- Foot et société
Marlène Schiappa : « Il ne faut pas surcharger le monde du foot »
Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, est en train de croiser le fer avec le machisme avec sa loi très critiquée contre les violences sexistes et sexuelles. Mais elle est aussi une vraie passionnée de foot qui porte l'OM et l'ACA dans son cœur, et qui a même quelques idées pour trouver un second voire un troisième sexe à ce sport.
Vous avez confié être fan de l’Olympique de Marseille. Comment analysez-vous cette saison ?D’abord si je suis supportrice de l’OM, c’est surtout par tradition familiale. Je ne suis pas une acharnée. Mon grand-père et mon père étaient des supporters phocéens dans l’âme. De fait, j’ai grandi dans cette ambiance, je n’ai pas eu d’autres choix. Après, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Je suis surtout déjà contente de les voir arriver jusque-là.
Existerait-il un kop marseillais au sein du gouvernement, avec le président de la République en capo ?Sans oublier Christophe Castaner, bien sûr ! C’est vrai qu’on en discute, avec également pas mal de députés qui sont aussi supporters de l’OM. Le foot reste le truc de base, le sport populaire par excellence qui peut intéresser tout le monde. Donc au gouvernement comme dans les entreprises à la machine à café, le sujet arrive inévitablement sur la table.
C’est un moyen pour Emmanuel Macron de casser son image de président des riches ?Non, je ne dirais pas cela. Je pense qu’il est vraiment supporter, qu’il ne fait pas semblant. Et après, évidemment, il s’agit d’un des seuls sports qui peut fédérer des milliardaires et des gens qui habitent dans une HLM. Cela ne laisse jamais indifférent.
Comment justement avez-vous vécu le spectacle offert par les play-offs entre Le Havre et Ajaccio ?Pour tout avouer, j’ai failli publier un tweet genre « By By Le Havre cc@edouardphilippe » . Je me suis dit que c’était un peu déplacé vu ce qui s’est passé, et je me suis abstenue. Je connais très bien le stade d’Ajaccio, je suis d’origine corse et dès que je passais mes vacances là-bas, ou que je m’y rendais, j’allais voir les matchs de l’ACA et plus rarement du Gazélec. C’est une culture particulière où l’on ne respecte pas forcement les règles. Je l’ai déjà raconté fréquemment, je me souviens par exemple d’un type arrivé en retard, passant par-dessus la grille, traversant le terrain et se rendant tranquillement à sa place. Inimaginable au Parc des princes. En même temps, c’est aussi un club particulier. La dernière fois que j’y suis allée, ils ont rendu un vibrant hommage aux mères des joueurs, qui les soutiennent et ont fait d’eux ce qu’ils sont. C’est facile de taper sur la Corse, de stigmatiser les Corses qui sont violents. En revanche, les coups donnés à l’entraîneur et au président du Havre sont inadmissibles. Il faut aussi que la Corse s’interroge sur sa façon d’accueillir les gens pour un match, l’image que cela renvoie : le caillassage de bus, les coups, ce qui s’est passé sur le terrain… Il ne faut simplement pas tomber dans l’amalgame facile.
Le foot féminin est-il le contre-pied de ces tendances ? Quand on a pour mission de développer l’égalité hommes/femmes, c’est un immense chantier, non ?Le foot, c’est la testostérone poussée à son paroxysme avec la glorification des normes masculines du pouvoir : l’esprit de clan, de compétition, le fait de s’encourager dans une virilité compétitive et une démonstration de force des hommes entre eux. En face, la place des femmes se révèle assez restreinte. Regardez comment Margarita Louis-Dreyfus avait été traitée avec des banderoles misogynes style « retourne à ton vrai métier femme au foyer » . La place des femmes dans le foot est difficile. Ou on est wags, des femmes de footballeurs, ou on est des supportrices qui doivent se justifier en permanence du pourquoi du comment. De même, le foot féminin et les joueuses sont assez mal connus. Moi-même, je connais assez mal, je maîtrise bien mieux le foot masculin. Après se pose aujourd’hui un autre problème, l’injonction à l’ultra-féminité. Pour vendre aujourd’hui le foot féminin, le rendre attractif, on mise sur l’hyper-sexualisation des femmes. Il s’agit de créer un marché. Il faut avoir des droits télé, pour cela il faut évoluer dans des beaux stades, pour que les stades soient remplis, il faut des supporters, pour en avoir il faut des bonnes joueuses, donc des centres de formation, etc. Cette économie n’existe pas vraiment pour le foot féminin. Il s’avère donc plus facile par paresse intellectuelle des vouloir sexualiser les joueuses, en les mettant en scène dans des pauses plus ou moins suggestives ou lascives. C’est quelque chose que n’expérimentent pas les footballeurs. Même les plus moches, et je ne donnerai pas de noms (Rires), seront jugés sur leur jeu et leurs stats, sur leur talent, et ils auront leur maillots floqués vendus dans les supermarchés. Ce n’est toutefois pas propre au foot. Le corps de la femme est toujours et d’abord exposé sous l’angle de la beauté et de la séduction. Ces stéréotypes sont dominants, avec l’homme fort et la femme passive. Toutefois, paradoxalement, le foot peut y répondre, en démontrant aux filles qu’elles peuvent devenir actrices, performantes, avant tout comme sportives. Justement, à l’occasion de la Coupe du monde féminine en 2019 chez nous en France, nous allons essayer de transformer les spectatrices en sportives, et ensuite de rendre les stades plus accueillants pour les femmes.
Encore faut-il qu’on leur laisse des stades pour jouer, et ça va du plus petit niveau jusqu’au Parc des princes.Moi, je suis élue du Mans. Nous avons ce grand stade, le MMA Arena, et le boulet économique qu’il représente pour le contribuable et Vinci. Ce qui lui a permis de tenir, c’est d’avoir organisé et reçu beaucoup de matchs de la Coupe de France féminine, avec des billets à des prix attractifs, avec des activités autour, en allant chercher un nouveau public… Pour le reste, je pense que cela ne doit pas être une décision descendant de l’État qui s’impose du jour au lendemain, ce serait contre-productif. Cela risque d’être mal compris, mal perçu notamment par les petits clubs sans féminines ou peu riches. Nous avons instauré avec Laura Flessel une Conférence du sport féminin avec par exemple Raymond Domenech et Dominique Crochu pour réfléchir aux meilleurs moyens de contourner ces obstacles.
Dans un tout autre registre, la question de l’homophobie dans le football commence timidement à être posée. On pointe beaucoup les supporters, qui lancent parfois des insultes incontestablement homophobes. N’est-ce pas un peu facile et réducteur ?Il ne faut pas blâmer ou surcharger le monde du foot sur l’homophobie. Certes, c’est un espace caractérisé par la concentration de testostérone et des stéréotypes de genre. Il s’y résume tout ce qui circule dans la société en matière de méconnaissance de l’homosexualité. Quand tu vois des joueurs de foot qui te confient qu’ils ne veulent pas d’homos dans leur équipe à cause du vestiaire, de ce qui pourrait s’y passer, dans le style « ils vont nous sauter dessus » … Être gay, cela ne signifie pas vouloir attraper tous les hommes dans toutes les situations qui se présentent. Et pourtant, c’est tellement intégré que quand je parle avec des footballeurs qui ne voulaient pas réaliser leur coming out, quel que soit leur niveau, ils me sortaient tous également l’argument du vestiaire. Ils me racontaient qu’au-delà de l’impact sur leur image, il leur apparaissait compliqué de l’assumer dans les vestiaires vis-à-vis de leurs coéquipiers, dans cet endroit où on est nu, on se touche… Ils craignaient plus que tout le malaise. Le combat est donc plus large que le foot lui-même. Il faut voir comment on arrive à faire comprendre que l’orientation sexuelle ou amoureuse n’a rien de problématique.
Ne faut-il pas surtout se pencher sur l’attitude des agents et des présidents de club qui poussent plus ou moins leurs joueurs à taire leur homosexualité ?Franchement, et encore une fois, ce n’est pas dans le but de dédouaner le foot, mais j’observe cette réalité partout. J’étais au festival de Cannes et un acteur me relatait que son agent l’encourageait à donner l’impression qu’il était hétéro, voire à simuler une histoire avec une jeune femme. Sinon, il aurait moins de rôle, il serait moins crédible. Dans la politique, la situation est-elle si différente ? Les femmes et les hommes politiques qui ont effectué leur coming out restent peu nombreux. Prenez l’Assemblée nationale avec ses 577 députés, combien ont-ils rendu public le fait qu’ils étaient gays ? Alors que proportionnellement, vous pouvez être certains qu’ils sont des dizaines. Je ne suis évidemment pas dans l’injonction. Je ne me permets pas d’expliquer aux principaux concernés s’ils doivent ou non sortir du placard. En revanche, pour ce qui concerne les pouvoirs publics, il importe de créer les conditions pour combattre l’homophobie dans le foot. Cela peut signifier aussi bien encourager le sport inclusif comme les gays games qui vont se tenir à Paris en août que permettre au joueur lambda de la Sarthe de déclarer sans crainte qu’il est gay. C’est pour cette raison que la formation des éducateurs est essentielle, et que nous nous y sommes attelées avec Laura Flessel.
Vous venez de défendre une loi sur la question du harcèlement et des violences sexuelles, cela reste en France très largement tabou dans le sport et dans le foot en particulier… Pourtant, dans le sport, malheureusement, toutes les conditions sont réunies pour fabriquer un terreau favorable aux agressions sexuelles : promiscuité, emprise des entraîneurs avec la relation au coach ou au sélectionneur extrêmement interpersonnelle. Les gamins arrivent très jeunes en centre de formation, coupés de leur famille, sans tiers de confiance, ils s’en remettent beaucoup à leur coach. Il peut s’en servir pour abuser d’eux et surtout les forcer à garder le silence, avec en outre le chantage à la carrière. Nous sommes en train de mettre en place des circuits d’alerte comme dans la fonction publique, notamment destinés à sensibiliser les éventuels témoins. Je tiens ici à souligner le courage d’une personne comme Sébastien Boueilh et de son association Colosses aux pieds d’argile qui travaille pour combattre la pédophilie dans le milieu sportif. Si les femmes ont levé progressivement le tabou avec par exemple #metoo, les violences sexuelles envers les hommes demeurent presque indicibles, et très peu est fait pour les aider. Le poser sur la place publique comme ici dans le sport est déjà une immense avancée.
Pour finir, la Coupe du monde va bientôt se dérouler en Russie, pas franchement le pays le plus réceptif aux droits des gays. Comment concilier l’engagement féministe et pro-LGTB, et cette compétition chez Monsieur Poutine ?Il faut bien séparer les deux dimensions. Le sport est évidemment un vecteur de soft power pour faire passer des messages, mais il ne faut pas surcharger la mission sportive. Il y a d’un côté la compétition qui se déroule dans un pays, et naturellement nous souhaitons tous et toutes que l’équipe de France aille le plus loin possible. De l’autre se situe l’action diplomatique. Le président de la République a renouvelé une prise de parole forte quand il s’est exprimé à l’occasion de la journée mondiale contre l’homophobie, réaffirmant que la France lutte contre la pénalisation de l’homosexualité et pour que les gays vivent tranquillement où qu’ils soient. Toutefois, j’ai appris depuis un an au sein du gouvernement que l’action diplomatique n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est souterraine, lors de rencontres entre diplomates ou chefs d’État. Les sportifs peuvent bien sûr porter un message, par exemple Antoine Griezmann qui a rejoint la campagne ex-aequo qui rappelle que l’égalité est une victoire. Et en lui en souhaitant d’autres…
Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov