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Matthias Jaissle, joue-la comme Nagelsmann
Alors qu'il n'a que quelques mois de coaching professionnel dans les pattes, Matthias Jaissle s'impose à Salzbourg et va défier le LOSC ce mercredi. À 33 ans, l'Allemand a déjà pété le record du meilleur début de saison en Autriche, et son ambition est gargantuesque. Son cocktail repose sur des ingrédients bien choisis : pédagogie, tactique précise et un passé de joueur inachevé. Une méthode qui ressemble étrangement à celle de Julian Nagelsmann. Normal, ils sont tous les deux passés par le shaker Red Bull.
Le 14 septembre dernier, et pour la première fois, l’hymne de la Ligue des champions résonne dans les oreilles de Matthias Jaissle. Fraîchement arrivé à Salzbourg, l’entraîneur de 33 ans n’avait jamais posé son derrière sur un banc en pro avant janvier 2021. Ce qui ne l’empêche pas d’imprimer sa patte à vitesse grand V : neuf victoires sur neuf matchs en Bundesliga autrichienne, un record et un bilan déjà sympatoche en Ligue des champions. Après avoir maté Brøndby en qualif (43 tirs à 13 sur les deux matchs), ses gars obtiennent le nul à Séville en ayant joué 40 minutes en supériorité numérique, et surtout en ayant raté deux penaltys. Une précocité qui n’est pas sans rappeler celle de Julian Nagelsmann, autre Allemand. À la différence que Jaissle, en présentant un petit costard noir, semble loin des sapes trop souvent douteuses de l’entraîneur du Bayern Munich.
Mono de colo
Entraîneur biberonné au Red Bull (assistant U16 et U17 à Leipzig, une infidélité du côté de Brøndby, coach des U18 de Salzbourg puis du FC Liefering, succursale Red Bull en D2 autrichienne), il se retrouve aujourd’hui à la tête de l’effectif prépubère de Salzbourg : 22,08 ans de moyenne d’âge, soit deux ans de moins que Monaco, plus jeune équipe du Big 5. Et y impose d’emblée sa patte tactique : un 4-4-2 losange à l’ancienne avec des latéraux offensifs, des centraux équilibrés, des offensifs qui pressent et deux attaquants complémentaires. La paire qu’il a choisie remplit ces critères : à Karim Adeyemi la technique et la vitesse, Benjamin Šeško s’occupe des efforts et du jeu de surface. À partir du moment où les bambins ne débordent pas de ce cadre, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. « Nous avons des plans très clairs sur la façon dont nous voulons jouer contre un bloc aussi profond, expliquait-il par exemple après la victoire contre le Rapid Vienne. Mais je dois féliciter mon équipe pour la vitesse à laquelle ils ont fait rentrer les adversaires dans nos filets. D’après ce qu’on m’a dit, c’était très rare dans le passé. »
La méthode de mono de colo marche grâce à la confiance qu’il a en ses joueurs. « Il est important pour moi de toujours voir les personnes et les personnalités qui se cachent derrière les joueurs, déclarait-il à sa signature. J’ai toujours dit à mes joueurs qu’ils pouvaient faire autant d’erreurs qu’ils le souhaitaient. L’important, c’est la façon dont ils réagissent aux erreurs. Il s’agit d’être courageux et de ne pas se cacher. » Un comportement hérité de son passé. « En tant que joueur, j’aimais les entraîneurs qui étaient simplement authentiques et honnêtes. C’est comme ça que je veux être », confie-t-il à Laola.
Docteur Maboul
Lorsque Matthias Jaissle rechausse les crampons avec les U23 de Hoffenheim le 30 octobre 2009, 222 jours après une rupture du ligament croisé antérieur du genou gauche, il pense que c’est la fin des emmerdes : « Je suis un peu nerveux, mais prêt à jouer. J’aurai besoin de temps pour revenir à 100%, mais cette expérience sera bonne pour faire mon retour. » Raté. En une blessure, il passe de titulaire en défense centrale de l’étonnant champion d’automne en étant tout juste promu à une fin de carrière prématurée. L’axial allemand enchaîne les galères au genou gauche, puis droit, puis au tendon d’Achille. Sans le savoir, il joue contre Wolfsburg son dernier match le 24 mai 2011 après seulement 72 matchs joués en sept ans. Soit presque trois fois moins qu’Abou Diaby, infirmier en chef.
Au lieu de progresser avec une génération allemande dorée (Neuer, Boateng, Khedira) qu’il n’aura connue que lors d’une sélection en U21, il apprend de Ralf Rangnick, l’entraîneur qui l’a lancé en Allemagne. Il voit en lui un mentor, exactement comme Julian Nagelsmann et Thomas Tuchel à Augsbourg, lorsque l’ancien défenseur se blessait de manière irréversible. « Un ancien pro n’est pas automatiquement un bon entraîneur, ce sont deux paires de pompes différentes, tranchait-il dans une interview donnée à Red Bull. Mais le fait d’avoir vécu certaines choses en tant que joueur peut aider. Notre style de jeu à l’époque est très proche de la façon dont je veux que mon équipe joue aujourd’hui. Je suis reconnaissant de cette merveilleuse époque, même si elle a malheureusement été trop courte à cause de ces blessures. »
Machine à clones
Comme Nagelsmann, tête de proue du Bayern, Jaissle aurait pu démarrer sa deuxième carrière à Hoffenheim. Mais Matthias a refroidi le club en traînant pour signer la résiliation de son contrat de joueur. Ce qui n’a pas empêché les deux bonhommes de se croiser : « De temps à autre, on échangeait tous les deux. Il était entraîneur des jeunes à l’époque et, moi, je jouais encore. Mais c’était occasionnel », grimace-t-il à Laola. Vraisemblablement, celui-ci ne kiffe pas trop la comparaison avec l’entraîneur du Bayern. Mais c’est pourtant un fait : après la formation de grands joueurs, l’école Red Bull façonne désormais ses entraîneurs dans le même moule, comme l’usine de Valenciennes enchaîne les Toyota. Pour Jesse Marsch, aujourd’hui à Leipzig : « Matthias est un vrai entraîneur Red Bull. » Enfin, Jaissle avoue lui-même « avoir toujours eu du mal à[se]décrire » et « n’aime pas parler de[lui] ». N’est-ce pas exactement ce que dirait un entraineur-robot sorti d’usine ?
Par Emile Gillet