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Marianne Mako, à jamais la première…
Son sourire illumina l'un des visages les plus familiers de Téléfoot. Sa rubrique « Crampons aiguilles » est devenue ensuite un incontournable de YouTube. Marianne Mako est décédée ce lundi 1er octobre. Depuis, footeux, confrères ou consœurs lui rendent hommage. Ils semblent surtout pour la plupart oublier à quel point elle a dû essuyer les plâtres du sexisme en milieu médiatique, aussi bien de la part du petit monde du ballon rond que de la grande famille du journalisme sportif. À jamais la première...
« Le foot se joue avec du poil aux pattes et au menton. Il n’est pas prévu pour les femmes journalistes. La preuve : elles ne peuvent pas entrer dans le vestiaire et assister au spectacle de quatorze sexes qui plongent dans une piscine. » Thierry Roland avait le sens de la formule. En général pour insulter les arbitres, mais aussi parfois pour dire tout haut ce que tout le monde – selon lui – pensait tout bas. Nous revoici dans la France des années 1980. Les hommes ont le monopole de la pelouse, et le terme parité ne s’entend que lors des cours de physique/chimie au lycée. À la télé, les filles font en général speakerines ou présentatrices météo.
C’est dans ce contexte que Marianne Mako débarque dans le petit écran en 1987, après avoir fait ses classes et ses armes dans la presse écrite et à la radio, par exemple sous les ailes protectrices de Didier Roustan, à Libération ou RMC. Les chaînes du PAF se comptent rapidement sur les doigts d’une main, les couleurs baveuses du tube cathodique ont des vertus hallucinogènes, les matchs tombent au compte-gouttes, même pour ceux qui peuvent se payer Canal+, et Téléfoot reste une institution incontournable, un bastion pour TF1, ainsi qu’un joli fief de la virilité. Avec ses tailleurs trop larges et ses coupes de cheveux new-wave, elle viendra donc malgré tout une décennie durant cueillir les joueurs en talons hauts sur le bord des terrains ou en avant-match, à l’instar de ce pauvre Rai contraint d’expliquer au Camp des Loges pour quelle raison il n’est toujours pas titulaire au PSG.
Debout face à la misogynie
En dix ans, Marianne Mako, dont le magazine But ne retenait que le charme et la beauté, va tenir, rester dans la tranchée, demeurer debout. Passionnée et bosseuse, elle survit de saison en saison aux sarcasmes et aux petites phrases. Elle semblera malgré tout toujours arriver en plateau avec sur les épaules le poids d’une misogynie naturelle et assumée. Pionnière sans vouloir en assumer le rôle, elle qui ne rêvait juste que de faire ce métier-là, elle encaissa souvent sans broncher des situations qui auraient assommé nombre de ses confrères « velus » . Ainsi, ce soir au sein du virage marseillais où la tribune des ultras entonna en guise de bienvenue « Marianne Mako est à genoux, elle nous suce le bout » , elle préféra s’en amuser et se confronter à l’humour gras et en dessous de la ceinture des supporters, peut-être parce qu’elle savait trop bien que les pires sexistes se terraient, eux, bien au chaud dans leurs bureaux de TF1, et l’attendaient au tournant.
Licenciement et reconversion
Des mâles, non plus en écharpe, mais en costume-cravate, qui finirent par avoir sa tête et obtenir son licenciement. C’est du moins ce qu’assurait Gérard Holtz sur Yahoo en 2016 : « Je ne veux pas le citer, mais l’un des plus grands commentateurs de football en France a quand même fait virer Marianne Mako(…)qui était professionnelle, qui était pertinente, qui savait bien faire son métier et lui disait : « Je ne veux pas de femme pour le football. » » Plus largement, il enchaînait sur le principal reproche, ou procès en sorcellerie, qui était alors formulé à l’égard de sa consœur : « On était entourés par des patrons qui étaient machos, machos, machos, et qui, pendant très longtemps, ont dit : « Il n’est pas question qu’une femme fasse un commentaire, fasse un résumé ou soit dans les vestiaires de foot. » » La principale intéressée s’en était ouverte dans les colonnes de L’Équipe, déclarant d’ailleurs : « Jean-Claude Dassier a toujours eu l’honnêteté de me dire qu’à son avis, pour le grand public, une femme commentant un match de foot ne serait pas crédible. » Après son départ en 1997, Marianne Mako avait publié quelques livres avant de disparaître complètement de la scène footballistique pour se reconvertir dans la communication.
Elle gardait encore la sombre meurtrissure de cette éviction. Encore récemment sollicitée par Paris Matchpour parler des femmes journalistes, elle déclina, répondant simplement que « la blessure était de fait trop profonde » . Toutes nos condoléances à ses proches et sa famille.
Par Nicolas Kssis-Martov