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Martin Djetou : « Márquez, je l’appelais Pete Sampras »

Propos recueillis par Chris Diamantaire
Martin Djetou : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Márquez, je l&rsquo;appelais Pete Sampras<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Rouage important de l'AS Monaco entre 1996 et 2001, Martin Djetou revient sur son second titre de champion de France, les débuts de Claude Puel en tant qu'entraîneur et l'affaire du tunnel du Vélodrome.

La particularité avec l’ASM de la saison 1999-2000, c’est cette impression d’osmose presque immédiate. Quelle en a été votre part ?Avant le début de saison, le président Campora nous avait dit : « Punaise les gars, ce serait le top si on avait ce titre-là… » C’était le changement de siècle, on avait à cœur de bien faire. Ça pouvait venir de partout avec cette équipe, parce qu’on avait des joueurs de tous les profils : vitesse, jeu dans les couloirs, frappes de loin, jeu de tête… On était complets. Il y avait beaucoup de jeunes, mais on avait aussi la grinta, l’expérience, la technique de Simone, de Gallardo… Moi, j’avais le goût du combat, des duels, de la conquête du ballon. Tigana et Puel m’appelaient le guerrier. Quand Claude Puel était joueur, j’entendais dire que c’était le joueur sur lequel on ne comptait pas, mais, finalement, dès que le coach faisait son équipe, c’était le premier nom qu’il mettait sur le tableau. C’était un vrai soldat, comme moi. Je me reconnaissais en lui. Je suis assez discret, mais quand il fallait dire les choses, j’y allais. Et j’étais super bien entouré. Un joueur comme Costinha disait aussi ce qu’il avait à dire. Moi, je préférais donner le ton, dans l’entame de match, l’intensité… Une fois, Benarbia (son coéquipier à l’ASM de 1996 à 1998, N.D.L.R.) m’avait dit : « Djet’, quand on doit gagner, on regarde dès le début de match si tu gagnes ton premier duel. Si on voit que t’es pas dedans, on sait que ce soir, on ne va rien espérer. » C’étaient des super mots. J’étais dans ce registre-là. En 2000, Lamouchi, Simone ou Barthez prenaient plus facilement la parole.

Gallardo, il était tellement facile que la plupart des clubs avait mis une pièce sur sa tête.

Avez-vous tout de suite senti Claude Puel à l’aise dans son nouveau rôle ? Quand je suis arrivé à Monaco en 1996, Claude était toujours le premier habillé avant le début de l’entraînement. Parfois, il faisait même presque sa petite séance avant l’entraînement. La première fois qu’on se croise réellement, il est déjà habillé et on est convoqués dans le bureau du coach. Il lui annonce qu’il ne compte pas sur lui cette année-là, qu’il veut faire confiance aux jeunes… Tigana échange beaucoup avec Claude et lui dit qu’il se doit de passer ses diplômes. Lorsque Tigana est parti et que Claude l’a remplacé, il lui a fallu logiquement trouver ses marques. Au début, ce qui a failli lui faire défaut, c’est d’écouter un peu trop tout le monde. Il voulait tellement bien faire qu’il était un peu trop dans l’échange. La preuve : une fois, alors qu’on était en train de travailler les coups de pied arrêtés, Claude avait son idée exacte de ce qu’on devait faire, mais il avait eu la curiosité de demander à Marco Simone comment on faisait à Milan. C’était sûrement pour son apprentissage personnel. Sauf que Marco Simone avait son idée derrière la tête et il faisait comme si c’était lui le coach ! (Rires.) Nous, ça nous dérangeait un peu. Mais après, il a été assez intelligent pour tout gérer lui-même. On a crevé l’abcès avec les anciens. Moi-même, j’avais dit : « Claudus, moi, j’ai rien après toi, je ne suis pas là pour rentrer dans les histoires de pourquoi lui il joue et pas lui, pourquoi lui gagne plus que lui… » D’ailleurs, il m’avait invité chez lui avec Wagneau Eloi pour discuter. Parce qu’à un moment, quand on faisait des petites sorties entre nous tous, les Sud-Américains ne venaient jamais. Ils restaient entre eux, à organiser autre chose à côté. Malgré ça, on a eu le titre de champion, on était intelligents, on savait ce qu’on voulait, ça s’est super bien passé.

Puel était dans la même lignée que Tigana dans son management ?C’était différent de Tigana. Il y a deux écoles quand on passe les diplômes d’entraîneur. Celle qui dit qu’on doit être en dehors du terrain pour voir ce qu’il s’y passe. Et celle qui dit qu’on doit être proche de ses joueurs, au milieu. Tigana se mettait sur le banc quand il y avait l’entraînement et il regardait. Et, quand l’entraînement était terminé, il avait son opinion, et son adjoint avait la sienne. Ils échangeaient et ils savaient si un joueur avait triché sur la séance, qui était en méforme, en grande forme… Et, souvent, ils se rejoignaient. Quand tu es au milieu, tu vois certaines choses, mais pas tout. Des gens en vacances voyaient Tigana tout le temps assis et se disaient : « C’est pas lui qui entraîne. » Bien sûr que si. Il préparait la séance, il expliquait et quand ça devenait très technique, il prenait le recul et observait la séance. Deschamps fait parfois pareil avec son super adjoint. Et lorsqu’il a besoin de faire passer une info ou une idée, il reprend les rênes. Pareil pour Blanc et Gasset. Jean-Louis Gasset, je l’ai eu à Istres. Il était très très fort. Mais il faut un adjoint et un gars au-dessus, tu ne peux pas tout faire. Si tu as la chance de trouver l’adjoint qu’il te faut, tant mieux. Claude, lui, avait encore son âme de joueur. Grégory Coupet m’avait dit un jour que Claude Puel s’était pété le nez une fois à l’entraînement à Lyon. Et que c’est à ce moment-là seulement qu’il aurait arrêté de participer aux séances.

Lors du titre de 1997, il était adjoint, en charge de la préparation physique. Ça a influé sur sa manière de préparer l’équipe pour la saison 1999-2000 ? Évidemment. Déjà, en tant que joueur, il avait une VMA énorme. Claude avait un rythme cardiaque équivalent aux meilleurs cyclistes français. Tu le couches sur un lit, ça fait « poum ». Tu attends, tu n’entends plus rien. Et puis « poum ». (Rires.) C’était énorme. Ça a été prouvé. À un moment, on a voulu savoir qui était plus fort que qui. Et les trois meilleurs VMA du club étaient Claude Puel, Moussa N’Diaye et David di Tommaso, paix à son âme. Pourtant, dans le groupe, il y en avait d’autres avec une grosse VMA… En tant qu’entraîneur, il démontre encore aujourd’hui que tout guerrier qu’il est, il a une intelligence énorme, notamment dans sa façon de former les joueurs. J’ai adoré ce qu’on a fait ensemble.

Ce qui ressort le plus des témoignages autour de cette équipe, c’est la notion de plaisir.On le ressentait même à l’entraînement. Le lendemain des matchs, ceux qui avaient joué devaient faire un footing de dix ou vingt minutes. Et ceux qui avaient peu joué ou n’avaient pas joué, après le footing, ils faisaient un petit jeu avec les titulaires. Derrière, la séance commençait pour ceux qui n’avaient pas joué. Mais c’était pas un petit jeu en fait, c’était un match intensif ! Le Prince arrivait et disait : « C’est pas les mecs qui ont joué hier qui s’entraînent là, c’est pas possible ! » Ça taclait… Mais tout le monde était tellement concerné qu’il n’y a jamais eu de blessé ! Et, parfois, Claude disait : « On arrête la séance, vous avez assez donné. » Avant même que la vraie séance n’ait commencé pour ceux qui n’avaient pas joué. Ceux qui voulaient vraiment travailler un truc spécifique derrière pouvaient, mais, sinon, il disait stop parfois. Le petit jeu durait parfois une heure et demi facile. On ne se rendait pas compte de la charge de travail tellement on était imprégnés de plaisir, impliqués.

Avec Dado, on a dit : « Les gars, on a un collègue qui se fait tabasser, il faut y aller ! » Gallardo a gueulé dans le vestiaire. Si Dado et moi n’étions pas arrivés, il se serait fait terminer.

Quels coéquipiers vous ont particulièrement marqué cette saison-là ?Derrière, Márquez. Je l’appelais Pete Sampras. Il était très jeune et il avait plus de barbe qu’aujourd’hui, c’était la force tranquille. N’Doram m’avait dit une fois : « Mais tu sais, Martin, un défenseur qui est toujours par terre, c’est un défenseur qui est en retard. » Márquez avait une qualité de pied, un super timing alors qu’il n’était pas si grand que ça, une intelligence de jeu… Il n’était pas rapide, pas épais. C’était quelqu’un de normal ! Et puis, tu ne l’entendais pas. Sinon, Gallardo évidemment. En fait, Gallardo, il était tellement facile que la plupart des clubs avait mis une pièce sur sa tête. C’est comme dans l’histoire de Pelé, de Maradona ou Messi : à un moment donné, faut les couper. À Marseille, il se fait emplafonner. Simone et Lamouchi se font gifler… Les gens disaient qu’il chambrait. Mais non, c’était son jeu. Il était tout simplement doué. Gallardo avait l’art de te faire sortir de ta zone de confort. Il rentrait dans ta tête. Tu ne pensais plus à jouer intelligemment, tu ne pensais plus qu’à lui. Et quand il rentrait dans ta tête, c’était fini parce qu’il savait exactement de quel côté il allait t’emmener, quel appui tu allais prendre… C’était impressionnant. Il avait le vice, la technique, la vision du jeu, le dernier geste, les coups de pied arrêtés… Le seul truc qu’il n’avait pas, c’était le jeu de tête.

L’histoire du tunnel du Vélodrome semble être le point final symbolique de cette équipe. Comment l’avez-vous vécue à titre personnel ?Ça a cassé quelque chose en moi. Quand j’étais petit, alors que j’habitais Paris, dans ma tête, c’était Marseille, Marseille… Et quand je vois que pour gagner un match, tu te fais casser la gueule, insulter… Je n’ai jamais compris ce truc. Il y avait deux endroits où c’était difficile : Bastia et Marseille. On avait dit au président qu’on ne voulait pas reprendre la seconde mi-temps. Et puis, finalement, on nous a demandé de réagir comme des professionnels : on y a été pour faire notre job. La plupart des jeunes ont été choqués. À la mi-temps, avec Dado Pršo, on arrive. Marcelo était par terre avec Jacques Abardonado sur lui… Galtier était là aussi. Les vigiles avaient fait une haie pour qu’on ne voie pas que Gallardo se faisait tabasser. Avec Dado, on a sauté dans le tas. Les vigiles ne nous ont pas touchés. C’étaient des molosses, donc s’ils nous avaient mis une droite… C’était juste de l’intimidation, le temps de nous retarder pendant que Gallardo se faisait tabasser. Et, quand j’arrive à passer, je chope Abardonado et il me dit : « Nan, nan, Djet’, je te jure, j’étais pas en train de le tabasser, j’étais en train de le relever ! » Mais les petits jeunes de notre équipe, quand ça a commencé à chauffer, ils ont eu peur, au lieu de donner un coup de main, ils sont rentrés de suite dans le vestiaire. Avec Dado, on a dit : « Les gars, on a un collègue qui se fait tabasser, il faut y aller ! » Gallardo a gueulé dans le vestiaire. Si Dado et moi n’étions pas arrivés, il se serait fait terminer.

Le groupe ne s’est ensuite pas relevé du mercato estival…Ça résume toute l’histoire de l’AS Monaco. Les cinq saisons où j’y étais, le recrutement était réfléchi, mais dès qu’on faisait une bonne saison, il y avait des départs. Et on avait toujours du mal à repartir, on perdait du temps et des points en début de saison. Nous, on aurait voulu continuer avec l’équipe de 1997, par exemple. La chance en 2000, c’est que la mayonnaise a pris de suite. C’est rare. La fête du titre a été belle. Il n’y a pas si longtemps que ça, j’ai ressorti des photos. J’étais avec Riise, Farnerud… Il y avait un monsieur qui avait un restaurant qui s’appelait le Loga Café. C’était devenu ma cantine parce c’était le seul qui savait faire le riz. Moi, je mange de tout, mais il me faut du riz… Et je ne sais pas comment on s’est retrouvés dans sa voiture, mais on ne voyait même plus la voiture tellement il y avait de monde dedans. Je crois qu’il a dû l’emmener chez le garagiste ensuite parce qu’il n’y avait plus de suspensions… (Rires.) C’était magnifique. Ce titre, je l’ai même mieux fêté que le premier. Quand j’ai signé à Monaco, Raymond Domenech, mon coach en espoirs, m’avait dit : « Mais tu ne veux plus jouer au foot ? » Parce que dans sa tête, Monaco, c’était le soleil, les gonzesses et les belles voitures… Il croyait que je partais là-bas pour profiter. Moi, je savais pourquoi j’allais là-bas : j’avais ma femme, un enfant, j’allais en avoir un deuxième… Et j’ai fait le bon choix : deux titres de champion, deux demi-finales de Coupe d’Europe… Franchement, top, là, je suis dans mon bureau, je vois encore la petite médaille. C’est cette année-là que le prince avait offert une Breitling à chaque joueur. Malheureusement, je me suis fait voler la mienne. Donc je sais que pendant qu’on en parle, il y a quelqu’un qui porte ma Breitling ! (Rires.)

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