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Mathias Coureur : « Ils ont remercié ma mère de m’avoir mis au monde ! »

Propos recueillis par Andrea Chazy
12 minutes
Mathias Coureur : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Ils ont remercié ma mère de m&rsquo;avoir mis au monde !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Auteur d'un début de saison canon avec onze buts marqués en neuf matchs, Mathias Coureur roule sur le championnat bulgare. À 32 ans, le globe-trotteur martiniquais vit déjà la meilleure saison de sa carrière et en profite pour regarder dans le rétro. Au programme : la Bulgarie, la Corée du Sud, mais aussi des rites ancestraux d'avant-match au Kazakhstan. Attachez votre ceinture.

Mathias, tu as déjà marqué onze buts en neuf matchs depuis le début de saison avec ton équipe de Cherno More Varna, actuelle sixième du championnat bulgare. Tu as donc déjà égalé le meilleur total de ta carrière…D’autant que mon record précédent a été établi ici, à Varna, la dernière fois ! (Onze buts, en 2015-2016, N.D.L.R.) Pour être franc, j’ai toujours eu le sentiment que je pouvais réussir à le battre. Ce qui est marrant, c’est que cela arrive cette année, car c’est l’une de mes pires saisons d’un point de vue footballistique. (Rires.) Les années précédentes, je n’avais pas trop de chance, notamment en Corée du Sud.

Qu’est-ce qui n’a pas marché en Corée du Sud ?D’un point de vue footballistique, j’ai kiffé ma saison. Sauf que j’étais payé pour marquer des buts. Je n’arrêtais pas de taper le poteau, la balle ne voulait pas rentrer ! Et puis, j’étais sous les ordres du coach le plus défensif de la ligue. On ne faisait que défendre, donc au moment de conclure de l’autre côté du terrain, j’étais mort ! Là-bas, tout est assez strict. Tu es un employé, tu n’es pas un footballeur. Tu arrives à 8h du matin, tu rentres chez toi à 20h, l’horaire de l’entraînement peut changer cinq fois dans la journée… J’avais un peu de mal avec ça. Mais ce que j’y ai appris tactiquement, ou même sur l’assiduité, ça me sert aujourd’hui. Avant, j’avais l’impression de travailler, mais en fait, ce n’était pas assez.

Je peux te dire que leur barbecue coréen, c’est une dinguerie. Il y a une sauce qui s’appelle « Ssamjang », c’est la meilleure sauce du monde. Tu peux tout manger avec.

La Corée, cela t’a plu ?Les Coréens, c’est tous les mêmes. Ils sont formatés, c’est parfois un peu relou, mais en revanche ils sont respectueux. Ils t’aident beaucoup, car ils veulent donner une bonne image de leur pays. Tout le monde se fait confiance. Par exemple, il y a une application qui existe pour ramener chez eux les gens qui ont bu. N’importe qui peut répondre à l’annonce, tu lui files tes clefs de voiture et il se charge du reste ! Ce n’est pas un Uber, ça peut être un gars qui marche dans la rue par exemple. Tu n’as pas son identité, tu n’as pas sa plaque… C’est fou !

À quel sujet t’ont-ils aidé lorsque tu es arrivé sur place ?Ils ont tout fait pour que je sois à l’aise. La nourriture, par exemple. Ils me faisaient toujours un plat européen à côté, en me demandant ce que je voulais, au cas où je n’aimerais pas le plat coréen du jour. Sauf que moi, je voulais absolument goûter leurs plats ! Je voulais tout essayer. Sauf que ça s’est retourné contre moi : à la cantine, dès qu’ils voyaient que j’aimais un truc coréen, ils le remettaient le lendemain… J’ai du mal à retenir les noms, mais je peux te dire que leur barbecue coréen, c’est une dinguerie. Il y a une sauce qui s’appelle « Ssamjang » , c’est la meilleure sauce du monde. Tu peux tout manger avec.

Tu es de confession musulmane. Est-ce que ça n’a pas été trop difficile à ce niveau-là pour toi en Corée du Sud ? D’après les chiffres, seulement 0,2% de la population coréenne est musulmane, sans compter les expatriés.Dans le quartier d’Itaewon, il y a une mosquée magnifique. Tu peux aussi acheter ta viande halal à proximité. Vu qu’il y a beaucoup d’étrangers, et notamment des populations musulmanes comme les Ouzbeks, ce n’est pas un problème. Ils sont très respectueux. En Corée, pour évoquer l’actualité, tu ne verras jamais de caricature ou quoi que ce soit. Ils veulent éviter les potentiels conflits au maximum, et c’est le cas pour toutes les religions. Ils s’en foutent de tout ça. Tu es coréen, point barre. Ils ne demandent qu’une chose : du respect.

À quoi n’as-tu pas trop adhéré sur place par exemple ? Le seul truc que je n’ai pas aimé, c’est le respect forcé aux anciens. Moi, ça ne m’a pas posé de problème, car j’étais l’un des plus vieux joueurs de l’effectif. Mais quand j’en voyais certains demander la bouteille d’eau, qui était à cinq mètres d’eux, à un jeune qui était à trente mètres… Parfois, c’était difficile de voir ça. En Corée, même si le coach te défonce dans le vestiaire, tu dois quand même le remercier à la fin. Et puis, lorsque tu prends une amende pour un retard par exemple, en plus, on te rase la tête ! Ils font ça car les Coréens tiennent beaucoup à leurs cheveux. Quand tu es sportif aussi, tu n’as pas le droit de fumer. Un jour, le coach a senti l’odeur de cigarettes dans le vestiaire et a demandé qui était le responsable. En France, personne n’aurait rien dit, tout le monde aurait pris et on aurait réglé ça entre nous après. Là, le mec s’est dénoncé tout seul en trente secondes ! Même pas un peu de résistance, rien. Je suis allé le voir pour lui demander pourquoi, et il m’a répondu : « Bah, vous n’avez aucune raison de payer pour ce que j’ai fait. »

Avant la Corée du Sud, il y a eu la Géorgie et surtout le Kazakhstan et le club de Kaysar Kyzylorda où tu es resté deux ans. C’était une ambiance totalement différente, non ?Déjà, je ne savais pas que les Kazakhs avaient les yeux bridés ! J’étais choqué. C’est un pays très riche car ils ont de l’or, de l’uranium, du gaz, mais la population reste globalement très pauvre. C’est un peuple assez soudé : si un jour, tu as un problème avec un Kazakh, tu as un problème avec le Kazakhstan tout entier ! C’est un peuple guerrier, ils sont fiers. Moi, je trouve qu’ils sont un peu bruts de décoffrage. J’étais choqué, quand je suis arrivé, qu’une dame me tire par le bras en me disant : « Prends une photo avec moi, le Noir, ça va faire plaisir à mon mari. »

Elle t’a vraiment appelé « Le Noir » ?Ouais, là-bas, ils t’appellent « Le Noir » comme s’ils t’appelaient Mathias. Après, la chance que j’ai eu, c’est que j’ai gagné leur respect grâce au foot, car j’étais le meilleur. Mais au début, franchement, c’était relou.

Les Kazakhs, ils n’ont pas d’argent et ils n’ont pour certains jamais vu de personnes noires de leur vie. Et tu te rends rapidement compte que c’est de l’ignorance.

Tu avais le sentiment d’être une bête de foire à leurs yeux ?Oui, mais après, c’était au tout début. Parce qu’ensuite, quand j’ai commencé à discuter avec certains d’entre eux, tu te rends compte déjà que les joueurs de ton équipe sont plus tolérants, car ils ont voyagé. Les Kazakhs, ils n’ont pas d’argent et ils n’ont pour certains jamais vu de personnes noires de leur vie. Et tu te rends rapidement compte que c’est de l’ignorance, car en plus, ils vivent sous un régime autoritaire. Donc pour eux, à la télé, si t’es noir, c’est que t’es africain. Je me rappelle qu’à chaque fois, ils me demandaient : « Mais au fait toi, t’es africain ou t’es américain ? » Quand je leur répondais que j’étais antillais, ils ne comprenaient pas. Pour eux, un Noir, il vit dans une hutte, il a une feuille pour cacher son sexe et quand il arrive au Kazakhstan, il découvre la technologie. Quand ils me voyaient avec un téléphone, ils me disaient : « Alors, t’es content ? »

Pour de vrai ?Je te jure. Un Kazakh typique, il me demandait : « Alors, ça fait quoi de voir des maisons, de voir une route ? » Je leur répondais : « Mais gros, moi je viens de Paris. Ton pays, tu crois que c’est quoi, vous êtes encore en 3G ! » Le côté marrant de cette histoire, c’est qu’au début, je pensais arriver dans le championnat kazakh comme une star. Tout le monde voulait prendre des photos avec moi ! Dans ma tête, je me disais : « Putain, mais ils leur ont annoncé un joueur de fou ou quoi ! » Et en fait, c’était juste à cause de ma couleur de peau. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, du coup je pensais qu’ils étaient contents. En réalité, ils se foutaient de ma gueule. Après, je dois quand même reconnaître que j’ai en partie aimé cette période, car je vivais dans un pays musulman. Dès qu’ils m’ont vu à la mosquée, les gens m’ont adopté direct.

Ce que j’ai vraiment kiffé, c’est quand j’ai vu une fusée décoller juste devant moi !

Pour le media Footballski, tu expliquais aimer le désert de Kyzylkoum. Il y a d’autres endroits ou activités que tu retiens de ce séjour au Kazakhstan ? Ce que j’ai vraiment kiffé, c’est quand j’ai vu une fusée décoller juste devant moi ! Vu que mon club appartenait aux gouverneurs, ils ont invité l’équipe et j’ai visité la base aérospatiale russe avant d’assister au décollage devant moi. Et puis, j’ai adoré faire du cheval. Il y avait Florian de « Deux nuits avec » et ensemble, on avait voulu voir un match de kökpar : c’est un sport de brutes où les mecs sont à cheval et doivent ramasser la carcasse d’une chèvre morte pour l’envoyer dans le but adverse. Mais la saison était terminée, du coup, j’ai simplement fait du cheval et c’était top. Un jour, un supporter m’a aussi emmené visiter sa ferme, et je ne savais pas faire la différence entre un chameau et un dromadaire. Mais il en avait en tout cas. Il m’a fait boire du lait… Moi, je n’ai pas trop kiffé, mais Flo, oui ! Au début, c’est plutôt bon, très sucré, mais derrière, tu as un arrière-goût de lessive…

Hormis le cheval et la fusée, il y en a d’autres ? Je n’ai pas trop aimé la bouffe, c’est pas mal à base de bouillons. Même leur poulet, j’avais l’impression parfois de manger du chien ! Je n’en avais jamais vu des comme ça. Et puis, avant les matchs, on faisait beaucoup de sacrifices. On égorgeait des moutons.

Quoi ?Et en plus, les joueurs locaux se mettaient le sang de l’animal sur le visage ! C’était pour que l’on gagne. On faisait ça dehors, à côté du centre, avant les matchs importants seulement. Moi, je ne touchais pas le sang, je faisais simplement la prière. L’aspect positif de tout cela, c’est que l’on donnait ensuite la bête aux pauvres pour qu’ils puissent manger.

Pour en revenir à la période actuelle, cela doit être difficile pour toi de ne pas pouvoir bouger avec l’épidémie de coronavirus, non ?À vrai dire, non pas trop. J’aime voyager, mais j’aime surtout rester un an ou deux quelque part pour réellement m’imprégner de la culture locale. Cela ne m’intéresse pas de rester trois semaines, de faire seulement les endroits touristiques et d’ensuite rentrer chez moi en disant : « Voilà, à cet endroit, ça se passe comme ça. » C’est pour cela que j’aime le football, car, plus tard, je pourrai dire que j’ai vécu en Bulgarie, que j’ai vécu au Kazakhstan. Je me souviens qu’en arrivant en Bulgarie, on m’avait dit que les Bulgares étaient froids, qu’ils étaient racistes. Eh bah, peut-être ceux que vous connaissez, mais les miens, ils sont froids au début, mais quand ils se lâchent, il faut les suivre ! Ils n’ont pas d’argent, mais ils font la fête.

Mon père a pleuré quand il est venu voir mon dernier match ici, avant que je ne revienne en janvier 2020. Ce sont des choses qui te marquent.

Quel est le souvenir que tu n’oublieras jamais ?J’ai une affection particulière pour la Bulgarie. Les supporters du Cherno More Verna m’ont donné un amour incroyable. On m’a donné un tel statut ici… Ils ont carrément remercié ma mère quand elle est venue de m’avoir mis au monde ! Mon père a pleuré quand il est venu voir mon dernier match ici, avant que je ne revienne en janvier 2020. Ce sont des choses qui te marquent. Au Kazakhstan, pareil, ils venaient au stade pour moi, alors que certains ne connaissaient rien au foot. Parfois, quand on perdait et que j’avais le ballon, ils criaient : « Ne leur fais pas la passe et dribble, vas-y tout seul ! »

Pour finir, dans quel pays aimerais-tu jouer et vivre avant la fin de ta carrière ?Dans un pays d’Afrique, pourquoi pas. Et, surtout, en Amérique du Sud. En Colombie ou au Brésil par exemple. Une année, j’étais en vacances à Medellín et j’avais pu assister grâce à des amis colombiens à la finale du championnat où jouait l’Atlético Nacional. Ils étaient venus me chercher trois heures avant le match, sur le coup je dois dire que je ne comprenais pas, car je m’en foutais de voir l’échauffement. Mais j’ai rapidement compris que c’était la condition pour entrer, car deux heures et demie avant le match, le stade était plein. Les joueurs ne viennent pas s’échauffer, car il fait trop chaud ! Le Nacional gagne aux penaltys (en 2015-2016, N.D.L.R.), et le même soir, c’était l’élection de Miss Monde ! L’année où le mec s’était trompé et avait désigné gagnante Miss Colombie avant de se raviser. Ce soir-là, j’étais dans un bar pour faire la fête. Quand la décision finale est tombée, les gens ont tout cassé dans le bar. Et moi, je suis parti sans payer.


Pour retrouver la première interview avec Mathias Coureur, réalisée en 2015, c’est par ici.

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Propos recueillis par Andrea Chazy

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