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Mario Lemina : « Je n’ai plus de temps à perdre »
Il vient de disputer et perdre sa première finale de Ligue des champions. À 23 ans, Mario Lemina a bien conscience d'être un privilégié qui empile les titres avec la Juventus. Mais le Franco-Gabonais aspire à jouer plus régulièrement, et s'affirme prêt à quitter le Piémont si nécessaire.
Trois jours après la finale de Cardiff, que reste-t-il de cette finale de Ligue des champions dans ton esprit ?Je garde de la frustration. C’est un événement pour lequel on espérait une fin plus heureuse. On a fait un très bon parcours, on est très satisfait de notre saison, mais on en garde un goût amer trois jours après.
C’est la fierté d’avoir participé à la finale ou la frustration de la défaite, voire d’un temps de jeu limité qui va s’installer avec le temps ?Franchement, je n’ai pas le sentiment d’avoir été un simple remplaçant. Cette saison a été enrichissante pour moi sur tous les plans. J’ai évolué avec de très grands joueurs, cela ne peut que faire progresser. Je vais garder la satisfaction d’avoir participé à une finale de Ligue des champions à 23 ans.
Cette finale, c’est un peu à l’image de ton parcours à Turin : tu as découvert le très haut niveau, mais tu n’as pas réussi, en deux ans, à t’imposer et à enchaîner…C’est vrai qu’à la Juventus, j’ai souvent bien commencé les saisons avant de moins jouer. Le club recrute de très bons joueurs comme Miralem Pjanić, Sami Khedira qui a fait une très grosse saison sans blessure… Je ne suis pas plus déçu que cela, car j’évolue avec de très grands joueurs, connus aujourd’hui sur la scène internationale, ce qui me permet de progresser. J’ai quand même joué plus de 25 matchs en tout cette année (19 en Serie A, 7 en Ligue des champions, 2 en Coppa Italia, ndlr). C’est un bilan assez positif pour moi, même si c’est vrai qu’à 23 ans, il va falloir que j’enchaîne plus de matchs l’année prochaine.
À la Juventus ou ailleurs ?Aujourd’hui, je sais que la Juve ambitionne d’aller encore en finale de Ligue des champions la saison prochaine, ce qui passe par le recrutement de très grands joueurs. Je suis encore en progression, il va falloir qu’on ait une bonne discussion avec la Juve pour mettre les choses au clair entre eux et moi. Mais je pense qu’il n’y aura aucun souci, s’il doit y avoir un départ car c’est mieux pour moi, je pense que cela se passera bien avec la Juventus.
La Cadena Ser a parlé du FC Valence, l’Evening Standard a évoqué Arsenal. Tu as déjà établi le contact avec certaines écuries ? Non, j’étais focalisé sur la Ligue des champions et la fin du championnat.
En ce moment, je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir, j’attends d’avoir une conversation avec la Juve pour pouvoir déjà tirer les choses au clair et savoir ce que les deux parties veulent faire. Arrivé à 23-24 ans, je n’ai plus de temps à perdre, j’ai besoin d’enchaîner les matchs, de progresser sur le terrain. Si cela doit passer par un club de plus bas standing que la Juventus, cela ne me fait pas peur. On verra bien.
En matière de destination, il y a un pays, un football qui t’attirent ?Tu m’aurais posé la question il y a deux ou trois ans, je t’aurais dit l’Angleterre. Maintenant, avec tout ce que j’ai appris à la Juventus sur le plan tactique… Je n’ai plus de championnat préférentiel, ce sera au feeling, via les pourparlers avec les directions des clubs intéressés. Je ne pourrai pas demander des garanties extrêmement claires car je suis un jeune joueur qui a besoin de temps de jeu, mais cela se jouera à la confiance. Si je sens que le coach a vraiment envie de m’avoir dans son équipe, veut me faire aller plus haut… Ce sera un feeling, on verra, je suis ouvert à tout en ce moment.
Tu veux ce que tu n’as jamais obtenu dans ta carrière : une saison pleine du début à la fin…J’ai un parcours assez atypique. Déjà à Lorient, j’ai été sur le départ alors que je n’avais pas fait 30 matchs. Il y avait des spéculations par rapport à mon potentiel, je suis allé à Marseille – voulu ou pas voulu ce départ. Là-bas, cela ne s’est pas très bien passé au début et j’ai dû travailler et encore travailler. Jusqu’à ce que Marcelo Bielsa vienne et me permette de jouer plus de matchs. Puis quand j’étais enfin titulaire, je suis parti à la Juventus. Cela a toujours été comme ça, je n’avais pas le temps de m’imposer dans un club, je devais en partir. Aujourd’hui, j’aimerais avoir cette stabilité.
Le départ de Lorient en 2013, c’était une erreur ou est-ce que l’OM dans ce contexte-là ne se refusait pas ?
Ce n’était pas une erreur, sinon je ne serais pas là où j’en suis. Mais je voyais ça d’une manière différente, je me voyais rester plus longtemps à Lorient, à travailler avec le coach Gourcuff qui était derrière moi, comptait sur moi et voulait me faire progresser. Encore aujourd’hui, je parle avec lui parfois. C’est quelqu’un que j’apprécie vraiment. Partir n’était pas une erreur, mais je me voyais avec un autre parcours.
Lorient est relégué en Ligue 2. Ton départ en 2013 avait quelque peu officialisé la rupture entre Christian Gourcuff et son président…Je n’ai pas trop envie de rentrer dans ce sujet-là, car moi je serai toujours d’accord avec ce que le coach Gourcuff a dit à l’époque (que le club faisait du business plutôt que donner la priorité au sportif, ndlr). Je n’ai pas envie de juger, cela ne me regarde pas, je reste un simple joueur. C’est un sujet assez sensible. J’ai encore beaucoup d’amis à Lorient, j’ai des nouvelles, je regarde les matchs, notamment le retour contre Troyes. Cela m’a touché, mais comme je l’ai dit, il y a des choses qui n’ont pas été gérées comme il le fallait. Notamment certains départs, pas que le mien, qui n’étaient pas bénéfiques pour le club.
Ton autre club en France, l’OM, a beaucoup changé depuis ton départ. J’imagine que là aussi, tu as des anciens partenaires qui t’en parlent de l’intérieur…Bien sûr. Il y a une très belle équipe qui prend forme, avec un très bon entraîneur, Rudi Garcia. On voit l’équipe progresser, des jeunes joueurs rentrer dedans, c’est intéressant. Mais s’ils veulent atteindre leurs objectifs, ils vont devoir passer par un recrutement encore plus conséquent. Mais de ce que j’en ai vu cette saison, c’est intéressant.
Dimitri Payet est revenu, Steve Mandanda est en discussion. Toi aussi cela te plairait de revenir à Marseille ?
Je ne pense pas que cela serait la meilleure solution pour eux comme pour moi. Ils ont des joueurs au milieu de terrain qui ont trouvé des automatismes, ce n’est pas là où ils ont le plus de besoins. Et puis moi, je ne suis pas le genre de personne à revenir sur mes pas, même si j’ai beaucoup aimé ce club. J’ai vraiment envie d’aller voir ailleurs, apprendre d’autres langues, m’adapter à d’autres situations… Je préfère élargir mes horizons. Un retour en Ligue 1, ce n’est pas ma priorité, mais après, si cela doit se faire, cela se fera.
Un club comme Marseille qui veut revenir au sommet, il lui manque quoi par rapport à la Juventus, dans l’approche au quotidien ?Je ne vais pas prendre l’exemple de Marseille et de la Juventus, mais plutôt des championnats français et italien. En Italie, les entraînements sont intenses, il n’y a presque pas de jours de repos. C’est un championnat où l’on met tes capacités physiques à rude épreuve. En France, on joue peut-être trop sur nos qualités, on se repose, mais ce n’est pas assez exigeant, on se fait plus mal en Italie. Là-bas, j’ai appris à bosser très dur, je souhaite aux clubs de Ligue 1 de faire pareil pour atteindre leurs objectifs.
En 1996, quand il signe à la Juventus, Zinédine Zidane aurait vomi plusieurs fois pendant la préparation, parce que l’intensité était trop forte… Cela t’est arrivé d’être en rupture ?Quand je suis arrivé en 2015, ce n’était pas évident même si j’avais été bien préparé par Marcelo Bielsa. Ses entraînements très durs m’avaient mis dans l’ambiance. Mais à la Juventus, je n’étais pas prêt physiquement à leurs yeux. Il fallait que je bosse encore plus. Quand je finissais l’entraînement, j’allais directement dormir, mon corps était HS. En Italie, il faut le vivre pour le croire.
Tu as fait la CAN 2017 avec le Gabon après avoir gagné un Mondial U20 avec la France. Qu’est-ce qui t’a fait choisir les Panthères ?Il n’y a pas eu d’élément déclencheur. Étant formé en France, les sélections de jeunes françaises représentaient un rêve. Mais c’était très clair aussi qu’à terme, je voulais aider la sélection gabonaise. Ecuele Manga et Aubameyang me l’avaient aussi conseillé. En soi, la France a toujours eu de très bons joueurs, et moi, cela me tenait à cœur de porter le maillot du pays de ma mère.
Propos recueillis par Nicolas Jucha