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Maxime Roumier : « Tout le monde est resté spectateur »

Propos recueillis par Raphaël Gaftarnik
Maxime Roumier : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tout le monde est resté spectateur<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a trois mois, Maxime Roumier, jeune arbitre de 20 ans, était agressé lors d'un match de DHR entre Marmande et Pessac. Après quelques jours d'ITT, l'homme en jaune a repris le sifflet tandis que son agresseur vient d'écoper de 30 ans de suspension. Un record, mais aussi une décision logique selon Maxime qui, après avoir pris quelques pains, a décidé d'en asséner certains au monde du football.

Comment as-tu pris connaissance de la sanction ?

Par les réseaux sociaux et les médias. Depuis l’année dernière, les sanctions ne peuvent plus être publiées. Donc je ne suis pas censé être au courant « officiellement » . Mais avec le président, le bouche-à-oreille, tout le monde le sait, surtout que c’est une grosse sanction. D’ailleurs, vous remarquerez que les sanctions sont anonymes, on n’a plus le droit vis-à-vis de la CNIL.

30 ans, c’est une sanction très lourde. Quelle est ta réaction par rapport à cette suspension ?

Je ne suis pas très surpris. Il y a vraiment une recrudescence, surtout en Aquitaine, de la violence, qu’elle soit physique ou verbale. Le comité directeur de la Ligue aquitaine avait adopté un nouveau barème aggravé où il doublait les sanctions concernant les violences physiques sur un terrain. C’était le premier cas qui se jugeait après l’adoption de cette décision. Je savais que la sanction serait là.

Est-ce selon toi une décision proportionnée ?

Évidemment, la pression est redescendue. L’agression remonte presque à 3 mois maintenant, donc j’ai pu un peu redescendre. Mais je trouve ça justifié. Il faut savoir qu’un simple coup de poing peut tuer en fonction d’où il est placé. Il faut qu’on en prenne tous conscience, spectateurs compris, qu’on prenne du recul et qu’on se dise que le sport est un jeu, encore plus à notre niveau. Il n’y a pas d’argent ou très peu en jeu, y a pas de Coupe du monde. Quand on voit la recrudescence des violences, des blessures graves…

Tu estimes que ces actes sont monnaie courante ?

J’ai un collègue qui a eu 15 jours d’ITT, c’est grave. Il a pris deux coups de poing, il a eu quelques bleus, rien de dramatique au final. Mais encore heureux ! C’est à l’image de la Ligue 1. Plus le temps passe, plus le haut niveau me dégoûte en terme d’argent, en terme d’égo, de violences physiques et verbales. Évidemment, les violences physiques ne sont pas montrées, filmées, mais moi, en tant qu’arbitre, je sais très bien que les arbitres de Ligue 1, ils se font chahuter verbalement. Et ils ne peuvent rien faire, c’est leur quotidien. S’il y a carton à chaque fois, on ne finit pas un match. C’était pas ça y a 10 ans. Les arbitres ont une mauvaise image parce que, soi-disant, on est fermés au dialogue. Mais pourquoi ? On a l’impression qu’il y a même une haine de l’arbitre. C’est incroyable, juste parce que tu es le flic du terrain. Les gens en France ne supportent plus l’autorité, le règlement, les lois, et encore moins les sanctions. Or, c’est pour ça qu’on est là. Mais je trouve que c’est un reflet de la société. On voit ça partout. C’est un problème de mentalité et d’éducation avant tout.

Pour revenir à l’agression en elle-même, peux-tu resituer le contexte de la rencontre ?

Pendant le match, ce n’était pas du tout tendu. Je n’avais qu’un carton à ce moment-là. Et ensuite, il y a deux rouges. Le premier, je le mets suite à un attroupement et il n’y avait rien à dire. Un joueur un peu trop virulent avec l’adversaire, je le mets dehors. L’expulsé, un joueur de Pessac, est ensuite allé chambrer le public en faisant des doigts d’honneur, en menaçant, en provoquant. Donc il y a eu des tensions entre le public et les joueurs de Pessac. Pessac perdait, ils étaient à l’extérieur, ils s’embrouillent avec le public. Donc là, on sent que c’est tendu. Mais avant ça, le match était plutôt tranquille.

À quel moment cela a dérapé pour toi ?

Le deuxième rouge, je le mets à mon agresseur. Après la première expulsion, Pessac prend un deuxième but, donc il pète un peu les plombs. Il avait des problèmes perso, assez importants et graves, il a joué là-dessus en commission. En gros, sur le terrain, il fait une micro-faute, je la siffle et il vient me percuter. Lui dit qu’il a trébuché en courant. Moi, je suis persuadé que non. J’étais dos à lui, il percute mon épaule. Je lui met rouge, et là, son visage change.

Tu as su qu’il allait te rentrer dedans ?

Avant le rouge, il me percute, mais il n’y a pas de coups. Au moment où je mets rouge, il ne s’y attendait pas et j’étais certain qu’il allait me frapper. Je n’avais pas peur, je me suis dit : « Il va venir, me frapper, puis être maîtrisé » mais je le savais. Là, on a eu un long tête-contre-tête pendant près de 30 secondes avant les droites.

Donc au début, tu ne te démontes pas ?

J’étais certain d’en prendre. Ce qui m’a surpris, c’est la durée du tête-contre-tête. Tout le monde était à côté, tout le monde a eu le temps de venir. Et ils sont restés spectateurs. Je me suis dit, à la limite, il faut qu’il me tape, sinon, il va avoir trois fois rien et, aujourd’hui, on ne serait pas en train de parler. Après, il m’en met une-deux, on est séparés, et il réussit à revenir tête-contre-tête. Quand il est revenu la seconde fois, j’ai eu vraiment peur et je me suis dit : « Là, il va vraiment m’éclater » . Et au final, je sais pas pourquoi, il n’a rien fait. Il a dû se dire que ça allait trop loin, il a pensé à lui. Il a 37 ans, plus rien à perdre dans le foot, mais je pense qu’il a plus eu peur du pénal. Du coup, il a eu cette lucidité. Après, j’ai discuté avec ses collègues de match, j’en ai vu un hier (interview réalisée le 7 mai, ndlr), là où je travaille. Il m’a dit : « Lui, c’est tout le temps ça, il pète un plomb, il va frapper l’arbitre et là il est incontrôlable. En revanche après, au bout de 30 secondes, il revient vers toi pour discuter et pour t’expliquer pourquoi il a fait ça. »
En fin de commission de discipline, il est venu me serrer la main, s’excuser les yeux dans les yeux et me dire qu’il assumait son geste, que rien ne le pardonnait et qu’il en accepterait les conséquences.

Ça s’est finalement calmé rapidement ?

Non, car c’est surtout ensuite que ça a été très chaud. La commission de discipline a surtout traité des faits qui ont suivi… Après, dans les tribunes, même si nous, les arbitres, on s’est réfugiés dans les vestiaires, y a eu une énorme bagarre. Des joueurs de Marmande sont montés pour défendre les spectateurs. Y avait pas mal de personnes impliquées. Mais là, c’était beaucoup plus flou. Contrairement à l’agression sur moi. En tribunes, on n’a pas l’identité de tout le monde, on ne sait pas qui a tapé qui.

Vous vous êtes parlés lors de l’audition ?

Juste à la toute fin, il est venu me serrer la main et me dire les yeux dans les yeux qu’il était désolé et qu’il assumait son geste. Que rien ne pardonnait son geste et qu’il en accepterait les conséquences. Ça se voit que c’est pétage de plomb. Je ne veux pas dire qu’il n’est pas méchant, parce que pour le faire, il faut être un peu méchant. Mais ce n’est pour moi pas le plus méchant des joueurs de son équipe. Il est honnête. Déjà, il est venu à la commission, y en a plein qui ne seraient pas venus. Il n’avait plus rien à perdre, il a 37 ans, il savait qu’il allait prendre au moins 10 ans. Il n’avait aucun intérêt à venir. Bon, après, ce qu’il m’a fait, je ne peux pas l’excuser, mais il a fait la démarche et j’ai apprécié.

Quand tu dis que ce n’est pas le plus méchant de son équipe…

Le capitaine de Pessac m’a prévenu avant le début du match, en me disant que c’était une équipe un peu chaude. Que si j’avais un problème avec tel joueur, il fallait que je passe par lui. Ce sont des confidences que pas mal de capitaines nous font avant-match, mais quand je vois les faits, je me dis que ce n’est pas une coïncidence. Et puis de toute façon, l’équipe est très connue de ces faits-là. Ce n’est pas toute l’équipe, mais des individualités. C’est tombé sur moi, c’est tombé sur d’autres avant aussi. Mais pour le coup, ça ne tombera plus sur personne avec lui. C’est déjà un bon point. De toute façon, l’équipe va bouger. Il n’y aura plus le même coach, pas mal de joueurs vont partir. Après, ce n’est pas la volonté ni de la commission ni la mienne de faire mal à l’équipe.

Combien de temps as-tu été indisponible ?

Je n’ai pas arbitré pendant 3 semaines, et j’ai eu 5 jours d’ITT. J’arbitre aussi en 19 nationaux, j’ai donc repris par les jeunes. Les Séniors, je ne les ai arbitrés de nouveau que 5 ou 6 semaines après. J’ai eu une grosse cassure.

Tu as retrouvé les terrains avec un peu d’appréhension ?

Il ne faut surtout pas que ça change. J’ai vécu cette scène, donc si ça vient à se reproduire, je saurai comment réagir. Je considère que c’est juste une force, même si je m’en serais bien passé. Ça ne change rien à mes relations avec les joueurs, ni à ma sévérité. Je mets le moins de carton possible. Il faut maintenant qu’avec ces violences, il n’y ait plus aucun état d’âme avec les sanctions. Il faut qu’on soit intransigeant avec l’intolérable. Ce qui me scandalise quand je décris les scènes, c’est qu’on me dit que les insultes ne sont pas graves. Mais c’est grave. On le banalise. On a toléré trop de choses dans le foot. Par exemple, on voit les présidents et joueurs de Ligue 1, Aulas, Zlatan faire des choses inadmissibles.

Vu le contexte que tu décris, as-tu envie de poursuivre ta carrière d’arbitre à plus haut niveau ?

Évidemment. Moi, j’ai envie d’aller le plus loin possible. On ne peut pas prévoir, juste avoir l’ambition. On prend notre plaisir tous les week-ends, c’est de plus en plus difficile de monter en grade. Là, on peut monter uniquement, au mieux, un échelon par année.

Cette histoire te servira-t-elle dans ta progression en tant qu’arbitre ?

Soit ça ne changera rien, soit c’est négatif pour moi. Un arbitre, que ce soit sur le terrain et en dehors, on ne doit pas entendre parler de lui. La Fédé insiste. Il faut savoir que les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, sont scrutés. On ne peut pas sortir n’importe où le jeudi soir. On est très regardés et on doit être les plus pros possibles en dehors du terrain. Ce genre d’affaires, je ne l’ai pas choisi, mais le fait est que mon nom ressort. Ce n’est pas de la bonne pub.
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Propos recueillis par Raphaël Gaftarnik

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