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Mario Zagallo, la mort du vieux loup

Par Chérif Ghemmour

L’immense Mario Zagallo est parti rejoindre Pelé, vendredi à Rio de Janeiro, à l’âge de 92 ans. Il était le premier à avoir remporté la Coupe du monde en tant que joueur et sélectionneur.

Mario Zagallo, la mort du vieux loup

« Mário, si tu ne veux pas que je joue, dis-le moi maintenant et je l’accepterai. Ne me la fais pas à l’envers. » Au jour du premier entraînement de la Seleção qui a suivi la nomination de Mario Zagallo à sa tête le 17 mars 1970, Pelé est allé trouver son ex-coéquipier de gloire des Coupes du monde 1958 et 1962 qu’ils avaient gagnées ensemble. Car Pelé n’est plus O Rei au Brésil, vilipendé qu’il est par la presse et les supporters et délaissé jusqu’alors par João Saldanha, le sélectionneur viré que Zagallo vient de remplacer. Alors Mario rassure Edson Arantès : « Je ne suis pas idiot. Tu seras sur le terrain, fais-moi confiance. » La Seleção solaire du Mundial 1970 est née en mars 1970 de ce pacte fondateur…

La Seleçao pour la vie !

Le dimanche 21 juin 1970, après que le Brésil a torpillé l’Italie 4-1, Pelé, héros absolu du troisième titre mondial des Auriverdes, et Mario Zagallo se tombent dans les bras en sanglotant dans les vestiaires : « Il fallait que nous soyons réunis pour devenir champions trois fois, lui murmure Pelé. Ça n’était possible qu’avec toi. Merci. » Malgré ses 39 ans, Mário Zagallo, que l’on surnomme O Velho Lobo le vieux loup », en raison de son patronyme complet Mário Jorge Lobo Zagallo), a réussi avec l’équipe nationale une brillante reconversion comme entraîneur débutée en 1966, un an après sa fin de carrière de joueur pro en 1965. Zagallo avait drivé Botafogo et remporté le titre de champion de l’État de Rio de Janeiro et la Coupe Guanabara deux années de suite dès sa première saison, en 1967 et 1968, en plus de la dernière édition de la Taça Brasil, toujours en 1968, la coupe nationale brésilienne considérée comme l’ancêtre du championnat du Brésil actuel. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’était donc pas à n’importe qui que João Havelange, président de la CBF (fédé brésilienne), avait confié la Seleção en excluant le génial mais caractériel Saldanha…

La Seleção, la Canarinha, l’Auriverde, bref : l’équipe nationale brésilienne ! Cette dernière aura été le fil rouge, ou plutôt le fil jaune de la vie extraordinaire de Mário Jorge Lobo Zagallo. Double vainqueur, donc, des Coupes du monde 1958 et 1962 comme attaquant, puis en 1970 comme sélectionneur, il devancera Franz Beckenbauer et Didier Deschamps dans le registre hypersélect de gagnants du Mondial à la fois comme joueur et comme entraîneur. Premier historique de cet exploit sportif, Zagallo, lui, l’est doublement si on considère tout le poids inhumain qui pèse sur les épaules des entraîneurs de la Seleção : « La pression que la presse brésilienne nous impose fait, dit-on, vieillir de dix ans chaque sélectionneur. Et gare à vous si l’équipe perd : on jette des cailloux dans vos fenêtres ou sur votre voiture. Vos enfants ont soudain peur d’aller à l’école et de se faire taper dessus, et j’en passe et des meilleures », récitait-il en juillet 2002 pour France Football. Et Mario savait de quoi il parlait, après un premier échec sur le banc des Brazileiros à la Coupe du monde 1974, quatrièmes après avoir été engloutis par la tornade oranje. Après la quatrième étoile décrochée au Mondial US de 1994 en tant qu’assistant de Carlos Alberto Parreira, « le vieux loup » avait à nouveau échoué en finale de France 1998, le Brésil étant battu par les Bleus au Stade de France. Une défaite qu’il avait reconnue avec une grande sportivité, louant Aimé Jacquet, confondu de gratitude et d’admiration… En 2002, il avait réintégré la commission technique de la Seleção, rejoignant comme technicien, donc, Carlos Alberto Parreira au Mondial 2006. « La Seleção a été toute ma vie », avait-il confessé dans un documentaire qui lui avait été consacré par TV Globo pour son 90e anniversaire, rapporte L’Équipe. Au total, il aura dirigé le Brésil pendant 154 matchs, pour 110 victoires, 33 matchs nuls et seulement 11 défaites…

Carioca pour la vie !

Bien que né le 9 août 1931 à Maceió (Région du Nordeste), le jeune homme aux origines libanaises et italiennes est devenu un authentique Carioca, écumant comme joueur puis entraîneur les plus grands clubs de Rio. Il débute ainsi en équipe première de l’América Football Club en 1948 évoluant comme attaquant, avant-centre puis ailier gauche doté d’une patte alerte et puissante. Le 16 juillet 1950, le rookie Zagallo bosse aussi à la sécurité du Maracanã où il assiste à la désillusion brésilienne contre l’Uruguay (1-2). Comme pour Pelé, il fera tout pour exorciser le maracanazo. À l’América, Mario acquiert vite un premier surnom, la « Petite Fourmi » du fait de sa taille mini-mini (1,67m). Viendront ensuite les années Flamengo où il rafle trois fois le Championnat de Rio de Janeiro en 1953, 1954 et 1955 avant de migrer au bout de huit saisons chez le rival, Botafogo, en 1958. Bingo ! C’est l’année où il débute en Seleção à 26 ans en étant retenu par le sélectionneur Feola pour le Mondial en Suède. Le petit ailier gauche complète une redoutable ligne d’attaque composée aussi de Pelé, Vava et Garrincha. Le polyvalent Zagallo est un élément clé du 4-2-4 novateur de Feola puisqu’il décroche au milieu pour défendre dans un 4-3-3 plus compact ! La petite fourmi sera titulaire à tous les matchs, plantera le quatrième but du gauche avant d’être passeur décisif pour Pelé sur le cinquième lors du 5-2 en finale contre la Suède. Mais ce sont bien des larmes de joie qu’il versera au coup de sifflet final, réalisant la promesse qu’il s’était faite d’offrir une revanche à son pays, enfin champion du monde, après les désillusions de 1950 et 1954. Au Mundial chilien de 1962, il fait à nouveau partie de l’équipe joyeuse brazileira au gros contingent Botafogo (cinq titulaires) qui remporte à nouveau la coupe Jules Rimet. Cette fois, Zagallo a reculé au milieu, même s’il marque le premier but auriverde du tournoi. Mário Zagallo joue encore trois saisons avec l’Étoile solitaire (surnom de Botafogo), et remporte le Tournoi Rio-São Paulo en 1964, ainsi que quelques trophées mineurs lors de tournois amicaux, s’offre en 1964 une dernière cape, la 33e, avant de raccrocher en 1965. L’année suivante, il inaugure une carrière d’entraîneur à succès jusqu’en 2001, à 70 ans, qui le verra entraîner tous les grands clubs de Rio : Botafogo, Fluminense (champion de l’État de Rio 1971), Flamengo (champion de l’État de Rio 1972 et 2001), Vasco de Gama et Bangu. Il se paiera une petite infidélité pauliste en allant coacher l’Associação Portuguesa de Desportos en 1999-2000.

Adieu, Monsieur le professeur

O Velho Lobo ira ramasser de la caillasse dans les Pays arabes, coachant clubs ou sélections pour de courtes piges, vite oubliées (Koweït, Al-Hilal, Arabie saoudite, Émirats arabes unis). Comme technicien, il laissera le souvenir d’un stratège audacieux au Mundial 1970. D’abord en rappelant Pelé, tombé en disgrâce, et en lui confiant un double rôle de buteur et d’organisateur. On lui doit aussi d’avoir inclus dans son onze d’or le génial Tostão, décrié lui aussi et surtout incertain du fait d’une opération à la rétine juste avant la Coupe du monde. Zagallo a surtout eu l’audace, avant Michel Hidalgo, de n’aligner que « des 10 dans sa team », Pelé, Rivelino, Tostão, Gerson et Jairzinho. Même si le dernier nommé avait une vraie vocation offensive et avait fini meilleur buteur du tournoi. Loué pour sa science tactique qui lui vaudra de la part de ses joueurs, de clubs comme en sélection, le surnom de « Professeur », Mario Zagallo restera à jamais comme le technicien qui a offert la troisième étoile à la Seleção, synonyme de gardienne éternelle du trophée Jules Rimet. Le style éclatant et offensif de l’une des plus belles équipes de tous les temps, vainqueur de tous ses matchs en 1970, le placera régulièrement au classement des plus grands techniciens de l’histoire du jeu. Immensément respecté au pais tropical, malgré ses échecs à la tête de la Seleção, il avait la particularité patronymique d’avoir été le seul attaquant champion du monde 1958 à se faire appeler par son nom de famille et non pas par un apelido surnom » au Brésil). L’homme était affable, chaleureux, mais rancunier comme une teigne. Ainsi, il avait songé à poursuivre en justice Romario, qu’il avait blackboulé au Mondial 1998, après les propos souvent désobligeants du Baixinho ! Un temps consultant TV Globo en 2002, Mário Jorge Lobo Zagallo vivait depuis une vie paisible de retraité dans le quartier chic de Leblon, à Rio. Il étonnait par sa forme (pas un poil de graisse) et son esprit encore aiguisé, fruits d’une ascèse un peu militaire, confiant en 2002 à France Football : « Je mange peu, ne bois pas, ne fume pas et pratique le tennis une heure et demie par jour. S’il n’y avait que des gens comme moi, les pharmaciens feraient faillite. » Hospitalisé en août à Rio de Janeiro pour une infection urinaire, il s’est donc éteint vendredi, laissant derrière lui l’aura incandescente du Brésil qui gagne (presque) toujours…

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