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Marco Materazzi : « Avec Zidane, on s’est serré la main et c’était fini »

Propos recueillis par Lucas Duvernet-Coppola et Stéphane Régy
10 minutes
Marco Materazzi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Avec Zidane, on s’est serré la main et c’était fini<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

« Je préfère ta pute de sœur. » Pour avoir balancé ces six mots à la face d’un Zidane qui le chambrait, Marco Materazzi est devenu le joueur de football le plus haï de France. Cinq ans après le sacre de l'Italie au mondial 2006, « Matrix » racontait à So Foot sa version des retrouvailles avec l'homme qui lui a mis le coup de boule. Cela s'est passé dans un parking obscur de Milan.

Cette interview est un extrait du long entretien de Materazzi à So Foot en 2011, à retrouver dans le numéro #86. Où il était aussi question de Berlusconi, Mourinho, Kadhafi, de racisme et… de liberté.


2006, c’est le grand moment de ta carrière. Tu t’es déjà demandé ce que serait ta vie si Alessandro Nesta ne s’était pas blessé contre la République tchèque en match de poule ? Tu n’aurais sans doute pas joué de toute la Coupe du monde et rien de ce qui s’est passé ensuite ne serait arrivé… C’est comme dans le film Sliding doors. (Pile et face en français, avec Gwyneth Paltrow. Helen, à peine licenciée, rentre chez elle. Dans une première version, elle rate son métro et ne voit pas que son petit ami la trompe chez elle. Dans une deuxième version, elle prend son métro à temps et découvre que son petit ami la trompe, N.D.L.R.) On ne peut jamais savoir. On n’aurait probablement pas marqué deux buts par le biais d’un défenseur – les miens. Mais nous aurions peut-être eu quelque chose de plus au niveau défensif. Avec Alessandro, nous aurions peut-être encaissé quelques buts en moins. Mais bon, je suis content que ça se soit passé comme ça.

Quand tu entres en jeu contre la République tchèque à la 17e minute, tu ressens quoi ? D’abord, de la peur. Parce que je venais de l’échec de la Coupe du monde en Asie. En 2002, j’étais jeune, je n’avais pas bien joué, et l’équipe non plus n’avait pas bien joué. Moi, j’avais fait une seule apparition de trente minutes, durant laquelle nous avons encaissé un but. (En fait, il a joué 66 minutes pendant lesquelles l’Italie a concédé deux buts, contre la Croatie, défaite 1-2 en poule, N.D.L.R.) À mon avis, ce n’était pas uniquement de ma faute, mais plutôt une suite d’erreurs. Mais comme vous le savez, quand la presse et l’opinion publique doivent trouver un coupable, entre un joueur de trente ans très expérimenté et le petit jeune qui vient d’arriver, c’est sur le petit jeune que ça tombe. Donc, c’est tombé sur moi. Ce mondial au Japon, je m’en souviendrai toujours. À l’époque, Cannavaro était venu me voir, et il m’avait dit : « Écoute, moi, mon premier match avec Nesta, c’était Italie-Chili. Zamorano avait marqué deux buts.(En fait, c’est Marcelo Salas qui a claqué un doublé lors de ce superbe Italie-Chili du mondial 1998, N.D.L.R.) On m’a massacré. Massacré. Mais j’ai eu la force de grandir. » Pas d’un point de vue footballistique, hein : grandir en tant qu’homme. J’ai l’impression que depuis ce match contre le Chili, Fabio ne s’est pas loupé très souvent. Alors quand je suis entré sur le terrain contre la République tchèque quatre ans plus tard, je me suis souvenu de cette phrase. Et j’en ai fait un trésor.

Pour moi, la finale, c’était ce match contre l’Allemagne. Plus qu’un enjeu sportif, c’était l’occasion pour notre peuple et nos immigrés de prendre une revanche.

La demi-finale contre l’Allemagne en 2006 t’a visiblement beaucoup marqué. Tu as raconté une fois que beaucoup d’immigrés italiens vivant en Allemagne étaient venus vous parler avant le match pour vous dire qu’il fallait absolument gagner… C’est vrai. Pour moi, la finale, c’était ce match contre l’Allemagne. Sans rien enlever à la France. Contre l’Allemagne, c’était plus qu’un enjeu sportif. C’était l’occasion pour notre peuple et nos immigrés de prendre une revanche. Un Italien immigré qui a son entreprise en Allemagne, il doit y en avoir, oui, un ou deux. Mais la majorité trime. Ils ne sont pas forcément dans la misère, mais ils triment. Ce sont des ouvriers. Perdre ce match, ça aurait voulu dire humilier nos… nos… nos amis.


Cet aspect extrasportif, vous en avez parlé entre vous avant d’entrer sur le terrain ? Bien sûr qu’on en a parlé. Surtout que les Allemands nous avaient provoqués en parlant de pizza. C’est simple : nous, quand on va à l’étranger, c’est mafia, pizza, spaghetti. Alors dans cette pizza qu’ils brandissaient déjà, on leur a montré que parmi les ingrédients, il n’y avait pas que de la mafia, des spaghetti, des pâtes. Il y avait aussi une petite pincée de football… Il y en avait même deux. (L’Italie a gagné 2-0.) On a disputé une très belle demi-finale, on méritait de gagner. Mais même si nous avions perdu, ça aurait été une expérience inoubliable. À l’hôtel, les serveurs et les réceptionnistes étaient tous italiens, tous calabrais. Quand on rentrait des matchs, ils pleuraient tous. Dans ces moments-là, tu comprends vraiment la portée de ce que tu fais sur le terrain. On ne logeait pas dans un hôtel huit étoiles, mais là où nous avions nos racines. C’est une chance, ou un éclair de génie de la part du Mister (Marcello Lippi), ou de celui qui a choisi l’hôtel. Lors du mondial, nous étions contre tout le monde, et contre tout en général.

À l’hôtel, les serveurs et les réceptionnistes étaient calabrais. Quand on rentrait des matchs, ils pleuraient tous.

Quel était ton rapport avec Marcello Lippi ?Un vrai rapport fort. Lippi dit les choses en face. Chaque matin avant les matchs, il annonçait la liste des joueurs qui allaient être titulaires : « Untel joue, untel joue, untel joue… » À part pour le premier match où l’équipe était déjà définie à l’avance, j’avais le sentiment de pouvoir être titulaire à chaque fois. Parce qu’à tout moment, Lippi pouvait mettre un gars au repos, venir te voir, et te dire : « C’est toi qui joues. » Il y avait une petite déception quand je voyais que je n’étais pas dans le onze de départ. Mais contre l’Allemagne, j’étais dedans. Un peu par chance, un peu par talent. Parce qu’il y avait aussi Barzagli, qui avait bien joué contre l’Ukraine le match d’avant.

Et la finale ?Lors de la finale, on a fait une belle première mi-temps, mais en deuxième mi-temps, on n’a pas été très bons. Sur ce match, à mon avis, la France était supérieure. Elle avait quelque chose de plus. Mais nous, on avait un groupe, et ce groupe était peut-être plus fort. Et on a eu la chance d’égaliser très vite, parce que si on était rentrés au vestiaire en étant menés, ça aurait pu mal se terminer pour nous.

Après la Coupe du monde, Zidane, c’était un grand joueur, mais un grand joueur qui avait fait une grande connerie. Et moi, j’étais celui qui a fait une grande connerie, mais pas un grand joueur.

Tu as dit un jour que tu ne pouvais pas jouir pleinement de ton titre de champion du monde à cause de l’épisode avec Zidane. Tu es finalement heureux d’être champion du monde ?Je suis heureux, et je m’en rappelle comme si c’était hier. Mais après la Coupe du monde, on a diminué ma valeur, et la valeur de Zidane. Parce qu’après la Coupe du monde, Zidane, c’était un grand joueur, mais un grand joueur qui avait fait une grande connerie. Et moi, j’étais celui qui a fait une grande connerie, mais pas un grand joueur. Je n’étais pas celui qui a marqué deux buts dans une finale. (Il compte son tir au but, N.D.L.R.) Quand Zidane a marqué deux buts en finale en 1998, on l’a porté en triomphe comme si c’était le roi Midas. Ce qu’il avait justement été pour la France. Mais huit ans plus tard, avec moi, ça ne s’est pas passé comme ça. Pourtant, moi aussi, j’ai marqué deux buts en finale. On aurait pu faire preuve de plus d’équilibre dans le jugement. Parce que ce n’était pas la première fois que des choses de ce genre se produisaient, ni pour lui, ni pour moi. Tous les deux, nous avions déjà fait ce genre d’erreur. En ce qui me concerne, c’est un épisode désagréable. Pour beaucoup, c’est moi qui l’ai frappé. Alors que c’est le contraire : c’est lui qui aurait pu me faire très mal. Car un coup de tête de ce genre après 110 minutes d’efforts… Quand un homme en touche un autre, il a toujours davantage tort que celui qui n’a dit que quelques mots. Nous savons tous les deux ce qui s’est passé, nous en avons parlé ensemble.

Zidane a dit qu’il ne m’avait pas reconnu, qu’il croyait que j’étais un supporter…

Tu parles de votre rencontre de cet hiver à Milan, à l’occasion du match AC Milan-Real Madrid(1) ? Il a dit qu’il ne m’avait pas reconnu, qu’il croyait que j’étais un supporter. Objectivement, j’en doute. Moi, je me souviendrai toujours de lui. Comme d’un grand joueur, mais aussi comme de quelqu’un qui m’a donné la possibilité de remporter un mondial. Et lui se souviendra sans doute de moi parce que je lui ai fait perdre un mondial, au-delà de mon but, ou de son geste. Je ne peux pas penser que quelqu’un qui m’a mis un coup de tête ne me reconnaisse pas, ou puisse penser que je suis un supporter. Moi, en tant qu’homme, j’étais content d’une chose : l’avoir affronté entre quatre yeux. Il était avec son frère et un ami à lui ; moi, j’étais aussi avec un bon ami à moi. Je venais voir Mourinho, lui venait voir le Real Madrid, nous nous sommes retrouvés dans un parking secondaire, réservé au patron ou au directeur de l’hôtel, bref, la chose est venue naturellement. Cette poignée de main était probablement plus bénéfique pour lui que pour moi. Parce que tout le monde aurait dit : « Zidane est un seigneur, il a encore donné la main à cette merde. » Peut-être même en Italie. Vrai ou faux ? Et au contraire, Zidane a dit : « Je ne l’ai pas reconnu, j’ai cru que c’était un supporter. » À mon avis, c’est un petit but contre son camp qu’il s’est marqué… Cela ne l’honore pas. Moi, à sa place, je me souviendrais très bien de la personne qui, aux yeux de tous, a ruiné ma carrière.

On s’est serré la main et c’était fini. D’homme à homme, c’est ce qu’il y a de plus beau. Parce que faire la paix devant la FIFA, devant Blatter, c’est de la publicité.

Vous avez parlé de quoi dans ce parking ?Je n’ai jamais raconté notre rencontre. Un millier de personnes m’ont appelé pour me demander de leur dire ce qu’il s’était passé, et je ne l’ai jamais raconté. Pour moi, ça n’aurait pas dû sortir. Parce que ce qui se passe entre deux personnes naît et meurt entre quatre yeux. Mais je vais le dire aujourd’hui : on s’est tendu la main, et j’ai dit : « Écoute, je suis désolé de ce qui s’est passé, c’est fini. » Et lui m’a dit : « Non, non, pas de problème, ne t’inquiète pas. » On s’est serré la main et c’était fini. D’homme à homme, c’est ce qu’il y a de plus beau. Parce que faire la paix devant la FIFA, devant Blatter, c’est de la publicité. Mais faire la paix dans le parking secondaire d’un hôtel, là, c’était comme deux amis ou deux ennemis qui se rencontrent, se serrent la main, et voilà. Ça n’aurait pas pu mieux se passer. C’était une très belle chose, pleine de spontanéité. Quand même, cette histoire aurait pu éclater comme une bulle de savon. Si ça avait été le cas, il serait encore le plus grand joueur du monde dans l’absolu. Vrai ou faux ? Le plus grand joueur du monde qu’il a été. Il aurait pu mieux s’en sortir.

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Propos recueillis par Lucas Duvernet-Coppola et Stéphane Régy

(1) C'était lors de la phase de poules de la C1, le 3 novembre 2010. Score final : 2-2.

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