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Martinez : « Dire du jeu espagnol qu’il est ennuyeux, c’est faire preuve de mauvaise foi »

Propos recueillis par Alexandre Gonzalez (Traduction : MH et AD)
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Après Swansea et Wigan, Roberto Martínez est encore en train de réussir le pari d'allier beau jeu et résultat à Everton, 5e à deux journées de la fin. Annoncé comme un possible successeur de Wenger à Arsenal, l'Espagnol est apprécié pour avoir su adapter à merveille ses influences ibériques au fighting spirit anglais. Alors qu'il reçoit Manchester City cet après-midi, SoFoot.com publie ici une interview « tactique » jamais sortie et réalisée à l'occasion de la publication de son portrait dans le magazine.

Quelle est l’importance du football espagnol en Angleterre ?

Il y a un grand respect pour le football espagnol. Aujourd’hui, les Espagnols sont considérés comme les meilleurs joueurs du monde et cela est positif. Avant, les gens n’assimilaient l’Espagne qu’au soleil et aux vacances… Aujourd’hui, il y a aussi des footballeurs avec une grande réputation en Angleterre. Cesc Fàbregas s’est révélé à Arsenal, Xabi Alonso à Liverpool ou Silva à Manchester City… Ces joueurs-là sont devenus des références en jouant en Premier League.

Le football anglais envie-t-il le jeu espagnol ?

Non, je ne dirais pas cela. La question qu’il faut se poser, c’est : pourquoi le football espagnol allie l’esthétique à la performance ? C’est une question que l’on se pose en Angleterre, car ce sont des personnes curieuses. Il ne faut pas oublier que le football est né au Royaume-Uni, et qu’ils sont partis avec des bases fortes dans ce sport. Aujourd’hui, la situation est inverse : ils cherchent à s’améliorer en voyant ce qui se fait à l’étranger. Et ils le trouvent dans ces joueurs espagnols et hollandais et les prennent en exemple.

Pourtant, on a bien vu lors du dernier Euro qu’il manque toujours quelque chose à la sélection anglaise…

Je pense qu’une cassure a eu lieu dans la sélection anglaise. Après le Mondial 2010 et la défaite contre l’Allemagne… Capello avait réalisé de bons éliminatoires avec la sélection anglaise. Mais ensuite, le malentendu qui a eu lieu, puis sa démission ont coûté très cher à l’Angleterre. À partir de là, on a commencé à se demander s’il était vraiment essentiel d’ouvrir le football britannique à un entraîneur étranger. C’est un équilibre à trouver, entre deux souhaits : conserver son identité tout en s’imprégnant des succès étrangers. Cela va apporter beaucoup au futur footballeur anglais.

Dans quel sens ?

Aujourd’hui, la Premier League fait preuve de curiosité et ça se note dans son évolution. On ne peut plus réduire les Three Lions à du jeu direct et strict, comme on peut encore l’entendre. En 1995, on avait ce football rigide, en 4-4-2 compact et bien physique, même si durant les grandes années de Liverpool en Coupe d’Europe, il y avait des similitudes avec le football total de Rinus Michels. Aujourd’hui, il y a ce même objectif de possession, de contrôle du ballon. C’est une évolution tactique qui va polir cette tradition du football intense, faite de chocs physiques.

En passant de l’Espagne à l’Angleterre, ça a dû être difficile, non ?

Je suis arrivé à Wigan en 1995, en tant que joueur. Dave Willan détenait la chaîne sportive JJB. Il a ouvert quatre centres en Espagne : un à Bilbao, un à Barcelone, un à Saragosse et un à Majorque. Le manager de ses boutiques était un ancien joueur de football. Au même instant, Dave Willan achète Wigan et demande à ce manager s’il connaît un joueur capable d’apporter un plus à l’équipe. À partir de là, on a été trois joueurs à être transférés depuis Saragosse. Dave Willian était quelqu’un de sérieux : il nous voulait pour bâtir une équipe forte, être en Premier League d’ici 10 ans, construire un stade de 25 000 places. En plus, l’arrêt Bosman venait de passer. C’était une coïncidence pour moi.

Quand vous arrivez, le jeu était différent de l’Espagne ?

Un choc total. C’était un style complètement différent : la structure du club était très bien implantée, très professionnelle, même si on parlait alors de la troisième division. Il y avait 92 équipes et toutes étaient professionnelles. Le chemin d’accès pour la Premier League est donc déjà plus simple au niveau administratif. Ensuite, la forme du jeu nous a beaucoup surpris : c’était ce football direct, avec beaucoup de phases arrêtées, en seconde intention. Mais en Angleterre, il y a cette passion qui te rend fou d’amour, ce fighting spirit qui rend l’intensité si folle.

C’était quoi le plus difficile ?

Le plus dur à réaliser, c’était d’intégrer ce courant de pensée qu’ils avaient tous. Plus tu mettais de personnes dans la surface de réparation, plus tu avais de chances pour marquer un but. Quand tu dois intégrer cela alors qu’on t’a dit pendant des années : « Plus tu as la balle, plus les occasions apparaîtront » , c’est une lutte quotidienne. Mais c’est aussi très enrichissant : ici, tu n’as pas la place de tomber pour chercher à obtenir une faute, tu n’as pas d’excuses. La culture du travail est totalement différente.

Quand vous devenez entraîneur à Swansea, vous arrivez à faire passer vos idées ?

À la base, j’étais un joueur technique. Donc forcément, il faut savoir faire un effort tactique. À partir de ce moment, je me suis comporté comme un entraîneur, c’est-à-dire le leader d’un groupe. En une heure, je suis passé d’ex-joueur à l’entraîneur d’anciens coéquipiers. C’était un vestiaire que je connaissais bien car j’avais été capitaine de cette équipe six mois auparavant, et ça a sans doute été le facteur déterminant dans mon choix d’entraîner. Je savais comment fonctionnait ce groupe, comment réagissaient chacun des joueurs, et surtout, je savais qu’à Swansea, les supporters avaient un goût prononcé pour le beau jeu et l’esthétisme. Dans leur 4-4-2 classique, j’ai donc pu changer de tactique et passer en 4-3-3 ou en 4-2-3-1.

Quelles sont vos influences ?

C’est un mélange. D’abord, comme beaucoup en Espagne, Johan Cruyff est pour moi une référence. Non seulement il a créé une tactique, mais il a aussi créé un club. Et ça, ça m’a tout de suite plu. Il a pris un temps fou à construire cette philosophie. Son style m’a accompagné dans mon voyage vers le Royaume-Uni. Cependant, il fallait accommoder cet état d’esprit aux traditions anglaises. Mais rapidement, la mayonnaise a pris. J’ai instauré un 4-3-3 et en seulement 12 matchs restants, les résultats étaient déjà là. Puis l’été suivant, j’ai recruté 10 joueurs qui ont formé la base de l’équipe qui est montée en Premier League. Par exemple, Leon Britton a été l’une des pierres angulaires de mon équipe en tant que milieu défensif. Il avait cette capacité à faire ressortir proprement le ballon et à se projeter vers l’avant. Dorus de Vries aussi, un gardien hollandais qui savait jouer de derrière.

Il y a des joueurs qui ne comprennent pas ce concept ?

Oui. Il y a des cas où l’individu ne se sent pas à l’aise et ne veut pas expérimenter de nouvelles choses, tout simplement. Mais c’est difficile : accepter un changement de tactique du jour au lendemain n’est pas donné à tout le monde.

C’était difficile pour vous de travailler en Espagne ?

Selon moi, la Liga est un championnat très intéressant d’un point de vue tactique. Si tu es espagnol, tu as toujours une filiation culturelle qui te rallie à la Liga et au football espagnol. Mais la façon de travailler dans la majorité des équipes espagnoles est très différente du rôle de manager. En tant que manager dans le football anglais, tu as d’autres responsabilités, d’autres objectifs, d’autres manières de travailler, qui moi me plaisent. Tu peux contrôler l’avenir du club, te projeter dans les années qui viennent ou prévoir des choses à court terme. Alors qu’en Espagne, il y a peu de clubs qui travaillent de cette manière. Moi, j’aime pouvoir avoir le contrôle sur toutes les décisions du club, mais aussi sur les positions financières. J’admire beaucoup le rôle de manager, car il est beaucoup plus compliqué que celui d’entraîneur dans les autres championnats.

Les projets comme ceux du Paris Saint-Germain ou de Manchester City sont-ils, selon vous, une bonne chose pour le football ?

Il y a deux visions. Je pense qu’ils causent du tort au monde du foot en surévaluant certains joueurs. Sur certains transferts, ils font totalement exploser le marché. Dans ce genre de clubs, il y a des joueurs qui ne jouent jamais et qui ne peuvent pas partir car les autres clubs n’ont pas les moyens de se les payer. Du coup, ça crée des courants qui ne sont pas sains pour le football. Mais si l’on oublie le côté financier, le fait de pouvoir réunir autant de talents dans une même équipe, c’est selon moi fascinant.

Les méthodes de travail en Espagne sont-elles plus ou moins les mêmes ?

Je crois que les méthodes doivent êtres adaptées selon les équipes et les pays. Le jeu espagnol et le jeu anglais sont très différents. La Premier League a vraiment une autre intensité. Si on réalisait le même type d’entraînements pour une équipe espagnole et une équipe anglaise, ce serait probablement un fiasco. Et inversement.

Pourquoi ? Parce qu’on travaille plus avec le ballon en Espagne et plus sur le physique en Angleterre ?

Non, mais l’intensité dans le football britannique est nettement plus importante. Tout ce qui se fait dans le foot anglais est basé sur l’intensité. C’est difficile de trouver ça dans d’autres pays. Selon moi, le football britannique fait beaucoup référence au rugby, alors que l’Espagne, ce serait plus le basket. C’est un sport qui est très stratégique, il faut contrôler tous les mouvements. Dans le foot anglais, l’intensité est très forte et tu dois entraîner les joueurs de cette manière.

Comment se fait cette distinction ?

Le football anglais est basé sur le travail et tu dois faire tout ce qu’on te dit de faire. Il faut être professionnel à 100%. Le joueur espagnol va aussi travailler, mais pour lui, le vrai boulot se déroule sur le terrain, au moment du match. D’une certaine manière, les entraînements reflètent cette perspective-là.

Le football développé par Guardiola avec le Barça est-il le meilleur de ces dix ou quinze dernières années ?

Il y a des concepts de jeu bien spécifiques qui ont porté leurs fruits en Europe, mais le football de Guardiola est la preuve ultime qu’on peut gagner avec l’art et la manière. C’est-à-dire gagner tout en développant un style et une philosophie de jeu très claire qui a fait la renommée du Barça. Tout a commencé avec Johan Cruyff et aujourd’hui, on est arrivé à un autre niveau dans la manière de gagner des titres. Je crois que le football doit toujours être question de goûts.

À l’Euro, le jeu de l’Espagne a été pas mal critiqué. On disait notamment qu’il était ennuyeux. Vous le comprenez, ça ?

Non, j’ai du mal à saisir et à comprendre qu’on puisse trouver ça ennuyeux. Surtout que ça n’a jamais été le cas, au contraire. L’Espagne développe un style de football fantastique, tout en maîtrise. Leur style de jeu est basé sur la possession, c’est sans doute ça qui peut frustrer un peu les spectateurs ou leur faire dire que c’est ennuyeux. Mais de toute manière, toutes les personnes qui dominent le sport mondial sont perçues comme telles. On l’a vu dans le tennis avec Pete Sampras, avec le Barça de Guardiola et donc avec la sélection espagnole. Parler d’ennui pour qualifier le jeu de l’Espagne, c’est quand même faire preuve de mauvaise foi.

Comment peut-on parvenir à gagner contre ce type d’équipes qui monopolisent le ballon ?

C’est très difficile, mais je pense que la seule manière est justement de les empêcher de prendre le jeu à leur compte. Mais ça reste très compliqué de modifier leur style de jeu, car il conduit presque systématiquement à la victoire. On sait ce qu’ils vont faire et on n’arrive pas à les en empêcher.
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