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Marcus Rashford, roi des Anglais
En moins de 36 heures, grâce à une lettre ouverte adressée aux parlementaires britanniques qui a trouvé un écho retentissant au Royaume-Uni, Marcus Rashford a réussi à faire inverser une décision du gouvernement de Boris Johnson et à assurer des repas gratuits pour plus d'un million de jeunes Britanniques cet été. Le point d'orgue d'un engagement de longue haleine de l'attaquant anglais pour aider les enfants de familles défavorisées, qui est en train de faire de lui le porte-voix de la lutte contre les inégalités sociales outre-Manche.
En tant qu’attaquant, Marcus Rashford est loin d’être un novice lorsqu’il s’agit de gérer des face-à-face compliqués. Il a d’ailleurs eu le calme d’un vétéran quand il s’est retrouvé devant Gianluigi Buffon, un soir de mars au Parc des Princes, à un face-à-face d’envoyer ses Red Devils en quarts de finale de la Ligue des champions. Mais lorsqu’on lui évoque ce penalty salvateur et la sensation que celui-ci lui a procuré, Rashford a « toujours la même réponse », avoue-t-il dans une tribune publiée dans le Times : « Est-ce qu’on a soulevé le trophée à la fin ?(…)Qu’est-ce qu’on a réellement achevé si le résultat final n’est pas celui que l’on souhaitait ? » Autrement dit : à quoi bon se remémorer ses batailles victorieuses si, finalement, on a perdu la guerre ?
Rashford, l’ami des enfants
Ce mardi, Marcus Rashford a, semble-t-il, gagné la guerre. Et son triomphe permettra à plus d’un million de jeunes Britanniques de continuer à bénéficier, durant l’été, des « school meals vouchers », ces coupons qui ont permis d’aider financièrement les familles ne pouvant plus envoyer leurs enfants à la cantine durant l’épidémie de Covid-19. Début juin pourtant, le gouvernement de Boris Johnson annonçait que ce système allait s’interrompre cet été, avec la fin de l’année scolaire, confrontant des dizaines de milliers d’enfants à la faim en attendant le retour à l’école (200 000 selon les estimations de la Food Foundation). Impensable pour Rashford, qui fait campagne dès le 10 juin sur les réseaux sociaux pour faire revenir le gouvernement sur sa décision, recueillant notamment les témoignages de familles concernées par ce dispositif depuis le début de la crise. Puis, ce lundi, il s’est armé de sa plus belle plume pour écrire une lettre ouverte aux parlementaires britanniques, les exhortant à « faire demi-tour » (#MaketheUturn) et de prolonger le système tout l’été. En quelques heures, son initiative prend assez d’ampleur pour que Boris Johnson, d’abord réticent, ne finisse par plier et annoncer mardi, moins de 36 heures après la publication de la lettre de Rashford, la mise sur pied d’un nouveau fonds de 120 millions de livres pour financer des repas estivaux pour les enfants.
Pour Marcus Rashford, cette ultime victoire vient couronner trois derniers mois passés à faire campagne très publiquement en faveur de l’aide aux enfants des familles les plus démunies. La cause lui est forcément chère, lui-même ayant été un enfant élevé dans un foyer pauvre par une mère seule. « Ma mère travaillait à plein temps pour le salaire minimum pour s’assurer que l’on ait toujours de quoi manger, mais ce n’était pas toujours suffisant, raconte-t-il dans sa lettre ouverte aux parlementaires. Ce système n’a pas été bâti pour permettre à des familles comme la mienne de réussir. » Dès le début du confinement, il s’est engagé pour les enfants, en jouant par exemple les profs d’EPS à distance sur la chaîne CBBC ou en apportant son soutien à un jeune Anglais victime de harcèlement. Mais surtout en parrainant la campagne de Fare Share, une association caritative qui distribue des repas aux nécessiteux. « L’inlassable travail de campagne de Marcus Rashford pour qu’aucun enfant de ce pays ne souffre de la faim pendant les vacances scolaires d’été a donné des résultats fantastiques », se félicitait ce mardi l’association, avançant notamment que la campagne soutenue par l’attaquant anglais permettra de distribuer 3 millions de repas hebdomadaires dès la fin juin.
Plus anti-système que l’anti-système
Mais l’engagement de Rashford a clairement pris une autre dimension ce mardi, en influant aussi rapidement et directement sur une décision politique affectant des centaines de milliers de ses compatriotes. De la même façon que son partenaire en sélection Raheem Sterling s’est fait en Angleterre le porte-voix de la lutte contre le racisme, Marcus Rashford est en train de devenir celui de la lutte contre les inégalités sociales. Dans un Royaume-Uni post-Brexit, très marqué ces derniers jours par les manifestations en soutien au mouvement « Black Lives Matter » , tout cela n’a rien d’anodin. « Face à un gouvernement d’hommes blancs très instruits, des personnes comme Rashford ou Sterling sont capables d’exercer une influence, car leurs histoires, leurs valeurs, résonnent auprès de larges pans de la population », analyse Simon Chadwick, professeur spécialisé dans la politique et le sport à l’EM Lyon. « Je ne prétends pas avoir l’éducation d’un membre du parlement, mais j’ai une éducation sociale », martelait précisément Rashford dans sa tribune au Times.
Une éducation sociale, une histoire et un statut, celui de footballeur, qui en font un redoutable contre-pouvoir au Premier ministre britannique et à son gouvernement. « Ce gouvernement conservateur a toujours utilisé le sport, et le football en particulier, à des fins opportunistes, poursuit Chadwick. Au début de la pandémie, ils ont pointé du doigt les footballeurs de Premier League concernant les baisses de salaires, s’en sont servis comme une façon de détourner le regard de leurs propres carences. Désormais ils se servent du football pour fédérer et égayer la population. » De là à complètement faire volte-face sous la seule pression d’une campagne menée tambour battant par l’un des footballeurs les plus populaires du pays ? « Le succès de Johnson lors de la dernière élection est notamment venu du fait qu’il a réussi à convaincre le « Red Wall » (une zone électorale du Nord de l’Angleterre, incluant Manchester et d’autres villes ouvrières historiquement acquises au parti travailliste, N.D.L.R.), explique Chadwick. Il ne peut pas ignorer ces revendications venues de villes comme Manchester, d’où viennent les personnes comme Rashford. » Johnson, élu sur un discours anti-système promettant de faire entendre les revendications du peuple, a vraisemblablement trouvé plus anti-système que lui : les footballeurs, qui incarnent les populations « oubliées » et ont la puissance pour faire entendre leurs voix. « Regardez ce que l’on peut accomplir lorsqu’on s’unit, se félicitait Rashford à l’annonce du gouvernement ce mardi. C’est ÇA, l’Angleterre en 2020. » Chacun y verra le message qu’il voudra.
I don’t even know what to say.Just look at what we can do when we come together, THIS is England in 2020.
— Marcus Rashford (@MarcusRashford) June 16, 2020
Par Alexandre Aflalo