- Ballon d'or 1962
- Décès de Josef Masopust
Masopust à la table des éternels
Josef Masopust est décédé ce lundi 29 juin à l'âge de 84 ans. Pelé et Platini pleurent leur ami et modèle. Portrait du Chevalier du football, bien plus grand qu'un Ballon d'or.
C’est la fin d’une belle histoire : celle du fils de mineur, qui grandit sous le joug communiste de la Tchécoslovaquie de l’après-guerre, qui emmène son pays respirer au sommet du monde ; celle du joueur qui, arrivé empreint d’humilité, repart auréolé de gloire sans se départir de l’une au profit de l’autre ; celle de l’homme qui préfère respecter les adversaires que les écraser. Le lundi 29 juin 2015, le Chevalier Masopust a rejoint la table des éternels du ballon rond, prenant place aux côtés de Stanley Matthews, Alfredo Di Stéfano, Omar Sivori, Florian Albert, George Best, du camarade Lev Yachine et, évidemment, de son ami Eusébio. Le Roi qui considérait le Chevalier comme « un bien meilleur footballeur que (lui) » à l’occasion du 80e anniversaire de Masopust auquel il assistait. Car le bon Josef, s’il n’est pas le plus célèbre, est indéniablement parmi les plus grands.
Box to box au Club d’éducation physique de l’armée
Les débuts sont compliqués. Quand le petit Josef voit le jour en 1931 au nord de la Bohème, premier de six enfants, la mère au foyer s’inquiète de quelle partie du corps son fiston pourrait se blesser en jouant et il n’y a que le père mineur qui a droit à « un bout de viande par semaine » . Puis, alors qu’il s’endort bercé par les exploits d’un autre Josef, Bican, légendaire attaquant du Slavia Prague, les Allemands viennent fourrer leurs casques dans ses Sudètes natales, perturbant son identité et ses rêves. Il faut attendre la fin de la guerre pour que Josef, 14 ans, intègre le club de la mine paternelle, le Uhlomost Most, et, cinq ans plus tard (mais 55 ans avant Edin Džeko), le ZSJ Technomat Teplice. Premier match et premier but contre Žilina, qui n’a pas attendu Marseille et Gignac pour en encaisser sept (7-1).
Les bonnes performances du jeune Josef attirent l’attention. Sauf que depuis le putsch communiste de février 1948, ce n’est pas exactement l’arrêt Bosman qui fait jurisprudence : déclaré « bon pour le service » , il est recruté par l’ATK Prague (Armádní Tělovýchovný Klub, Club d’éducation physique de l’armée). Créé en 1948, placé en première division la même année, et doté d’un droit de préemption sur tous les joueurs tchécoslovaques, l’ATK sera emmené par le sens tactile (aucun lien avec Tacteel, le DJ du groupe de rap ATK, ndlr), technique et tactique de Josef Masopust pendant 16 ans. Ce qui forgera sa légende. Car pendant ces années, Josef se révèle un joueur hors norme et avant-gardiste, un des premiers box to box de l’histoire. Ratisseur, relayeur, meneur, dribbleur, finisseur, Masopust sait tout faire. Svatopluk Pluskal, qui a joué avec Masopust à l’ATK, le décrit ainsi : « Peu importe l’adversaire, il était toujours un ton au-dessus. Il ne perdait jamais le ballon. Il enchaînait les une-deux ou il jouait court, jusqu’à ce qu’il trouve un espace. Là, il partait à l’abordage : un, deux, trois joueurs… Il laissait tout le monde derrière lui, comme s’il s’agissait de plots sur le terrain d’entraînement. » Mais dans le même temps, alors que le joueur rayonne au milieu de terrain de l’ATK devenu Dukla Prague (8 titres de champion), il est raillé par les supporters, notamment du Slavia et du Sparta, qui méprisent leur autoritaire voisin. Sa renommée est limitée au pays et s’exporte peu à l’international, malgré des parcours européens corrects, des titres dans l’obscur International Soccer League, ou une victoire de prestige contre le Santos de Pelé & Zito, 4-3 avec un doublé pour Masopust en 1959.
« Un geste que je n’oublierai jamais »
Et si, en équipe nationale, les résultats suivent (3e pour le premier Championnat d’Europe en France en 1960), c’est dans un relatif anonymat que Josef débarque au Chili pour la Coupe du monde 1962. Ainsi, le pays est bien plus inquiet de l’absence de l’attaquant Kučera, et Masopust devient Masapost par le jeu d’une erreur d’orthographe. La dernière fois que le monde se trompera sur le nom de Josef. L’Espagne de Luis Suárez et Ferenc Puskás pour commencer, suivie du Brésil de Pelé et Garrincha. 1-0 au premier match, passe dé’ de « Masapost » . Puskás le découvre : « J’ai été étonné de découvrir un joueur aussi complet. Luis Del Sol était très fort pour casser les attaques adverses. Suárez était diabolique sur les coups de pied arrêtés et Paco Gento était fantastique quand il partait lancé. Masopust, lui, était tout ça à la fois : il récupérait, il passait, il dribblait et il était à la conclusion. » Le Brésil est prévenu. Mais il va rencontrer une autre facette de Josef Masopust, la plus noble, celle qui lui vaudra son surnom. Alors que Masopust parvient à museler Didi et consorts (0-0 score final), Pelé se blesse. Or, les remplacements sont à l’époque interdits et O Rei erre sur le terrain. Puis se retrouve balle au pied devant Josef : ce dernier refuse de le charger et s’arrête afin de laisser Pelé faire sa passe. Le stade se lève, Pelé met la balle en touche : « C’est un geste que je n’oublierai jamais. » Son coéquipier Djalma Santos confirme : « C’était émouvant de voir un tel respect, pas uniquement envers Pelé, mais vis-à-vis de toute l’équipe. Nous avions affaire à un grand joueur et, surtout, à un gentleman. » Le Chevalier du football est né.
Il emmènera son pays en finale de la Coupe du monde, ouvrant le score contre le Brésil avant de craquer face à la puissance auriverde (3-1). Consécration : il sera premier lauréat « de l’Est » du Ballon d’or, cette même année 1962. Puis il partira finalement de son club, libéré pour services rendus, et ira jouer à 37 ans en Belgique. Il entraînera ensuite en République tchèque, en Belgique ou à Djakarta, avec des bonheurs aléatoires. Mais qu’importe. Un soir, Josef Masopust a eu une réaction divine au milieu de ce qui fut la Coupe du monde la plus violente de l’histoire. Récemment, l’homme disait son inquiétude face à un sport devenu « terriblement agressif et brutal » et regrettait qu’il « ne reste plus rien de (son) époque » après la disparition de son village d’enfance, de son club d’adulte, de sa patrie de toujours. Qu’il se rassure : en un geste, lui est devenu un Chevalier éternel.
Par Eric Carpentier