- Les 100 matchs qui définissent le foot
- France/Paraguay (1998)
Match de légende (9e): Et si la France avait perdu contre le Paraguay…
Et si la France n'avait jamais gagné ce match ? Et si la lumière n'était jamais venue de Laurent Blanc, mais bien de Chilavert, impérial durant la séance de tirs au but tant redoutée ? Que se serait-il alors passé ? Récit du point de bascule.
France – Paraguay (1-0 a.p)
Huitième de finale de Coupe du monde – 28 juin 1998Stade Felix Bollaert de Lens
18h30. La France, sans son Zizou qui paye une caresse trop cramponnée et virile sur un Saoudien, piétine dans la prolongation de son huitième de finale contre le Paraguay. Laurent Blanc, qui avait promis un but à son fils, chafouine un peu trop devant et se fait reprendre par la « garde noire » défensive française, Marcel et Lilian : « Lolo, monte pas, on va en prendre un ! » Et Lolo de s’exécuter, et de rester sagement dans son camp…
Le clash des clans
À mesure que les tirs au but approchent, l’équipe se disloque en mondovision. Guivarc’h, qui a gagné le surnom de « La Quiche » au sein du groupe, est sevré de ballons et conspué par le public lensois qui réclame son « Vairelles » . Trop blanc, trop éduqué, trop de beaux yeux, trop breton, dompté par des « racailles apeurées par un caïd immature » dira la ministre Marie-George Buffet après la rencontre. Rob’ Pirès, appelé « Portugais » par ses pairs, décide, par principe historique et de filiation avec le Brésil, d’ignorer Trézégol, qu’il appelle « l’Argentin » . Djorkaeff et Boghossian s’insultent sur le terrain, restes d’une discussion houleuse, la veille à table, autour du génocide arménien. Pendant ce temps-là, le clan que la presse à sensation nomme « les fumeurs de hash » , composé habituellement de Barthez, Lama et des Antillais de l’équipe, se marre. Oui, ils ont réussi à convaincre Mémé Jacquet d’une folie : monter Barthez sur le champ, foutre ‘Nard Lama dans les bois et sortir Desailly, inutile pour les pénos. D’ailleurs, la prolongation est maintenant terminée.
L’asado de Chilavert
Jacquet compose : aucun des offensifs ne veut défier Chilavert, écœurant depuis 120 minutes. Dodelinant, Mémé livre son quinté : Liza, Barthez, Lolo, La Dèche et le meilleur pour la fin, Thuram. Le Paraguay débute la séance : ses trois premiers tireurs scorent. Côté Bleus, Liza marque plat du pied sécurité, Barthez envoie une mine flashée à 170 km/h et Blanc, basses chaussettes et pétrifié tel un Max Bossis devant Schumacher, flanche. Mais Gamarra, intraitable défenseur jusque-là, se rate aussi, alors que la Dèche, d’un pointu de l’espace, égalise à 3-3. Chilavert entre alors en scène. Jose Luis prend une course d’élan de gros, toute lente, et recale Lama d’une panenka. Thuram s’approche, rapidement, tout en implorant le Seigneur. Pris d’une folie (il dira plus tard d’une vision), il décide alors de tirer du gauche. Évidemment, Chilavert bloque du pied, jongle et shoote en tribunes. Le Paraguay est qualifié. Thuram est à genoux, incrédule, le doigt sur la bouche bée. L’amour n’est pas sur ce pré. Zizou, lui, vomit derrière le banc de touche, direct dans le sac banane de Guivarc’h. Sur la pelouse, et sous le silence assourdissant du stade, on entend Chilavert, torse nu et ventre par-dessus le short, crier « Asado » à ses Guaranis, avant de sortir une clope du revers de sa chaussette.
« Entre blacks »
La confusion inonde les couloirs de Bollaert. Aimé Jacquet n’a que quatre mots à livrer à la presse – « Jamais je ne pardonnerai » – avant de s’enfuir dans la berline de Francis Graille, direction l’Ile-de-Ré pour une virée sur le bateau de Charles Biétry. La Dèche dégaine devant les micros et se farcit ouvertement Thierry Henry, coupable d’arrogance dans le bus (une sombre histoire de place qu’il aurait piquée à son habituel propriétaire) et de port de casquette à l’envers. Roger Lemerre, lui, tente individuellement de mobiliser ce qu’il reste des siens : « On t’a donné un maillot, on t’a donné un numéro, tu dois l’honorer. » Zizou congédie l’adjoint par un « Dégage, la con de ta mère ! » pendant que les autres scotchent sur leur Ola d’Itinéris. Candela, lui, chauffe Duga : il aurait entendu un journaliste traiter sa sœur, sa mère, ou sa meuf. Duga sort des vestiaires, langue pendue, serre-tête en main et frappe sur le premier AFP venu. Après la douche, des grappes de joueurs se prennent en photos. Un triste selfie pour Guivarc’h et, d’après la taupe de la FFF qui s’avérera être Franck Lebœuf, Thuram exige alors de prendre des photos « entre blacks » dans les vestiaires. Le Guadeloupéen sera par la suite étiqueté comme le symbole du racisme anti-blanc dans tous les discours politiques. Marc-Édouard Nabe et Alain Finkielkraut, eux, rabaissent Zinedine Zidane au rang de racaille de banlieue. Ainsi, le 21 avril 2002, l’image déplorable laissée par cette équipe sera régulièrement évoquée lorsqu’il s’agira d’expliquer la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle, et la défaite du candidat socialiste. D’ailleurs, Lionel Jospin rejoindra alors Aimé Jacquet en colocation à l’Île de Ré.
Le paria Zidane, le pari Coco
De tristes conséquences sportives se font ressentir dès le lendemain de la défaite. Les commentateurs se régalent. L’édito de L’Équipe est cinglant : « Ce matin, la France contemple un champ de ruines : son équipe nationale. Pincement au cœur, quelques larmes sans doute. Les Bleus ne le méritent pas. Pas de tristesse, pas de désolation, surtout pas de colère. Ce serait trop donner à ces hommes qui ne savent rien offrir. » Le chef de rédaction, Jérôme Bureau, fanfaronne sur LCI : « Dois-je m’excuser d’avoir eu raison ? Non. » Toute trace de l’affront devant être effacée, Zidane sert d’exemple et se voit suspendu pour dix matchs par la Fédération (il ne rejouera plus jamais sous la tunique bleue). Le ticket Jacquet-Lemerre est remplacé par un prometteur duo Suaudeau-Denoueix. Ambitieux, les anciens entraîneurs nantais font de l’INF Clairefontaine une Jonelière nationale et souhaitent modeler une toute nouvelle génération de joueurs grâce à un plan sur douze ans. Résultat, ils ne se qualifient même pas pour l’Euro 2000 et sont remplacés par un couple Puel-Tigana, dont la première mesure est de délocaliser les rassemblements des Bleus sur le rocher monégasque.
Danette, Gégé et DSK
En pleine bourre après un bon début d’éliminatoires pour le Mondial 2002, les joueurs de l’équipe de France enchaînent sorties en jet ski avec des mannequins et publicités pour des marques de malbouffe (Quick, Danette, etc), renforçant ainsi leur réputation d’affreux nouveaux-riches-qui-ne-paient-évidemment-pas-d’impôts, puisque domiciliés en principauté. Au Japon et en Corée du Sud, la France ne passe pas le premier tour. Pas plus qu’à l’Euro 2004 sous l’ère Santini, qu’au Mondial 2006 avec Paul Le Guen, ou que sous la férule du revenant Gérard Houllier en Suissautriche 2008. Après vingt ans de traversée du désert, la lumière vient de la DTN et de Raymond Domenech, qui fossilisait sur le banc des espoirs depuis quinze ans. Conscient que le salut viendra d’une attitude plus sage de ses joueurs, le Raymond a élevé la génération 87 au grain de l’exemplarité, (et c’est) avec une formation offensive composée d’un milieu Ben Arfa-Nasri-Ribéry-Ménez (le fameux Carré Magique System) qu’il redonne le sourire à la France du foot. Pour épauler Benzema en attaque, Domenech a jeté son dévolu sur le seul vieux briscard passé entre les gouttes des hontes passées : Nicolas Anelka. En finale au Soccer City de Johannesburg, Nico39 inscrit le doublé de la victoire mondiale face à l’Espagne, puis fête ça en exécutant à 28 reprises le geste de la quenelle lors de la remontée des Champs-Élysées deux jours plus tard. Ce signe devient d’ailleurs le signe de ralliement de la campagne de Dominique Strauss-Kahn, qui ramène la gauche au pouvoir en 2012. Après la victoire des Bleus à l’Euro de la même année, Raymond Domenech est promu ministre des Sports du gouvernement Cahuzac.
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Par Ronan Boscher et Thomas Pitrel