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« Les capos lyonnais m'ont dit : "Tu peux filmer, mais on ne garantit pas ta sécurité" »
Maxence Voiseux s'est lancé le défi de dresser le tableau de la politisation des groupes de supporters de l'Olympique lyonnais à travers son nouveau film, Ultras. Certains lui reprochent de ne montrer qu'une seule pensée politique, quand d'autres auraient souhaité qu'il ne donne pas la parole à l'extrême droite. Le réalisateur, supporter de l'OL, regrette surtout la difficulté à filmer dans un milieu aussi fermé et méfiant.
Après un premier film sur les tribunes lyonnaises (Tu seras un ultra, 2020), pourquoi as-tu décidé de te pencher sur l’aspect politique des ultras ?
Mon premier court-métrage faisait 10 minutes, mais j’avais fait une cinquantaine d’entretiens et je voulais créer quelque chose de plus long. En me replongeant dedans, j’ai vite vu que ça tournait autour de la politique, des mouvements sociaux, de la rue, etc. Les groupes se disent apolitiques, mais passent perpétuellement des messages politiques.
On voit notamment des images de manifestations lors de la grève des gilets jaunes ou face aux répressions policières que subissent les supporters.
Je voulais montrer cette dimension collective à travers la politisation. Les ultras produisent des cagnottes, des rassemblements, des moments de parole quand il se passe quelque chose dans leur communauté. Le film s’ouvre et se ferme sur la Fête des lumières organisée clandestinement par les groupes de supporters en pleine période de confinement. Oui, le foot est prédominant – enfin, le football populaire avant tout –, mais, pour eux, ça va au-delà, c’est une vraie culture. S’éloigner du stade permet surtout de voir que le sport n’est qu’un prétexte pour se rassembler et pour afficher certains symboles. Ils veulent mettre en avant une histoire collective, ils disent tenir les murs du club et de la ville. À Lyon, je pense qu’il y a une dimension encore plus forte.
Un supporter, masqué puis arborant un poing américain, dit justement : « Lyon 1950, ça reste nationaliste, patriote. C’est français, c’est Lyon, et c’est comme ça. On est français, et puis c’est tout. On est nés en France, il faut assumer. » Mieux vaut mettre en avant cette vision plutôt que de l’invisibiliser selon toi ?
Chaque ville a sa couleur politique, et chaque groupe de supporters la reflète. J’aurais peut-être la même chose à Nice ou Metz, mais complètement l’inverse à Montpellier ou Lens. À Lyon, c’est plutôt conservateur, catholique et identitaire. Je ne peux pas être le porte-parole de tous les ultras lyonnais, mais il y a suffisamment de supporters qui pensent comme lui pour que je ne puisse pas fermer les yeux. On me reproche de lui avoir donné la parole, mais je pense qu’on m’aurait encore plus reproché de ne pas parler des dérives extrêmes. Ça ne raconte pas tout du groupe, ça parle de certains individus, et Dieu sait qu’il y en a à Lyon. Je ne voulais pas nier une partie du réel.
Depuis la sortie, tu t’es attiré les foudres des ultras et de l’Olympique lyonnais.
Oui, il a été très mal reçu, et c’est une vraie déception. J’avais tissé des liens forts avec cinq ou six supporters. Dès que le communiqué de Lyon 1950 est sorti pour interdire les relations avec les médias à la sortie du film, je n’ai plus eu aucune nouvelle. C’est dur humainement, mais aussi professionnellement, car on voulait créer un débat entre les différentes parties qui sont en conflit depuis longtemps. Finalement, c’est un boycott général, et personne ne veut entendre parler de nous, alors que c’est loin d’être un film clivant. Le club a condamné par principe, en disant notamment que j’ai mis des gars d’extrême droite en avant alors qu’il a fait le ménage, mais tout le monde sait qu’il en reste encore dans les tribunes. Ça ne ressemble pas aux productions Netflix ou Amazon qui se contentent de faire la communication du club. Surtout que le club m’a souvent mis des bâtons dans les roues pendant le tournage.
Le milieu est justement très cloisonné, comment filmer ce petit monde ?
J’ai eu de nombreuses interdictions de filmer, j’ai rapidement su que ça allait être galère. Pour mon premier court-métrage, plus consensuel, j’en avais déjà bavé. J’aborde des milieux qui ne se laissent pas facilement approcher. J’ai filmé le Parti socialiste en 2017, mais là c’est vraiment compliqué de travailler. Ils ne m’ont pas donné accès à ce que je voulais. Le stade et les virages étaient essentiels pour moi, et je n’ai pas pu m’approcher par exemple. Par contre, le club m’a convié dans le PC de sécurité du Groupama Stadium en étant fier de montrer que les supporters sont surveillés… Ils ne sont pas conscients de l’image que cela renvoie !
C’était un véritable défi au niveau du tournage ?
Je n’avais jamais fait un film aussi difficile, c’était infernal. Avec le peu de confiance accordée, il fallait que je trouve des techniques de cinéma pour passer au-dessus. J’ai fait de nouvelles batteries d’entretiens pour raconter ce qui n’est pas filmable. Une petite moitié du film provient des archives, car on est dans l’incapacité de filmer certaines choses. Les questions sociales sont cristallisées autour du mouvement des gilets jaunes, donc impossible de tirer des scènes. Je les ai aussi utilisées pour les moments passés, comme la minute de silence à Gerland en 2005 pour l’hommage aux deux supporters décédés. Filmer les supporters qui font un simple tifo est impossible à Lyon alors que ce n’est pas le cas à Bordeaux ou Lens, j’ai sûrement choisi le mauvais ticket. Lors d’une assemblée générale d’un groupe, j’ai demandé aux capos l’autorisation et ils m’ont répondu : « Tu peux filmer, mais on ne garantit pas ta sécurité. » Ça pose le contexte. Pour Nicolas Hourcade (professeur de sociologie à l’École centrale de Lyon et spécialiste du mouvement des supporters, NDLR), je paye surtout le contexte d’hostilité qui existe depuis quinze ans. À savoir, les médias ont trop tapé sur les supporters, donc eux ne veulent plus parler à personne en retour.
Tu avais regardé d’autres films ou documentaires sur le sujet pour voir les différentes approches ?
Mes sources sont principalement les iconographies et les archives produites par les groupes de supporters. Après, en matièrede cinéma, j’ai notamment vu un documentaire italien très intéressant (qui n’est pas Ultras, le film consacré aux tifosi napolitains sorti sur Netflix, que Maxence Voiseux a détesté, NDLR). J’avais aussi vu la saga Hooligans, mais je ne pouvais pas me permettre de faire de la fiction et je ne mêle pas ultras et hooligans. J’en ai vu assez peu parce qu’il n’y en a pas tant que ça. Je pense que c’est un monde qui fait peur et que les cinéastes n’y vont pas.
Après cette expérience et les retours contrastés, tu as encore envie de t’intéresser à ce sujet ?
Pour le moment, j’en ai un peu ma claque. Le film a gagné un beau prix lors d’un festival, mais il se fait enfoncer par Télérama, qui insinue que je n’ai pas de distance avec mon sujet, car je ne condamne pas les propos tenus. Ce n’est pas le rôle du cinéma. Les Lyonnais aiment bien, mais les ultras ne parlent plus. C’est trop clivant, et je le regrette. Maintenant que je connais les difficultés de Lyon, je me dis qu’en allant dans d’autres clubs, ça devrait être plus simple. Je suis fatigué, mais ça me passionne tellement que je serai peut-être capable d’y retourner. Mais sous une autre forme !
Le documentaire est disponible sur la plateforme streaming de France TV.
Propos recueillis par Enzo Leanni
Photos : La Générale de Production.