- Coupe du monde
Mbappé, comme un grand
Kylian Mbappé vient peut-être d'effectuer sa première prise de parole d'importance au sein de la petite famille du football. L'attaquant français s'est en effet exprimé comme un grand pour dénoncer la Coupe du monde tous les deux ans. Une réaction qui éborgne encore un peu davantage la com' de la FIFA à ce propos.
Venu récupérer à Dubaï son prix de meilleur joueur de l’année aux Globe Soccer Awards, l’attaquant du PSG n’a pour une fois pas fui la polémique ni la controverse. Sollicité pour donner son avis concernant la Coupe du monde tous les deux ans, réforme portée par Arsène Wenger et devenue le rêve fou de Gianni Infantino, il a exprimé son opposition sans détour : « Tous les joueurs, tout le monde parle de cela [la Coupe du monde] comme la meilleure compétition au monde. Si tu l’as tous les deux ans, cela peut commencer à devenir quelque chose de « normal » de jouer une Coupe du monde. Je veux dire que ce n’est pas normal, c’est quelque chose d’extraordinaire. » Naturellement, l’oralité du propos s’avère plutôt confuse. Cependant elle condense l’essentiel des critiques adressées à l’encontre de ce véritable sacrilège. Pour résumer, le Mondial doit demeurer un événement hors norme, exceptionnel dans l’existence des sélections nationales comme dans le parcours d’un joueur. Son rythme, calqué sur celui des JO, fonde cette légitime prétention historique, et garantit son audience planétaire.
Trop jouer, mal jouer ?
Plus loin, l’enfant chéri de Bondy enchaîne sur l’autre principale inquiétude, développée à la fois par les syndicats de joueurs et les clubs (qui ont néanmoins également leurs propres préoccupations économiques) : le gonflement du calendrier risque d’avoir aussi de graves conséquences sur les footballeurs dont les blessures et autres soucis de santé représentent désormais la pire hantise. Sans parler aussi de l’affaissement du niveau de jeu. « On joue déjà soixante matchs dans l’année. Il y a l’Euro, il y a la Coupe du monde, il y a maintenant la Ligue des nations. Il y a tellement de compétitions… On doit se reposer, on doit se relaxer. Si les gens veulent voir des matchs à la télé, bien sûr qu’on va jouer, mais s’ils veulent voir des matchs de qualité, de l’émotion, ce qui fait la beauté du football aussi, il faut respecter la santé des joueurs » , a appuyé l’ancien Monégasque. Une problématique qui ne concerne évidemment pas que les mégastars des championnats du Vieux Continent, sur lesquelles personne n’a envie de pleurer, mais l’ensemble des « salariés » à crampons, y compris parmi les plus humbles nations au classement.
Porte-parole des « jeunes générations »
Ce rejet argumenté au nom de la dimension à la fois culturelle, sociale et professionnelle de ce sport, vient prolonger les réticences déjà énoncées par Didier Deschamps ou Thierry Henry, pour ne prendre que des concitoyens. Sans omettre plus globalement un front du refus européen (Premier League, LFP, etc.) assez uni, à l’exception de quelques francs-tireurs comme notre Noël Le Graët national, toujours en avance sur son temps. Toutefois, de par son statut, sa jeunesse et l’avenir du football qu’il incarne, les quelques phrases de Kylian Mbappé dépassent le seul cadre des lignes de fracture institutionnelles au sein du petit monde du ballon rond (CAF vs UEFA, etc.). Le champion du monde appartient à ces « jeunes générations » dont se réclame pourtant Gianni Infantino pour justifier la nécessité de disputer un Mondial tous les deux ans. Des « jeunes générations » qui désireraient selon monsieur le Président toujours plus de foot, à la télé, sur leur smartphone, pour alimenter le futur FIFA « 202quelquechose » ou encore stimuler leur addiction aux paris en ligne. Or il s’agit aussi de ces mêmes « jeunes générations » qui considèrent donc Mbappé comme l’un des leurs et un modèle. De la sorte, sa critique irradie bien au-delà de son rôle de grand joueur. Et en intervenant dans ce débat essentiel, il vient effectivement d’agir comme un grand.
Seul problème – que personne n’ignore -, la FIFA et son big boss s’en moquent éperdument. Leur objectif n’est pas de réformer ou d’améliorer le Mondial pour le rendre plus attractif (on peut difficilement faire mieux). Il s’agit juste de le rentabiliser au maximum. Et quand Kylian Mbappé parle de s’élever (comme joueur) lors d’une Coupe du monde, Infantino n’a que les retombées (financières) en tête.
Par Nicolas Kssis Martov