- Disparition
- Jean-Pierre Marielle
Marielle, départ d’un seigneur
Il avait tout du supporter moyen de football : la beauferie, la paresse, le chauvinisme. Jean-Pierre Marielle est décédé hier soir, mercredi 24 avril, des suites d'une maladie qui ne passe pas en six mois de kiné : Alzheimer. Par deux fois, seulement, il avait joué des rôles en rapport avec le football : un compliqué, dans Les Seigneurs, et un réussi, dans ... Comme la Lune, de Joël Séria, en 1977. Retour sur un mariage tellement évident qu'il fut souvent esquivé.
Jean-Pierre Marielle est mort. Dans le silence, sans un mot, sans un bruit, à l’inverse de la plupart de ses personnages, stentors charismatiques et bruyants, amateurs du verbe qui attirait l’attention et du trait d’esprit qui mettait fin à la conversation, parce qu’on ne pouvait rien y répondre. Marielle jouait les Français, les splendides beaufs, les « cons » , qu’il adorait. « Et puis, ça me convient bien, disait-il. J’ai pas trop à forcer sur la composition. » La connerie, c’est probablement ce qui le liait à Joël Séria, qui la trouvait « flamboyante » , et qui fit du moustachu – la barbe est venue avec les cheveux blancs – son acteur fétiche. Au milieu des années 1970, après Charlie et ses deux nénettes (1973), et les délicieuses Galettes de Pont-Aven (1975), le réalisateur fait appel à Marielle pour sa prochaine bobine : … Comme la Lune. Le bonhomme avait l’art d’écoper de patronymes franchouillards frisant le ridicule, comme Galabru, le voilà donc en Roger Pouplard, réparateur de réfrigérateurs en Normandie.
Il trompe sa femme Jeanine, pâtissière du village, avec la petite Nadia, une beauté blonde jouée par Sophie Daumier, bouchère de profession qui considère les hommes comme un bout de bidoche de plus dont il faut s’occuper. Marielle dit d’elle : « Ah, c’est un joli morceau, hein ? Elle vaut bien son coup de chevrotine. » Comme d’habitude, il est con. « Je voulais représenter un beauf un peu imbécile » , dit Séria un peu plus tard, décidant d’ajouter à l’attirail de son personnage une passion qui colle bien au script : le football. Pas besoin de faire long. Dans l’une des premières scènes, sa femme de ménage lui tend un canard format XL, c’est un L’Équipe en noir et blanc. Dans la scène suivante, Pouplard est dans son lit. Il écoute un match à la radio. Marcel rouge pétard, moustache au nez, poste à l’oreille, il déclame à son épouse : « Quand il s’y met Klovac… C’est de la haute voltige, tu verrais un peu ce travail, c’est Kopa et Pelé réunis. » Et puis, après qu’il a loupé une occasion : « En tout cas, la Coupe d’Europe, on peut se l’accrocher au fion. Ce mec-là, dans son bled, il bouffait des racines, ici c’est champagne et compagnie, alors comment tu veux qu’il joue au foot ? »
Girondin d’adoption
Dans la vie, Marielle était supporter de Bordeaux. Enfin, supporter… « Je suis surtout les « Girondaines » » , se marrait-il auprès de L’Équipe en 2013 en référence à sa femme, l’actrice Agathe Natanson, fan des Bordelais. « C’est à cause de moi s’il aime cette équipe. Il n’a pas le choix, sinon je divorce » , ajoutait-elle souvent. On s’étonne que le cinéma – et le théâtre, puisque c’est là qu’il excellait – n’ait pas plus régulièrement plongé dans cette association évidente : Marielle et le football. Lui, le chauvin, le flemmard, le bidochon incarné, le beauf. Lui qui disait toujours « adorer les cancres » , et ne rien plus aimer dans la vie que « traîner, comme ça » . Il était un boucher, un marquis, un espion (La Valise, 1973), un producteur de films pornos (On aura tout vu, 1976), un proxénète (Coup de torchon, 1981), un flic (Les mois d’avril sont meurtriers, 1987), un ingénieur (Uranus, 1990), un violiste (Tous les matins du monde, 1991), un acteur ringos (Les Grands Ducs, 1996), un procureur (Les Âmes grises, 2005), et même un président de club de football amateur, dans des Seigneurs où il était bien le seul à être à la hauteur du titre. De ce film – raté –, Ramzy Bédia disait à So Foot en 2017 : « Que le film soit bien ou pas, je m’en bats les couilles… Ce n’est pas bien.(Rires.)Non, non, c’est pas bien, personne l’a trouvé bien, ce film… Même nous… » Mais sur Instagram, José Garcia résumait ce jeudi matin l’essentiel de l’aventure en publiant une photo du casting, lui 1,75m les cheveux dressés, accolé au Golgoth Marielle, dont la calvitie culminait à 1,85m. En légende, ces mots : « Au moins on aura eu cette chance. »
Il n’était pas à l’enterrement de Jean Rochefort. Son meilleur pote. Le frère Derrick de son Olive et Tom. Ils traînaient toujours ensemble. C’était en octobre 2017, et cela voulait déjà dire beaucoup sur son état de santé, à moins que ce ne soit mental, ou bien les deux. Jean-Pierre Mocky, invité à s’exprimer sur France Info en tant qu’intime de la « bande du Conservatoire » (Rochefort, Marielle, Rich, Girardot, Cremer, Noiret plus tard) dont Belmondo et Françoise Fabian sont les seuls survivants, a posé des mots sur un secret de polichinelle que se partageait le cinéma français depuis bientôt sept ans : « Il a perdu beaucoup de sa présence lorsqu’il a eu la maladie d’Alzheimer. On ne pouvait plus le faire travailler. » Pour la jeune génération, il sera donc éternellement Titouan Leguennec, maire de la petite île de Molène, en Bretagne. Pas un ultime souvenir des plus glorieux, mais cet acteur qui aimait plus que tout coller au texte ne parvenait plus ces derniers temps à se souvenir de son petit déjeuner. Alors bon. Pas de diamants bruts dans les dialogues de ce personnage, les « Comme quoi il faut jamais trop payer un footballeur, ça leur monte à la tête » ayant remplacé les « T’es vraiment bien bidochée, on dirait une Cadillac. » Il se faisait vieux, mais la prestance était toujours là, et la voix aussi. Un roc.
Navets et mercenaire
Lui, Rochefort et Belmondo avaient construit leur carrière sur leur physique. Non conventionnel, pas celui du séducteur de l’époque, pas celui de Delon. Rochefort se trouvait un air de « pleutre » que sa moustache atténuait assez à ses yeux pour survivre sur ses lèvres, mais Marielle, lui, c’était autre chose. Il aimait les femmes, les a collectionnées – comme un footballeur, même s’il n’en avait pas la carrure –, et disait de lui-même qu’il n’avait une « tête de rien » , ajoutant : « Au fond, c’est peut-être mieux pour être comédien, avoir une tête de rien, pour tout jouer. » On y voit là une corrélation avec le football d’aujourd’hui : être disgracieux empêche de cachetonner dans des pubs Nivea, aucunement d’être talentueux. Comme certains footeux, on l’appelait le « mercenaire » (Bernard Blier), façon de dire qu’il n’était pas toujours très regardant sur la qualité des plats qu’il servait au public, tant que ça payait. À ce propos, et l’on aurait espéré qu’un joueur transféré en Chine puisse l’exprimer aussi élégamment, il disait que « lorsqu’on tourne dans un navet, on pense à la viande que l’on pourra acheter avec le cachet. Et ça passe bien, je n’ai pas l’estomac délicat. » Avec des épaules aussi larges et des mains grandes comme des gants de base-ball, il aurait fait un formidable gardien de but. Mais Marielle s’est éteint, à 87 ans. Dans les Grands Ducs, il disait ceci : « Au théâtre, c’est sur ses silences qu’on juge un acteur. » Celui-là risque de durer un moment.
Par Théo Denmat