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Marine Tondelier, Verte mais aussi Sang et Or
Conseillère municipale d’opposition à Hénin-Beaumont, secrétaire nationale d’Europe Écologie Les Verts et figure du Nouveau Front populaire, Marine Tondelier est la révélation de la campagne législative. Mais elle est aussi une fan du RC Lens, et on l’avait accompagnée à Bollaert l’année dernière.
À quoi pense donc la cheffe des Verts en ce matin du mardi 4 avril 2023, à quelques heures d’être reçue à Matignon par la Première ministre, Élisabeth Borne ? Réponse par SMS, à 8h52 : « Je cherche des places pour vendredi », jour de réception du RC Strasbourg pour le RC Lens. Problème, le match à Bollaert contre les Alsaciens s’annonce à guichets fermés depuis déjà un moment. Heureusement, la générosité des gens du Nord semble bien moins galvaudée que les promesses de négociation du gouvernement. Le précieux sésame sur lequel elle parvient à mettre la main lui ouvre les portes de la tribune Lepagnot, en face du kop. Deux places côte à côte qu’elle compte bien partager avec Émeline, sa cousine du même âge, 36 ans. Chez Marine Tondelier, le RC Lens est une affaire de famille. Sa maman est toujours la dentiste d’Éric Sikora, et elle doit sa première sortie au stade à son oncle Christophe, quand elle avait « 7 ou 8 ans ». Ce vendredi 7 avril, sur les coups de 19 heures, l’avant-match prend vite des airs de cousinade ch’ti. Écharpe au cou, Tondelier retrouve Émeline, et avec elle Enguerrand, Pierre et Louis – respectivement mari, frère et cousin d’Émeline. Tous sont évidemment des supporters inconditionnels des Sang et Or. De son « tour de France permanent », qui l’emmène entre deux plateaux télé à une manifestation contre la réforme des retraites ou à une autre contre les « mégabassines », la native de Bois-Bernard (Pas-de-Calais) retient d’ailleurs une chose : « Les gens veulent voir Lens gagner, car ils ne veulent pas voir le PSG champion. » Ou plutôt « le QSG, le Qatar Saint-Germain ! »
La sauce, les tarifs et Mickaël Debève
C’est l’heure d’une première bière à La Loco, un troquet situé en face de la gare. Tondelier prévient d’emblée qu’il n’y en aura pas d’autre avant le coup d’envoi. « Je suis déjà à deux grammes de fatigue, il faut que je tienne le coup. » Ça rechigne nettement moins aux selfies, et c’est parti pour le premier de la soirée avec toute la bande, ce qui rassurera Marie-Jeanne, la grand-mère, qui n’a pas très bien dormi après avoir vu à la télé les agriculteurs du Lot-et-Garonne menacer sa petite-fille. Ici, la conseillère régionale des Hauts-de-France n’a aucune raison de s’inquiéter : elle passe incognito avec sa casquette « 1906 » (l’année de création du club) vissée sur le crâne. Sur le chemin du stade, on presse le pas car il ne faudrait pas rater le meilleur moment de l’échauffement : la frite. « On a grandi avec ! La frite, c’est la fête », justifie Émeline. Christophe, l’oncle et parrain de Tondelier, est là lui aussi. Comme depuis 25 ans. « J’ai deux enfants, dit-il, le sang déjà bien chaud. À la fin, y en a un qu’aura la maison, et l’autre l’abonnement. Et je ne vous dis pas lequel sera le plus déçu. » En attendant son cornet, l’élue écolo dégaine le portable pour une nouvelle salve de selfies familiaux. Ce n’est plus tous les jours qu’elle a l’occasion de vivre ça, avec ses nouvelles responsabilités de cheffe de parti. Elle avait bien réussi à choper des places pour le derby face à Lille, en mars, mais elle n’a pu y assister, la faute aux « 50 ans de l’écologie politique » organisés à Mulhouse. On ne le dit pas assez, mais la politique est aussi une vie de sacrifice. Christophe s’inquiète : « T’arrives à dormir, quand même ? » C’est justement l’un des objectifs du week-end. Cinq nuits de suite, chez elle, à Hénin-Beaumont, à dix kilomètres de Lens, voilà qui ne lui était pas arrivé depuis son élection à la tête des Verts, en décembre 2022. Les frites chaudes arrivent enfin. Problème : Il n’y a plus de sauce Ch’ti. « La meilleure » selon Tondelier qui dévisse le bouchon pour racler directement le pot, frite à la main. « C’est ça, l’écologie populaire ! », lance-t-elle tout en admettant que ce n’est « pas très covid-friendly ».
Pas le temps de niaiser, le speaker égrène déjà la compo des équipes. En découvrant enfin les nuances de rouge et de jaune qui illuminent les tribunes à 360 degrés, le visage de Tondelier s’illumine : « Quel stade, quand même ! » Petite, elle tenait à être derrière le but pour admirer de près son idole, Guillaume Warmuz. Elle reconnaît toutefois que le vrai héros de cette époque reste Mickaël Debève, avec son but à Wembley pour la victoire en C1 face à Arsenal, « un truc de malade ». Elle se souvient d’ailleurs très bien du lendemain au collège, « où le neveu de Debève faisait bien le fier ». Ce même collège où elle avait rencontré son premier amoureux, qui jouait au centre de formation du RC Lens. Aujourd’hui, son compagnon est écolo et ils se sont chopés devant un « match amical » à la télé, à l’automne 2011. L’histoire serait parfaite s’il n’avait pas conservé un vilain défaut : supporter l’OM. Forcément, à la maison, en ce moment, c’est « chacun son camp ». La date du 7 mai est déjà notée dans leurs agendas, puisque c’est tout simplement une petite finale pour la Ligue des champions qui s’annonce ici même entre les deux clubs. Tondelier promet de leur mettre « le seum » pour se venger du transfert de Jonathan Clauss, qu’elle a « encore du mal à digérer ». Sa revanche, elle a en réalité déjà commencé à la prendre à l’aller, au Vélodrome, où elle était présente avec son compagnon et leur fils de 4 ans. Ce soir-là, ils avaient vu le maire de la ville, Benoît Payan, partir tout colère avant même la fin du match devant la défaite des siens (0-1). Au sortir du stade, la Ch’ti avait quand même discrètement rangé son écharpe, histoire de. Dans les travées de Bollaert, l’ambiance se veut plus bon enfant, encore que. La saison dernière, Tondelier était là pour le derby face au rival lillois. Outre l’envahissement de terrain à la mi-temps, elle retient surtout la banderole du kop ce jour-là : « Surendettement du LOSC : demandez à vos mères d’augmenter leurs tarifs ».
« Le charbon, ce n’est pas qu’une histoire d’énergie »
L’ambiance est résolument plus calme ce vendredi soir face aux Strasbourgeois. Le spectacle n’est pas au rendez-vous malgré l’ouverture du score rapide de Frankowski. Il faut attendre la mi-temps pour que Tondelier lève la tête de son téléphone. Il faut dire que c’est l’heure des Corons, l’hymne que Bollaert entonne à chaque match au retour des vestiaires. La diplômée de Sciences Po Lille ne voit d’ailleurs aucune contradiction à être écolo et chanter cette ode aux mineurs de fond. « Le charbon, ce n’est pas qu’une histoire d’énergie, expose-t-elle. C’est aussi toute une vie autour, avec des familles et des travailleurs. On ne construira pas de transition énergétique en reniant notre histoire commune. » L’autre Marine d’Hénin-Beaumont chante tout le répertoire, par cœur, avec une petite préférence pour le célèbre « On est là » popularisé depuis par les Gilets jaunes. Entre deux chansons, elle rappelle cette anecdote qui fait sa fierté : « Vous savez pourquoi il n’y a pas de numéro 12 attribué dans l’équipe ? Parce qu’il est réservé au public ! »
Qui n’est pas forcément gâté ce soir, puisque la seconde mi-temps repart sur le même faux rythme, malgré le deuxième but signé Medina. Le match s’emballe après la réduction du score de Gameiro, à la 84e. Dix minutes plus tard, le Strasbourgeois Habib Diallo est expulsé dans les arrêts de jeu, sans que l’on sache très bien pourquoi. « Il a peut-être fait un bras d’honneur, comme Dupont-Moretti », sourit l’élue, rentrée dans son match sur le tard, comme le reste du public. Le coup de sifflet final délivre les 38 223 spectateurs qui restent quelques minutes supplémentaires, le temps d’un tour d’honneur des héros du soir, conclu par le tube cher à Presnel Kimpembe, On les a chicotés. Pour fêter les trois points, direction le Mine de rien. Un bar encore figé dans le XXe siècle, avec ses vieux maillots Ola et Shopi accrochés aux murs et ses tubes rétro de Joe Dassin et Ricchi e Poveri. La bande de l’avant-match s’y retrouve pour débriefer ce match qui n’a pas vraiment eu lieu et ce bon vieux briscard de Gameiro… Il est minuit passé, et la soirée perd doucement son fil. Enguerrand paye une nouvelle tournée pendant que sa cousine par alliance se laisse embarquer dans une chenille à travers le bar. Ce qui a l’air d’attendrir Louis. « On a du mal à s’imaginer que c’est elle, la tête du quatrième parti de France. » Marine Tondelier n’y pense pas non plus. À cette heure-là, Matignon semble bien loin.
Par Barnabé Binctin, à Lens
Photos et propos recueillis par BB.
Article initialement paru dans le n°206 du magazine So Foot, en mai 2023.