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Matt Moussilou : « Je touchais le ciel »

Propos recueillis par Eric Carpentier
12 minutes
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Matt Moussilou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je touchais le ciel »

Matt Moussilou a marqué le triplé le plus rapide de l'histoire de la Ligue 1, puis quatre buts en France en quatre ans. Quatre ans pendant lesquels il a aussi joué au Qatar, avec le Congo et avec le chômage. Puis il est allé fracasser un futur Dijonnais du côté de Lausanne, se faire un tendon d'Achille, rejoindre la troisième division suisse. Le roi de la mousse a donc quelques souvenirs à partager.

Matt, si on te dit carrière agitée, tu valides ?Bien sûr, une carrière mouvementée, ouais ! (rires) Mais une carrière quand même ! Quand t’y penses à tête reposée, en se remémorant certaines choses, il y a pas mal de gens qui auraient aimé vivre la même histoire. J’ai connu des belles victoires, de belles équipes, c’est ça qu’il faut retenir.

Ton nom est inscrit sur les tablettes comme celui du triplé le plus rapide de la Ligue 1, avec trois buts en cinq minutes avec le LOSC contre Istres, en 2005. Il se passe quoi dans ta tête à ce moment-là ?Je suis sur un nuage, mais paradoxalement, je ne profite pas pleinement du moment. J’avais perdu une amie quelques jours avant lors d’un règlement de comptes entre familles, une supportrice super gentille, qui venait de Tourcoing. Elle s’est interposée dans une querelle de familles, elle a pris un coup de couteau et elle est morte sur le coup. C’était durant la semaine du match, j’étais parti voir la famille, leur exprimer mes condoléances, apporter mon soutien parce que c’était une personne que j’appréciais, une supportrice que je rencontrais souvent dans le centre-ville ou dans les soirées où j’allais à l’époque. C’était une petite, hein, je devais avoir vingt-trois, vingt-quatre ans, elle avait dix-sept, dix-huit ans. Je l’aimais bien, elle était gentille et intelligente. Je suis parti dans un magasin de sport mettre un petit mot sur un T-shirt pour lui dédicacer. Et comme on dit, il n’y a qu’un dieu, est arrivé ce qui est arrivé. Je ne pense pas que c’est arrivé tout seul, c’est arrivé avec une conscience. Un jour triste et un jour magnifique en même temps. Sur le premier but, je soulève mon maillot et je lui dédie le but, il était marqué RIP Fanny Lembe Ikali. Mes pensées sur les buts étaient pour elle, c’est clair. Dans ces moments de grâce, c’était… Ouais, c’est arrivé à ce moment-là, voilà…

Tu as aussi marqué le dernier but inscrit dans le stade Grimonprez-Jooris. C’est quelque chose qui compte pour toi ?Exact, dernier but. C’est une belle histoire pour moi, qui viens à quinze ans, formé au LOSC. Le centre de formation était dans le stade Grimonprez-Jooris. Je montais quelques escaliers pour aller voir les pros, c’était magnifique, l’ambiance, un bon petit stade. J’allais voir Dagui Bakari, Bruno Cheyrou, des mecs qui faisaient vibrer. Et savoir que le chapitre s’est refermé avec moi qui ai marqué le dernier but, à la dernière minute, ouais, c’est quelque chose de représentatif et j’en suis fier, c’est clair. C’est sympa de savoir que mon nom est associé à l’histoire de ce stade et du club, c’est un bon clin d’œil. J’y avais pensé avant le match, je m’étais dit que ça serait bien. Quand on est attaquant, on veut toujours marquer, laisser une trace dans les stades où on a passé des bons moments.

Je ne mettais pas tout en pratique pour retourner les situations. J’étais un peu fragile de ce côté-là. Je pensais que ça allait venir tout seul…

C’est important pour un attaquant, de laisser une trace ?On veut tous jouer au football pour gagner des trucs, pour laisser quelque chose. On est des compétiteurs, on ne joue pas juste pour faire mumuse avec la baballe. Quand on surfe sur la vague, on en veut plus, on veut marquer plus, on veut gagner plus. On vit de ça, on vit de moments où on peut laisser des trucs, c’est sûr. Certains y arrivent, d’autres moins, mais le tout, c’est d’essayer ! C’est ce qu’il s’est passé pour moi à Lille. L’histoire était belle : ils sont venus me chercher, j’ai été en province, alors que je suis un Parisien pure souche qui ne sortait pas de sa région. Je viens, ils me forment en tant qu’homme, et j’essaie de représenter fièrement mon club. Dans ces moments, je suis sur un nuage, ouais, j’ai l’impression d’être intouchable, protégé par tout le monde, mes dirigeants, bien aimé par mes supporters… Une période magnifique, je touchais le ciel, ça c’est sûr.

Mais quand tu arrives à Nice avec l’étiquette de plus gros transfert de l’histoire du club, tu retombes vite sur terre. Tu n’as pas supporté la pression ?C’est pas ça. Je venais quand même avec une expérience de haut niveau, en Ligue 1 et en Europe. La pression n’était pas là, puisque les exigences avec Lille étaient plus hautes qu’à Nice. C’est au fur et à mesure. Le temps passe, l’équipe fonctionnait mal, alors qu’on avait un effectif très impressionnant. Il y avait Hugo Lloris, Rod Fanni, Cyril Rool, Kanté, Ederson, Vahirua, Balmont, David Bellion, Baky Koné… Tout ça, c’est des joueurs qui ont fait des grands clubs ! Mais on a très mal commencé, et moi qui sortais de mon petit confort, j’ai vu comment ça se passait quand on était une recrue phare, qu’on devait rendre des comptes. Je n’étais pas préparé. Alors on se braque, on se ferme, et ça se ressent sur le terrain. C’est un tout, quoi. Je n’étais assez forgé pour ça. Avec le transfert, les gens te voient différemment. Dans l’équipe, on savait que tout allait me tomber dessus, qu’il n’y en avait que pour moi. Et je n’ai pas de chance, ça ne rentre pas, poteau, poteau, barre… C’est pas comme si je tirais tout à côté ! Si toutes mes actions étaient rentrées, je devais être meilleur buteur à la mi-championnat. Ça s’est joué à rien.

Tu t’es enflammé après tes bons débuts en pro ?Je ne suis pas quelqu’un qui s’enflamme, mais… dans les moments les plus difficiles, c’est plutôt que la chance, bah je ne l’ai pas forcée. Je me contentais de… Disons que je ne mettais pas tout en pratique pour retourner les situations. J’étais un peu fragile de ce côté-là. Je pensais que ça allait venir tout seul, et quand il fallait se faire violence à des moments difficiles auxquels je ne m’attendais pas, car je n’avais jamais trop connu ça, eh ben je me suis dit que ça allait venir. Mais ça n’allait venir que par moi-même, pas par les gens, et ça, je ne le réalise pas tout de suite. Le temps passe, l’étau se resserre, ça devient plus difficile, on est livré à soi-même, il faut passer par des situations nouvelles… Il faut avoir un entourage sain, c’est un tout, il y a le terrain et les à-côtés.

Au Qatar, il y a une particularité de procéder en prenant les passeports, tu ne peux pas sortir du territoire, on te les rend à la fin du contrat… Ça, ça fait un peu peur, c’est un peu particulier.

Quand ça ne se passe pas bien à côté, ça se ressent physiquement, sur le terrain ?Clairement, on le sent dans le jeu. Au stade du Ray, j’avais 20 000 spectateurs sur les côtés qui me huaient. Les joueurs qui avaient pu me voir joyeux, ils ne me reconnaissaient pas, ils voyaient que j’étais amorphe, ils me disaient : « Mais qu’est-ce qu’il t’arrive ? Pourquoi t’en es là alors que t’avais des possibilités ? » Il y en a certains, ça les peinait, ils n’y croyaient pas. Il fallait que je force plus la décision, il en fallait plus pour que ça revienne, mais je n’ai pas tout mis pour forcer les choses.

Tu passes alors par Saint-Étienne et Marseille avant d’atterrir au Qatar. Ça s’est bien passé là-bas, tu n’as pas eu de problèmes sportifs ou extrasportifs ?À cette période-là, j’étais instable, assez bougeotte, quand ça n’allait pas comme je voulais, je quittais la tangente au plus vite. J’ai eu le choix du Qatar, mais au-delà du Qatar, l’idée était de sortir du système français. J’étais dans un tourbillon médiatique qui ne se ménageait pas donc, hé, ça fait du bien de s’éloigner pour se refaire la cerise ! Et c’est ce qu’il s’est passé. J’ai vécu six, sept mois magnifiques, j’ai marqué près d’un but par match, j’ai retrouvé un peu de confiance. Bon, il y a une particularité de procéder en prenant les passeports, tu ne peux pas sortir du territoire, on te les rend à la fin du contrat… Ça, ça fait un peu peur, c’est un peu particulier. Quand j’ai vu ce qui a pu arriver à d’autres, ça m’a un peu retourné, parce que je ne voyais pas les choses comme ça. J’en parlais récemment avec Mamadou Niang qui m’expliquait que quand c’est crapuleux, c’est crapuleux !

À l’issue de ton passage au Qatar, tu es sélectionné pour la première fois avec l’équipe nationale congolaise. Un truc important pour toi ?Excusez-moi, ne quittez pas hein ! (Il discute quelques instants avec sa fille, ndlr) Allo ? Oui, excusez-moi, j’apprends aux enfants à traverser la route. Je me suis caché devant l’école, maintenant ils doivent savoir le faire tout seul. (Rires) C’est l’éducation hein ! Vous disiez ?

J’ai voulu m’expliquer en tout bien tout honneur, monsieur est monté sur ses grands chevaux, il m’a cherché, il m’a dit des choses qui ne m’ont pas plu et… ouais, elle est partie !

On allait parler du Congo…Oui ! En fait, vers 2004, 2005, j’avais des possibilités d’être en équipe de France, j’étais présélectionné. Comme tout le monde, j’y croyais un petit peu. Bon, là, il y avait du lourd devant. J’avais joué quelques matchs en Espoirs avec Raymond Domenech, des présélections, mais ça s’est arrêté là. À l’époque, quand on joue des matchs avec les Espoirs, on ne peut plus jouer avec un autre pays, c’était le règlement de la FIFA. Jusqu’à un changement en 2009 qui dit que quand on n’a pas joué en A en match officiel, on peut aller avec son pays d’origine. J’ai joué le premier match, et dès le départ, j’ai regretté de ne pas y être aller plus tôt. C’est quelque chose d’exceptionnel. On est idolâtré, il y a tellement de considération, d’énergie autour d’une personne. Les matchs, le public, la ferveur, les chants… Exceptionnel, magnifique. Je n’étais pas tant attaché que ça à mon pays, maintenant je le suis beaucoup plus. Mais depuis deux ans, j’ai arrêté, parce qu’il y a des jeunes qui montent en puissance, qui peuvent donner plus que moi.

Il y a un endroit où tu as bien donné, c’est au moment de croiser Vincent Rüfli du Servette, après un match avec Lausanne. Tu le cognes et tu prends quatre matchs. Que s’est-il passé ?Oui, il a signé à Dijon d’ailleurs ! Apparemment, des gens disent qu’il est sympa dans la vie de tous les jours, mais sur le terrain, il est assez chiant ! (Rires) Il me les cassait tout le long du match, il me chambrait… À la fin, j’ai voulu avoir une explication avec lui sur toutes ces réflexions, ces petites embrouilles qu’il a voulu me faire. J’ai voulu m’expliquer en tout bien tout honneur, monsieur est monté sur ses grands chevaux, il m’a cherché, il m’a dit des choses qui ne m’ont pas plu et… ouais, elle est partie ! (Rires) Mais à part ça, ça s’est bien passé ! On avait les gros calibres comme Bâle, le Grasshopper qui jouaient les premiers rôles, nous on cherchait le maintien, voire le milieu de tableau, c’est ce qu’il s’est passé. J’étais titulaire, je marquais mes huit ou dix buts par saison, voilà, c’était sympa.

Ça doit te faire du bien, alors que tu sors d’une période de chômage ?Le chômage, ça fait tout drôle ! On se dit, putain, il y a trois, quatre ans, je jouais des matchs de Coupe d’Europe, j’étais en Espoirs, il y avait plein de choses qui étaient promises pour moi, et on arrive à vingt-sept ans, en plein doute, la carrière qui en prend un coup, le moral à zéro, en perte de confiance. Je viens d’avoir un enfant en plus, c’est là qu’on comprend que la vie, ça va vite quoi ! En bien comme en mal ! On se réfugie, on commence à penser qu’il faudra aborder les prochaines échéances différemment. Je ne pense pas à arrêter, j’aime trop le football pour ça. Mais ça fait partie des moments les plus difficiles. Heureusement, j’avais des bons copains, ma femme qui me soutenait, ma fille qui m’aidait à relativiser. Sans ça, je sais pas ce que je serais devenu…

J’ai des idées, de par mon expérience, ce que j’ai connu, j’ai plein d’idées.

Il y a un an, tu retournes en Suisse au FC Le Mont, et tu te pètes le tendon d’Achille deux semaines après avoir signé. Une nouvelle galère dans ta carrière, tu ne te dis pas que ça fait trop ?Oui, là, on commence à se poser les questions. Il y a de la négativité qui arrive, j’ai trente-trois ans, il y a cette blessure assez conséquente, donc oui, la question est là. Mais il y a toujours l’envie de taper dans un ballon, de gagner, marquer des buts, qui reprend le dessus. Je me suis bien soigné, j’ai tout fait pour bien reprendre, sept-huit mois après j’ai repris, j’ai été performant, j’ai marqué des buts, ça m’a conforté dans l’idée que j’en avais encore un peu sous la semelle, que je pouvais encore faire deux-trois trucs, me faire encore plaisir. Là ça va, c’est derrière, un souvenir oublié !

Le Mont aussi, c’est oublié ?Je devais reprendre avec Le Mont, on ne s’est pas arrangé sur certains termes. Là, je viens de trouver un challenge dans une équipe qui s’appelle Yverdon Sport, c’est un club qui a joué le haut niveau en Suisse. On est en troisième division, il y a un président qui veut remonter tout de suite, le discours m’a plu, donc j’ai signé la semaine dernière. Je vais essayer de relever un des derniers challenges intéressants et plaisants, même en amateur.

Et après, il sera temps de penser à la suite ?J’ai trente-quatre ans, je prends de l’âge. Moi, je joue attaquant, je n’ai plus le même jeu qu’à l’époque où je cavalais ! J’en parlais avec mon pote Mathieu Bodmer. Il arrive à faire durer parce que c’est un technicien, il peut jouer devant, derrière, il est doué, à l’aise, il n’a pas besoin d’avoir un physique pour durer. Alors que moi, j’avais besoin de ça. Donc je me lève chaque jour en pensant à différentes choses, pour voir où est-ce que je pourrais me retourner. J’ai des idées, de par mon expérience, ce que j’ai connu, j’ai plein d’idées. Après, il faudra les mettre en pratique. Mais à vrai dire, tant qu’on n’a pas arrêté le football à 100%, on n’arrive pas à se projeter de l’autre côté.

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