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« Marcus Rashford est comme un cheval qui court en liberté »
De 2005 à 2016, l'entraîneur des moins de 18 ans de Manchester United avait un nom qu’on croirait engendré par un ordinateur pour une blague sur les Anglo-Celtes qui boivent trop : Paul McGuinness. Reste que celui qui est désormais « national coach developer » pour la FA a formé quelques camions de beaux joueurs, et notamment Marcus Rashford.
Quels sont vos plus vieux souvenirs de Marcus Rashford ?Quand j’entraînais les moins de 18, j’allais aussi voir les plus jeunes. Même les moins de 9. On était à la recherche de gamins qui pouvaient devenir des espoirs. Marcus s’est tout de suite démarqué, de par son athlétisme et sa manière de bouger avec le ballon. Ses mouvements étaient harmonieux, c’était fluide. Dès que tu vois un garçon comme ça, sans pouvoir prédire l’avenir, tu te dis que s’il continue à s’améliorer, il a ce qu’il faut pour devenir pro. À 11 ans, un an avant les autres, il a intégré le MANUSS Scheme Manchester United Schoolboy Scholarship. C’est un programme dans lequel on prenait les meilleurs de chaque groupe d’âge. On les sortait de leurs écoles et on les faisait entrer dans une école plus proche, la Ashton on Mersey school. C’était bien pour Marcus. Sa mère travaillait et c’est souvent des entraîneurs qui allaient le chercher et le ramenaient chez lui. Là, il était nourri et logé dans une famille d’accueil et rentrait voir sa mère le week-end. Ça lui permettait de venir à des sessions d’entraînement supplémentaires.
Il a sauté une classe, en gros ?Il avait tellement de talent, qu’on lui a fait sauter les étapes, oui. Le lundi, on mélangeait les groupes d’âges. L’après-midi, on mettait les moins de 18 dans une cage. 50m x 35. Tout fermé. Puis on ajoutait des moins de 16, de 14. Quand Marcus avait 12 ans, il s’entraînait donc parfois avec les moins de 18, avec Paul Pogba, Jesse Lingard. Il apprenait avec eux et transmettait à ceux de son âge. Quand il les voyait ensuite jouer en équipe première, il pouvait se dire que lui aussi pourrait y arriver. Parce qu’il avait déjà joué avec eux ! C’est ça l’idée. Aujourd’hui, il s’occupe beaucoup des plus jeunes qui arrivent en équipe première, que ce soit Mason Greenwood ou Scott McTominay. Il leur parle, il les rassure. Il les inspire. Il comprend l’esprit de famille. C’est ça qu’on voulait avoir : a band of brothers. On a toujours essayé d’instiller ça.
C’était quel genre de gamin ?Ça a toujours été un très bon garçon. En classe comme à l’entraînement. Très dévoué. Ça a l’air trop beau pour être vrai, mais il était tout le temps super comme gamin. Quand j’ai quitté le club, il a été le premier à m’appeler pour me remercier. J’ai moi-même beaucoup appris en travaillant avec Marcus. Des choses que j’essaie maintenant d’enseigner dans mon rôle à la FA. Ça a toujours été un bon coéquipier, très apprécié. Mais compétitif. Obsédé par le ballon. Quand les entraîneurs allaient le prendre, il était toujours devant chez lui, à tirer le ballon par-dessus le toit, à essayer de le faire rentrer dans une poubelle. Puis, quand il rentrait, il sortait de la voiture et allait directement jouer sur la pelouse devant chez lui, avec ses frères. Il voulait toujours s’améliorer. Au début, il était ailier et on voulait le transformer en attaquant pur. En buteur. Il voulait prendre le ballon et dribbler, on voulait lui apprendre la patience, ce que c’était de rester collé à un défenseur, d’attendre, puis de partir dans son dos. Durant cette phase, il regardait plein de matchs et envoyait des textos. « Wah, tu as vu Agüero ? Le mouvement qu’il a fait ? Le même que celui sur lequel on travaille à l’entraînement ! » À 14 ans, il a souffert de la maladie d’Osgood-Schlatter. Les ados peuvent avoir ça en grandissant. Il avait mal au genou et ne pouvait pas courir aussi vite qu’il voulait. C’était plus facile de jouer au milieu. Un des entraîneurs a remarqué que l’on aurait dit qu’il essayait de jouer comme Pirlo. Plus tard, il a dit que ça lui a permis de comprendre le genre de passes dont un attaquant a besoin. C’était un étudiant du jeu.
Quel genre d’hommes l’Academy visait-elle à former ?Chacun a sa propre personnalité et on les aidait à être les meilleures versions d’eux-mêmes. On leur apprenait aussi ce qui était bien et ce qui était mal, en les guidant vers le bien. On voulait faire d’eux des gens bien, pas seulement de bons joueurs. Quand ils partaient faire des tournois, on leur faisait remercier le personnel de l’hôtel, par exemple. Jim Ryan (qui a entraîné la réserve de United de 1991 à 2000 N.D.L.R.) avait une phrase : « Might is right. » Selon lui, plus tu fais des choses justes, de bonnes actions – sur le terrain comme en dehors -, plus tu deviens fort. Vu le travail que Marcus fait en dehors du terrain, il doit se sentir très bien dans sa peau. Et, ainsi, plus en confiance sur le terrain.
Donc l’idée est que plus un joueur fait le bien, plus il joue bien ?Oui, ça peut aider, je pense. On leur disait de construire des comptes bancaires de choses positives. Si quelque chose de pas bon t’arrive, tu peux toujours t’y référer pour te sentir bien. Certains disent que son combat est une distraction. Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’être un mec bien, ça l’aide. Ça ne peut te donner que plus de pouvoir, de faire autant de bonnes choses. Il gagne aussi des fans. Je pense qu’il pourrait devenir une des plus grandes stars du football mondial.
Cela explique peut-être pourquoi José Mourinho a connu des difficultés à United. À en croire le documentaire sur Tottenham, il préfère demander à ses joueurs d’être des « bâtards »… On disait toujours que les qualités techniques sont reines. Mais il faut aussi avoir une sorte de sagesse de la rue. Savoir combattre l’opposant. À Manchester United, je pense qu’on a toujours voulu jouer dans les règles. Mourinho a beaucoup d’expérience et joue parfois à la lisière des règles. On leur disait aussi de rentrer dans leur personnage. Tu peux être gentil en dehors du terrain, mais il faut être un peu plus un tueur en jouant. Le buteur assassin. Il faut savoir enfiler sa peau de match. C’est un point important, pour Marcus. Je me souviens de Cristiano Ronaldo, quand il était jeune. Il voulait toujours faire de grandes choses très chics avec le ballon. Il avait du talent, mais il voulait faire trop de feintes. Et, d’un coup, il est entré dans le personnage du buteur. On connaît la suite.
Dans une interview pour inews.co.uk, vous expliquiez que Marcus était, ado, un des premiers à signer les autographes aux fans. Vous avez dit que cela faisait partie de l’idée qu’il savait « qu’il était dans une position privilégiée » et qu’il pouvait « rendre ces gamins heureux ». Ça le résume peut-être bien. Il veut juste rendre les gens heureux ? Il comprenait qu’il avait un rôle à jouer. C’est un mec normal ! Il est juste comme ça. Il a toujours essayé de faire la chose juste. Il a de la bonté en lui, mais, pour faire ce qu’il a fait, tenir tête au gouvernement, il faut aussi une sacrée ténacité. Et c’est un gros trait de caractère de Marcus. Il a toujours été tenace. Sur et en dehors du terrain.
D’autres footballeurs anglais ont connu la pauvreté étant enfants. Il n’est pas le seul à avoir connu les banques alimentaires. Comment expliquez-vous que lui agisse pour arranger les choses ? Sa mère doit être derrière ça. Elle l’a beaucoup aidé, elle lui a appris qu’il fallait s’occuper des autres. C’est une femme forte, qui a une grande influence sur lui. Quand elle est là, tu te tiens à carreaux. (Rires.) Si elle pense quelque chose, elle va te le dire en face, sans rien dissimuler, et tiendra sur ses positions. Elle ne prend pas un non pour une réponse. Ce n’est pas étonnant que Marcus ait agi de la même façon avec le gouvernement. Je pense que ça vient d’elle. Elle peut être fière. Il a créé un mouvement. Plus il a de soutien, plus il a de force. Il continue de faire la bonne chose à chaque occasion, le gouvernement doit céder à chaque fois et il continue de prendre de l’importance. Le mouvement grossit par les bonnes actions. Une fois que tu as du succès, tu continues. La plupart des gens feraient pareil. Pourquoi n’accepterais-tu pas plus de succès ? Il change des vies. C’est formidable. Même les rivaux font son éloge. Même les fans de Liverpool. Ça, c’est vraiment génial.
Sur votre compte Twitter, vous comparez le football des équipes de Bielsa à des chevaux sauvages, qui courent juste pour le fun, pleins de grâce et de puissance, qui s’adaptent aux positions à grande vitesse, qui interagissent et font tourner la position de leader, « les cheveux au vent » . Vous avez une comparaison de ce type pour Rashford ? Il est comme ça aussi ! Après l’entraînement, il faisait la course avec ses potes, pour s’amuser. Ils allaient à fond, sur toute la longueur du terrain ! Tu voyais qu’il était heureux d’être là. Comme un cheval qui court en liberté. C’était le même genre de mouvement. C’est beau, sa façon de courir, n’est-ce pas ? Avec ou sans ballon. C’est comme ça que j’aime le football. Ça a l’air naturel, mais c’est beaucoup de travail. Les chevaux s’adaptent l’un à l’autre. Quand United joue bien, Marcus, Martial et Fernandes bougent aussi très bien et ça peut être très beau. C’est un beau joueur, Marcus. Ce qu’il fait actuellement, c’est presque trop beau pour être vrai. Mais il a toujours été comme ça. Un mec bien. Un bosseur, aussi. Tu ne peux qu’être fier quand tu vois des jeunes que tu as eus réussir à ce point. J’espère que ça va continuer. Tu ne sais jamais ce qui peut t’attendre. Il faut en profiter un maximum.
Propos recueillis par Thomas Andrei