante que peut être celle d’un gamin de son âge. Jusqu’à cet été, la carrière de Kylian Mbappé ressemblait avant tout au destin tracé par Akhenaton à ce petit frère qui n’a qu’un souhait : devenir grand. Ce même petit frère qui s’obstine « à jouer les sauvages dès l’âge de dix ans » , plus malin que les autres, plus talentueux. « C’est un détail que l’on a capté dès le premier jour avec lui, se souvient Jean-Claude Lafargue, qui aura été l’entraîneur du gosse de Bondy lors de son passage à l’INF Clairefontaine. Kylian n’était pas forcément le genre de joueurs qui en fait beaucoup dans l’activité, mais qui va plutôt avoir un impact positif sur le jeu à chaque prise de balle. Lors de la phase de détection, il n’était pas au-dessus des autres, il était juste différent, le type de gamins pour qui l’on s’arrête quand on passe à côté d’un terrain. » L’enfant Mbappé, lui, est simple, bien éduqué, mais sait surtout où il veut aller. L’histoire raconte que le fils de Wilfried, éducateur à l’AS Bondy, et Fayza, une ancienne handballeuse professionnelle, a tracé dès son plus jeune âge sa route.
Interrogé en janvier dernier par Jérôme Rothen, celui qui n’était alors qu’à ses premières secousses avait fauché toute notion de surprise : « Je ne vais pas dire que je m’y attendais, mais je m’y étais préparé, oui. J’ai un plan de carrière que j’ai fait depuis mon plus jeune âge. Je sais ce que je veux faire, où je veux aller et je ne laisserai rien me perturber. » Comme si Kylian Mbappé avait rapidement compris qu’il représenterait bientôt quelque chose qui lui échapperait : un jeune adulte que l’on regarderait un jour avec les yeux de l’amour. « On dit que ce sont les footballeurs qui changent avec l’argent, le statut ou la reconnaissance, mais non, affirmait il y a quelques semaines dans un entretien donné à Libération le milieu niçois Jean-Victor Makengo, lui aussi courtisé par des gros bras étrangers très tôt dans sa carrière. Si vous entrez dans une pièce et que vous serrez la main à trois personnes en oubliant une quatrième parce qu’elle est cachée, personne n’en fera une histoire. Mais si un joueur de foot entre dans la même pièce, serre la main aux trois mêmes personnes et oublie la dernière, on va raconter qu’il n’est pas correct. Ce n’est plus Jean-Victor, c’est le joueur de Nice. » Un exemple à montrer aux gosses, un symbole, voilà aussi ce qu’est devenu depuis quelques mois Mbappé et c’est aussi ce qu’a acheté le PSG, au-delà d’un phénomène sportif de dix-huit ans et de multiples problématiques qui dansent avec une démesure qui donne, depuis quelques heures, de nouveau le vertige.
« Ici, je ne suis pas Mbappé, je suis Kylian »
C’est avant tout pour ça que Kylian Mbappé était revenu chez lui, à Bondy, le 18 mai dernier, au lendemain de l’obtention du titre de champion de France avec l’AS Monaco. « Personne ne peut comprendre l’émotion que j’ai aujourd’hui, avait alors lâché le jeune international français. C’est la ville que j’ai connue, dans laquelle j’ai grandi, où je me suis développé, où j’ai laissé une partie de moi.(…)Ici, je ne suis pas Mbappé, je suis juste Kylian. » Bondy, la Seine-Saint-Denis, le numéro quatre de l’allée des Lilas, le stade Léo-Lagrange que l’on voit à travers la fenêtre de l’appartement familial, voilà le tableau de départ d’un enfant qui a toujours « baigné dans le foot » , en suivant notamment la carrière du frère adoptif, Jirès Kembo-Ekoko. Kylian Mbappé est alors un gosse comme les autres, de ceux qui se défoncent avec un ballon en cuir au terrain d’à côté et qui achèvent le week-end entre Jour de foot et L’équipe du dimanche.
Rapidement, son père, Wilfried, l’emmène avec lui à l’AS Bondy après avoir dégagé « la peur de ne pas avoir suffisamment de recul pour l’entraîner. Quand il a commencé le foot à sept, on a commencé à comprendre, mais sans imaginer non plus qu’il ferait carrière. » Le fils, lui, a des rêves classiques – l’équipe de France, le Ballon d’or, la Ligue des champions – et se contente de faire gagner son équipe à lui tout seul alors que tous les recruteurs d’Île-de-France commencent à débarquer. « Il était déjà connu car, à cette époque-là, tout le monde en parlait, rembobine l’ancien responsable du recrutement de l’AS Monaco, Souleymane Camara. Nous aussi, on a dépêché quelques recruteurs pour l’observer. Je me suis aussi déplacé à plusieurs reprises pour le suivre. On ne fait que rarement signer un joueur après une observation. Je l’ai vu sur sept-huit matchs, dont un match où il m’a convaincu à Clairefontaine contre Torcy. Quand on le regarde, on peut avoir l’impression que c’est un joueur un peu individualiste, mais déjà à cette époque, il avait deux facettes : l’égoïste devant le but et l’altruiste pour faire marquer ses coéquipiers. »
Les billes et le revolver
Réflexe de sauvegarde, Mbappé est rapidement protégé par sa famille. Tout et n’importe quoi a été raconté au sujet du désormais joueur français le plus cher de l’histoire du foot, mais oui, il y a bien eu de premières approches du PSG à l’adolescence. Des touches plus sérieuses qu’une simple visite – ce qu’a fait Kylian Mbappé au Real par exemple –, même si le premier rendez-vous y ressemblait. C’était en 2009, le joueur avait neuf ans et avait fait un tour du Parc des Princes et du Camp des Loges avec des adultes qui discutaient de choses qu’il ne maîtrisait pas vraiment. Le club parisien reviendra mettre un coup dans la porte de la famille lors du séjour de Mbappé à l’INF (2011-2013), mais le seul accord moral ira ailleurs : au Stade Malherbe de Caen, avec qui Kylian Mbappé jouera même l’Atlantic Cup en 2010. Virage, en mai 2013, Caen rate la montée en Ligue 1 et Monaco décroche son retour dans l’élite. Le clan Mbappé hésite et favorise finalement la formation française à des conditions très favorables. Dans l’environnement de l’AS Monaco, tout le monde est clair : jamais le club n’avait autant investi sur un pari, pour l’entourage comme pour le joueur. Au point de voir certains salariés grincer des dents. « On lui a rapidement mis la casquette du gamin qui devait aller au Real Madrid. On ne lui a pas fait de cadeau, il a souffert, mais il n’a rien lâché » , souffle Camara. Un ancien formateur parle, lui, d’un « entourage oppressant. C’était tendu. Il ne travaillait pas beaucoup, il ne bossait pas vraiment ses points faibles, mais c’est le résultat de l’éducation d’enfant star qu’il a reçue. Il lui manque quelques notions d’humilité et de travail, ce qui fait qu’il ne pourra jamais jouer dans un club comme l’Atlético par exemple. »
La troisième tentative aura donc été la bonne, et tard dans la soirée de dimanche, on a compris que Mbappé allait finalement rentrer à la maison. « La politique du PSG a changé maintenant, confiait-il dans une interview donnée au Parisien il y a plusieurs mois. Les jeunes ont désormais plus de chances de jouer au plus haut niveau. » À lui désormais d’assumer le paradoxe d’avoir repoussé les offres de l’Europe entière pour courir dans les bras d’un club qui ne le fera certainement pas jouer à son poste. Le petit frère est déjà devenu grand, a laissé la trace qu’il souhaitait à Monaco avant de partir et peut donc poursuivre la courbe d’un plan dessiné un jour dans une chambre d’enfant à Bondy. L’histoire veut que ce ne soit que le début, car le petit frère n’a aujourd’hui plus de cartable et ne joue plus aux billes : le voilà tombé dans les bras d’une femme qui vient de définitivement sortir son revolver pour déréguler une nouvelle fois le marché et offrir une piste rêvée – même si la forme met mal à l’aise – à l’une des plus belles promesses de sa génération.
Par Maxime Brigand
Tous propos recueillis par MB.