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Allegri, le coach qui murmurait à l’oreille des chevaux
Critiqué pour sa philosophie de jeu jugée trop pragmatique, Massimiliano Allegri est finalement le produit de son environnement. Passionné de courses hippiques depuis bambin, le coach a transposé les valeurs équestres dans son ADN de tacticien avec un seul mot d’ordre : la victoire et basta.
Le bonheur serait-il dans le champ de courses ? Le 14 avril dernier, au lendemain d’un derby de Turin saumâtre (0-0), Massimiliano Allegri a retrouvé du réconfort grâce aux prouesses d’Estrosa. À l’hippodrome Capannelle de Rome, la jument dont il est propriétaire a mis tout le monde d’accord en remportant la prestigieuse épreuve du Premio Signorino (course de 1800 mètres). « C’est une grande émotion, surtout que c’était la première fois qu’une femelle a battu des mâles dans cette épreuve », s’est félicité le tacticien turinois. De fait, outre le ballon rond, le Toscan est un mordu d’équitation. Cette passion remonte à sa tendre enfance passée à Livourne, une terre de cheval où les concours hippiques rythment les dimanches. « Mes meilleurs souvenirs sont avec mon grand-père, quand il m’emmenait à l’hippodrome de Caprilli pour assister aux courses. Je suis passionné depuis mes 5 ans, comme beaucoup de Toscans. Ce sont surtout les courses que j’adore, même encore aujourd’hui », déclarait-il dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport. Un hobby qui ne l’a jamais vraiment quitté, même lorsqu’il a embrassé une carrière de « piètre joueur » comme il le dit lui-même, puis d’entraîneur – avec bien plus de réussite.
Qui dit football dit forcément pognon, et ses revenus lui ont permis d’investir dans son amour de jeunesse. Propriétaire de nombreux chevaux, Massimiliano Allegri a décidé de créer en 2021 son écurie, l’Alma Racing. Une aventure partagée avec ses amis d’enfance, dont Marco Caroti. « On se connaît depuis plus de 40 ans, on a grandi ensemble à Coteto. Dans ce quartier, il y avait un bar, le Ughi, qui diffusait les courses de chevaux et les plus grands concours hippiques. C’est de là que vient notre passion. » Malgré le temps qui passe, les deux hommes sont toujours restés proches. « Ça a renforcé notre amitié. Avec Alma Racing, nous sommes propriétaires d’une quinzaine de chevaux, ce qui nous permet de rester quotidiennement en contact. »
Pendant que Massimiliano sillonne l’Italie et l’Europe avec la Vecchia Signora, Caroti reste, lui, en Toscane auprès des dadas. C’est donc naturellement que l’ancien entraîneur du Milan nomme son ami au poste de manager général d’Alma Racing. « Il m’a fait confiance dès le départ. J’avais déjà pas mal d’expérience et des contacts en France ou en Italie. Je lui ai proposé mon aide, ce qui lui permettait d’être moins préoccupé par l’écurie », explique-t-il. Bien qu’il soit pris par son métier, Allegri reste à l’affût des performances et de la progression d’Alma Racing, comme le souligne Caroti : « Il nous rend visite dès qu’il le peut. Même s’il n’est pas présent au quotidien, il souhaite toujours être informé de ce qui se passe, sans pour autant nous mettre la pression. »
Barzagli et Minnesota, même combat
Naturellement, le tacticien turinois n’hésite pas à évoquer son amour pour les purs-sangs dès qu’il en a l’occasion, en témoignent ses métaphores footballistico-hippique devenues monnaie courante lors des conférences de presse. Exemple le 12 septembre 2015, jour où la Juve est tenue en échec sur sa pelouse par le Chievo (1-1) dans un début de saison difficile, avec deux défaites et un match nul. L’occasion pour Allegri de comparer ce début de saison à une course : « Notre début de saison est insuffisant, nous avons commencé cette course au Scudetto au trot. » Mais les Bianconeri passeront rapidement au galop, enchaînant quinze victoires consécutives, et remporteront leur 31e titre de champion d’Italie. En mars 2019, alors qu’il n’a pas disputé un match depuis le mois de novembre et que sa fin de carrière approche, Andrea Barzagli est annoncé titulaire pour un déplacement à Udine. Beaucoup d’interrogations subsistent alors concernant la condition physique de l’emblématique défenseur turinois. En conférence de presse, Allegri rassure les réfractaires, à sa manière : « Andrea est un vieux cheval. Et les vieux chevaux, quand ils reviennent sur le pré, n’ont pas besoin de beaucoup d’entraînement. Ils courent sans réfléchir et finissent la course, c’est la même chose avec Andrea. »
Le quinquagénaire ressort également très souvent l’exemple de Minnesota, un cheval sur lequel il avait parié avant une course il y a quinze ans. Au moment de valider son pari, le bookmaker lui dit : « Tu as plus de chance d’entraîner en Serie A que ce cheval gagne la course. » La suite est une leçon de vie pour les fans de développement personnel : « Minnesota a remporté la course, et moi, j’ai entraîné en Serie A. » Pour son ami Caroti, c’est plus fort que lui : « Quand il compare ses joueurs aux chevaux, cela montre que sa passion est toujours aussi forte et qu’il a toujours envie d’en parler. C’est une bonne chose, ça permet de mettre en avant l’univers équestre. »
Le fameux « corto-muso »
Ce même univers n’a pas vraiment de frontière avec celui du calcio. À tel point que le monde équestre l’a directement influencé dans sa philosophie de jeu avec le très célèbre « corto-muso ». Une expression devenue iconique en Italie, qui a même été intégrée en 2021 au Treccani, l’encyclopédie italienne. Pour les non-initiés, explication : un soir d’avril 2019, la Juve s’est inclinée sur le terrain de la SPAL (2-1), Max Allegri se retrouve alors sous le feu des critiques. Jugé trop pragmatique avec un jeu ronronnant et peu ambitieux, le tacticien bianconero répond à ses détracteurs avec une déclaration devenue légendaire. « Dans les courses de chevaux, il suffit d’avoir seulement un naseau d’avance pour gagner une course. Il n’est pas nécessaire d’avoir 100 mètres d’avance, seule la victoire compte. C’est ça le corto-muso », lâchera-t-il.
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À l’ère de la data, du gegen-pressing et du football à haute intensité, Allegri est perçu comme un tacticien archaïque, aux idées primitives. « C’est un excellent stratège qui cherche à punir l’erreur de l’adversaire, mais n’est pas capable d’imposer sa tactique. Et pour moi, une victoire sans mérite n’est pas une victoire », lâchait sévèrement Arrigo Sacchi au sujet d’Allegri dans les colonnes de La Stampa. Pour Marco Caroti, c’est indéniable, son enfance passée dans le bar Ughi ou à l’hippodrome Caprilli a eu une influence : « Que ce soit dans les courses de chevaux ou bien dans un match, le plus important, c’est la victoire finale. On ne retient que ça. » Son ami d’enfance tient tout de même à tempérer : « Ça reste deux disciplines distinctes. Je pense que les courses de chevaux sont surtout un loisir pour Massimiliano, cela lui permet de décompresser. » Avec cette demi-finale de Coppa Italia et un choc face au Milan ce week-end, l’heure n’est pas trop à la décompression pour Allegri, qui joue son avenir en terre turinoise.
Par Tristan Pubert
Propos de Marco Caroti recueillis par TP.