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Marcin Bułka, l'envergure des Aiglons

Par Raphaël Brosse et Enzo Leanni, avec Victor Thomazo

Dernier rempart quasiment infranchissable de l’OGC Nice, Marcin Bułka est sans nul doute le meilleur gardien de Ligue 1 à l’heure actuelle. Tout sauf une surprise pour ceux qui, au fil des ans, avaient pris la mesure de son immense potentiel.

Marcin Bułka, l'envergure des Aiglons

C’est un cercle très fermé. Depuis sa création, il y a 20 ans, le trophée du « Joueur du mois en Ligue 1 » n’avait été remis qu’à onze gardiens différents, parmi lesquels Fabien Barthez, Grégory Coupet, Jérémie Janot, Steve Mandanda, Hugo Lloris ou encore Keylor Navas. Bref, que du lourd. Le cercle s’est récemment élargi à un douzième homme, dont la notoriété et le vécu dans l’élite sont encore très loin d’égaler ceux de ses prédécesseurs. Il s’agit de Marcin Bułka, récompensé en septembre 2023. On imagine aisément que cette distinction honorifique va très vite renouer avec ses habitudes en s’offrant à des joueurs offensifs, qui captent bien plus facilement la lumière. Cela n’empêchera pas le Polonais de conserver une étiquette qu’on lui colle bien volontiers sur le dos, à savoir celle de meilleur portier du championnat. Un statut difficilement contestable dans l’état actuel des choses, au regard de ses prestations XXL avec Nice. Sur les deux derniers mois de compétition, seul Kylian Mbappé a réussi à tromper la vigilance de celui qui n’a encaissé que quatre buts après neuf journées (six clean sheets). Si le Gym de Francesco Farioli est toujours invaincu et campe actuellement à la deuxième place du classement, c’est donc en grande partie grâce à son dernier rempart. Dont l’éclosion, attendue de longue date, s’est pourtant fait attendre.

Lorsqu’il débarque à l’Escola Varsovia, une académie basée dans la capitale polonaise et liée au FC Barcelone – un partenariat qui a pris fin en 2023 –, le jeune Marcin n’a que 12 ans. Ceux qui le découvrent alors décèlent néanmoins sans mal son immense marge de progression. « C’était déjà un bon gardien, mais ce qu’on a vu, c’était avant tout son potentiel, affirme Wiesław Wilczyński, président et propriétaire de la structure varsovienne. Il avait des capacités physiques uniques. » Autrement dit, une taille déjà imposante, à laquelle s’ajoute une aisance bluffante dans le jeu au pied. Évidemment, il lui faut encore étoffer sa palette technique et apprendre à maîtriser les subtilités liées au poste de gardien de but. « Il a commis des erreurs, qui ont été de moins en moins nombreuses avec le temps, se souvient Marek Chański, son mentor à l’Escola. Après un an de travail, j’ai dit : “Marcin, il nous reste six mois ou un an pour nous entraîner ensemble.” Il m’a demandé : “Quoi, vous allez partir ?” J’ai répondu : “Non, c’est toi qui vas quitter le club.” Un an plus tard, il est parti à Chelsea. » En effet, l’adolescent ne tarde pas à susciter la convoitise des plus grandes écuries du Vieux Continent. La logique voudrait qu’il rejoigne les rangs du Barça. « J’ai contacté directement M. Bartomeu pour lui recommander ce grand talent », rejoue Wiesław Wilczyński. En mars 2016, Bułka, 16 ans, part donc effectuer des tests en Catalogne. Les Blaugrana sont prêts à l’accueillir en réserve, mais les Blues, à l’affût, lui proposent davantage : intégrer l’équipe première. « Lorsqu’il est parti faire un test là-bas, Marcin s’est entraîné avec Thibaut Courtois, poursuit le dirigeant. C’était très important pour lui, il a compris qu’on le prenait au sérieux. Quand nous sommes revenus de Londres, il m’a dit qu’il préférait aller à Chelsea. »

Marcin Bułka et Wiesław Wilczyński (à sa droite), en 2016. / Escola Varsovia
Marcin Bułka et Wiesław Wilczyński (à sa droite), en 2016. / Escola Varsovia

Barré à Chelsea et Paris, relancé à la Berri

« On a tenté un pari qui, d’ailleurs, ne nous a pas coûté très cher, remet Christophe Lollichon, à l’époque responsable du développement des gardiens dans le club du sud-ouest de Londres. Il avait beaucoup de prédispositions, une grande taille, un état d’esprit remarquable et une capacité de concentration intéressante. » Pendant trois ans, Marcin Bułka côtoie donc au quotidien des références telles que Courtois, Eden Hazard et Olivier Giroud. Il doit cependant se contenter d’apparitions en U18, en Youth League ou avec la réserve. « On voulait le prêter en League One ou en League Two pour qu’il accumule du temps de jeu, mais il avait visiblement d’autres exigences, regrette Lollichon. Il ne voulait pas être prêté, espérait autre chose. C’est pour ça que l’expérience n’a pas duré longtemps. » Le natif de Płock n’a pas beaucoup plus d’occasions de s’illustrer au PSG, qu’il rejoint en 2019, et ce, d’autant plus que le club de la capitale vient de supprimer son équipe réserve. L’une de ses rares titularisations sous le maillot parisien, en août 2020 à Lens, est entachée d’une relance au pied ratée qui engendre le seul but du match (1-0). « Ça peut arriver à tous les gardiens. C’était un peu de nonchalance parce que j’étais jeune et que je n’avais pas l’expérience de ce niveau. Si j’avais eu plus de matchs de Ligue 1, j’aurais pris une autre décision sur le coup », reconnaît-il aujourd’hui.

On voulait le prêter en League One ou en League Two pour qu’il accumule du temps de jeu, mais il avait visiblement d’autres exigences.

Christophe Lollichon, ex-responsable du développement des gardiens à Chelsea

L’international espoirs polonais traverse alors une période mouvementée hors des terrains, entre des révélations malvenues sur ses coéquipiers dans un entretien accordé à la chaîne YouTube FootTruck et un accident de la route qui a envoyé un homme de 56 ans à l’hôpital et lui a valu une amende salée. Bułka a besoin de temps de jeu, et pour qu’il en ait, le PSG l’envoie en prêt. D’abord à Carthagène, en deuxième division espagnole, où l’expérience vire au flop (4 matchs). Puis à Châteauroux, qui lutte pour son maintien en Ligue 2 et où ça se passe un peu mieux. « Quand il arrive, on se dit : “Mais qu’est-ce qu’il vient foutre ici ?”, se remémore Romain Grange, à l’époque milieu et leader technique de la Berrichonne. En un an, il passe de la finale de la Ligue des champions à la dernière place de la Ligue 2. On pouvait douter de son implication, mais on a rapidement compris qu’il ne venait pas en touriste. » Coupé dans son élan par une blessure, l’ancien de l’Escola Varsovia ne permet pas au club de l’Indre d’éviter la descente en National. Ce prêt lui sert néanmoins probablement de déclic car, pour la première fois depuis longtemps, on lui a fait confiance.

La joie du peuple.
La joie du peuple.

Enfin sorti du banc, le géant polonais gagne en assurance au fil de cette demi-saison chez la lanterne rouge de Ligue 2. Titulaire dans l’équipe extrêmement joueuse de Marco Simone, il se révèle être une première rampe de lancement idoine. Ce n’était pourtant pas gagné au départ à en croire Stéphane Porato, adjoint de l’Italien en charge des gardiens à la Berrichonne : « Quand je l’ai vu la première fois, c’était un truc de fou : il devait être à peine dix centimètres devant sa ligne. On aurait dit qu’il avait une corde qui l’obligeait à rester là. Pourtant, il a une mobilité et une vitesse folles pour faire beaucoup plus que ça. Je me suis attaché à lui dire qu’il pouvait aller plus haut, participer au jeu. » À Nice, Francesco Farioli abonde dans le même sens aujourd’hui, pour le plus grand plaisir du gardien. « C’est aussi le coach qui me demande de jouer plus haut, anticiper derrière les défenseurs qui marquent les attaquants très haut. Ça me force à jouer haut aussi pour aider l’équipe comme un onzième joueur, à rester vigilant pour éviter une occasion », explique-t-il. Pour Marek Chański, comme pour ceux qui l’ont connu plus tard, la confiance de ses entraîneurs est la clé qui a mené au succès actuel. « Quand Marcin a commis des erreurs sur le terrain, c’étaient aussi mes erreurs », théorise son éducateur à l’Escola Varsovia, que Bułka retrouve encore pour répéter ses gammes pendant les vacances ou l’intersaison.

Marcin à la page

Les vidéos highlights dont raffolent les réseaux sociaux après chaque match de l’OGC Nice permettent de mettre en lumière la relation entre le gardien et ses coéquipiers, avec 30 passes de moyenne par match. Le Polonais détient surtout le record de transmissions courtes en Ligue 1, devant le Parisien Gianluigi Donnarumma. Il faut dire que Marcin Bułka a commencé en tant que joueur de champ sous les couleurs du Stegna Wyszogród lors de ses jeunes années. Aujourd’hui, il impressionne aussi sur sa ligne. Les deux penaltys sortis devant Folarin Balogun vont dans ce sens, au même titre que ses arrêts face à Rémy Cabella ou Kenny Lala.

Il est plus mobile et puissant que Thibaut Courtois et plus grand que Manuel Neuer. S’il continue à ce niveau-là, il peut repousser les standards du poste.

Stéphane Porato, ancien entraîneur des gardiens à Châteauroux

C’est dans l’exercice des tirs au but qu’il s’était révélé aux yeux du grand public en éliminant le Paris Saint-Germain, son ancien club, en huitièmes de finale de la Coupe de France, après avoir écœuré Leandro Paredes et Xavi Simons. « Il a la même aisance pour aller au sol que des gardiens de 1,90 mètre. Sauf que lui a dix centimètres de plus, c’est assez fou », souffle Stéphane Porato. Les qualificatifs ne manquent pas au moment d’évoquer ses capacités physiques et techniques : « incroyables », « uniques » ou encore « impressionnantes ». Andy Delort, qui a connu Guillermo Ochoa, Kasper Schmeichel ou Rémy Vercoutre, a été épaté par son jeune coéquipier niçois : « Pour moi, il sera bientôt dans un très gros club. C’est le goal le plus fort que j’aie jamais vu. » De là à marcher dans les pas de Keylor Navas, dernier gardien à avoir été nommé meilleur joueur du mois de Ligue 1 ? Stéphane Porato voit plus haut : « Quand t’as un gardien de deux mètres qui se déplace aussi vite… pfiou. Il est plus mobile et puissant que Thibaut Courtois et plus grand que Manuel Neuer. S’il continue à ce niveau-là, il peut repousser les standards du poste. »

Rapide pour sortir dans les pieds de Pierre-Emerick Aubameyang et prêt à se détendre afin de repousser une frappe lointaine de Fali Candé, Marcin Bulka possède déjà plusieurs cordes à son arc. Et il peut encore en améliorer d’autres. « Il doit encore affiner son appréhension du un-contre-un, estime Christophe Lollichon. Je pense aussi qu’il peut prendre plus de place dans le domaine aérien, y aller un peu plus franchement, mais ça viendra avec le temps. » En contact régulier avec son ex-protégé, Stéphane Porato espère le voir plus statique lors de certaines actions, à l’image de Neuer, constamment planté sur ses appuis en angle fermé. « Sa mobilité lui permet d’être toujours au cœur de la surface. Il a toute la panoplie du gardien adverse. Mais, quand il comprendra qu’il n’est même plus obligé de plonger, il va être encore plus intéressant et va en dégoûter plus d’un », analyse son ancien entraîneur. De quoi donner envie de retourner au charbon à celui qui vient de fêter ses 24 ans, toujours dépeint comme un bourreau de travail et qui ne manque pas d’ego. Avide d’apprendre de nouvelles choses depuis ses débuts, la confiance gagnée à Châteauroux lui a également permis de s’affirmer dans le vestiaire. « Malgré son jeune âge, on sentait déjà une âme de leader, explique Romain Grange. Il venait de Chelsea et du PSG, donc quand il parlait, tout le monde l’écoutait. » Ses excès de colère à chaque défaite ou but encaissés, même à l’entraînement, ne font pas oublier les ambitions de « ce gros nounours », dixit Porato. Celles de s’installer sur la durée à Nice et en équipe nationale polonaise face à la concurrence de Wojciech Szczęsny. Rien de démesuré pour quelqu’un qui s’installe déjà dans le haut du panier en Ligue 1, tout en suivant les traces de Thibaut Courtois et de Manuel Neuer.

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Par Raphaël Brosse et Enzo Leanni, avec Victor Thomazo

Tous propos recueillis par RB, EL et VT, sauf ceux de Marcin Bulka et d'Andy Delort, issus de RMC Sport.

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