- Journée mondiale des sourds
Masson : « Si tu joues avec une prothèse auditive, tu prends un rouge »
Joueur et président du club sportif des sourds de Montpellier, Julien Masson, vingt-huit ans, raconte les particularités de ce football, finalement pas si éloigné de celui qu’on connaît. Parce qu’on n’a pas les mêmes tympans, mais on a la même passion.
Depuis quand faites-vous du foot ?J’ai d’abord commencé à jouer au tennis, et ce, pendant quinze ans. En 2009, j’ai commencé le football avec les sourds au Club sportif des sourds de Montpellier. Tout simplement parce que le foot a toujours été ma passion. Je suis d’ailleurs fan du Paris Saint-Germain depuis la victoire de la Coupe des coupes en 1996. Avec Montpellier, nous avons été vice-champions de France de deuxième division en 2014. Et depuis 2012, je joue également avec les entendants, dans le club de mon village, à l’École municipale angloise de football.
D’où vient votre surdité ? Accident ou problème de santé dès la naissance ?Il existe plusieurs cas. On est, ou on devient sourd par origine génétique, infection ou malformation. Moi, je suis né sourd profond. Je porte des prothèses auditives et je communique soit grâce à la langue des signes française, soit de façon orale en lisant sur les lèvres. Mais je préfère pratiquer la langue des signes française, car c’est la base de communication chez les sourds et les malentendants.
On a l’impression que le foot dédié au sourd est assez méconnu en France. Alors que beaucoup de villes le proposent.Il faut savoir qu’en France, il y a 18 clubs sourds qui pratiquent le football à onze. Sans compter les 31 de futsal. Le championnat de France est partagé en deux zones, Nord et Sud, elles-mêmes divisées en deux championnats, première et deuxième division. C’est la Commission fédérale de football des sourds, affiliée à la Fédération française d’handisport, qui gère ces compétitions.
Avez-vous l’impression que le « football sourd » se développe depuis quelques années en France et dans le monde, et tend à se faire connaître ?
Pas vraiment, non. Malheureusement, le football des sourds a du mal à grandir à cause du manque de médiatisation. De plus en plus de clubs ferment leurs portes à cause du manque de joueurs. Aujourd’hui, la majorité des jeunes sourds ne savent pas qu’il y a des clubs qui leurs sont dédiés. Un exemple ? Les Jeux olympiques. Cette année, les JO des valides comme ceux des handicapés sont diffusés sur les chaînes télévisées. Sauf les JO des sourds.
Parlons terrain. Quelles sont les règles qui différencient votre foot de celui des valides ? Les règles sont quasiment identiques. Hormis le fait que les arbitres n’ont pas de sifflet. À la place, ils ont un foulard à secouer en cas de faute. Les joueurs, eux, n’ont pas le droit de porter des prothèses auditives ou des implants cochléaires (sorte d’oreille interne artificielle, ndlr). Si c’est le cas, ils prennent un rouge et sont expulsés.
L’arbitre, justement. Comment fait-il pour se faire bien comprendre et expliquer ses décisions ?Les arbitres miment beaucoup pour faciliter la communication. Ils utilisent également souvent leur visage, pour exprimer de la colère, ou de la surprise par exemple. Lorsqu’il y a une faute, l’arbitre central la signale avec son foulard. Si jamais nous continuons à jouer, les arbitres de touche lèvent leur drapeau.
Une partie doit être assez silencieuse sans les coups de sifflet de l’arbitre, sans protestation verbale…Pendant le match, il n’y a pas un bruit. Sauf celui des mouches. Et parfois, des arbitres, quand même.
Entre partenaires, vous ne communiquez qu’avec des gestes ?Nous communiquons en langage des signes, oui, mais certains sourds ne connaissent pas la langue. Donc nous essayons de répéter des gestes quotidiens, ou nous nous efforçons d’articuler, car les sourds lisent et comprennent bien la lecture sur les lèvres. Le problème se pose surtout quand il faut s’appeler entre joueurs… car nous ne nous entendons pas ! À titre personnel, avec mon club entendant, je suis obligé d’être vigilant. Je regarde toujours partout, pour voir si mon coéquipier m’appelle. Mais le courant passe bien, car ils comprennent mon handicap.
Vous parlez de « gestes quotidiens » . Quels sont ceux qui reviennent le plus souvent ?
Les gestes qu’on utilise le plus signifient les choses suivantes : « Regarde le coach ! » , « Marquage » , « Tire ! » , « Pense à faire la passe » … L’idée, c’est de se regarder au maximum entre partenaires, mais ce n’est pas évident quand on a soif de ballons ! (Rires) Et puis, ils nous arrivent de faire des boulettes. Pendant le match, tu es en train de communiquer avec ton partenaire pour lui expliquer quelque chose, mais en même temps, l’équipe adverse avance avec le ballon. Tu prends forcément du retard pour le rattraper et tu t’exposes donc à une occasion.
Imaginons que je sois devenu sourd, mais que je jouais déjà au football. Me faudra-t-il un temps d’adaptation pour me mettre au niveau de mes partenaires ?Ça dépend forcément du joueur. Mais oui, il faut du temps pour trouver des automatismes et de la confiance. D’autant que nous ne sommes pas nombreux et chaque joueur a un niveau différent.
Comment compensez-vous votre handicap ?Nous sommes obligés d’anticiper davantage, et de constamment faire attention au positionnement des joueurs, de leurs mouvements, avant de recevoir la balle. Les entendants peuvent parler entre eux pour se dire « Je suis derrière ! » ou « Mets-la à gauche ! » Nous, les sourds, nous n’avons pas le choix : nous devons observer ce qu’il se passe autour de nous avant de recevoir le cuir.
Considérez-vous votre sport comme un sport différent du football que l’on connaît ?Non, absolument pas. Quels que soient les sports chez les sourds, ils sont identiques aux valides. Nous pouvons quand même goûter, toucher, sentir et voir, hein !
Propos recueillis par Florian Cadu