- Dans le cerveau du Professeur
- Épisode 1
Marcelo Bielsa : « On doit démontrer ce que je présume que nous pouvons faire »
Il y a de nombreuses années, Marcelo Bielsa a choisi de ne plus accorder d’interview à la presse, par souci d’équité et de justice entre les médias. Par souci de justice et d’équité envers Marcelo Bielsa, So Foot a décidé de désormais publier in extenso le verbatim des conférences de presse que donne chaque semaine celui que nous n’appellerons pas El Loco, mais Le Professeur.
Bonsoir (en français)
Bonsoir Marcelo. Est-ce qu’avec la victoire juste avant la trêve, il y a une forme de soulagement parce que vous débloquez le compteur point après une période où vous n’avez pas marqué de points ? Oui… eh… ça soulage les sensations que nous avions pendant trois mois sans gagner, mais c’est simplement une trêve qu’il faut commencer à consolider match après match.
Pendant la trêve internationale, qu’est-ce que vous avez pu faire à l’entraînement pour avoir des précisions, et surtout est-ce que vous avez un peu plus de certitudes par rapport au jeu que vous allez proposer contre Saint-Étienne ? On a fait une semaine, la première, de travail physique et une seconde semaine avec comme moment important la séance de football formel que nous avons faite hier. On a essayé d’affiner les profils de l’équipe quant à son mode de jeu. Mais tout cela au sein d’un processus normal, habituel, qui n’a pas eu d’aspect exceptionnel.
Vous venez de dire que votre victoire de Metz doit être confortée rapidement. Vous ne trouvez pas que cela se présente bien, vous avez deux matchs rapprochés face à Saint-Étienne, qui va pas très bien, ils viennent de changer d’entraîneur, et face à Amiens qui logiquement est à votre portée. C’est pas une belle occasion, vraiment, de faire un bon petit bond, là ? Eh bien, nous, indépendamment de l’adversaire, nous avons besoin de modifier notre propre réalité, de l’améliorer, et je crois que pendant de nombreux matchs, on aura une sensation d’obligation très marquée. Parce qu’inverser un début de saison comme celui que nous avons eu jusque-là n’est ni immédiat ni simple.
Saint-Étienne a officialisé il y a quelques minutes la fin de la collaboration avec son entraîneur Óscar García. Est-ce que c’est quelque chose que vous suivez, qui vous touche, ou vous faites totalement abstraction de tout ça ? Non. Nous sommes très occupés à résoudre les problèmes qui proviennent de notre propre rendement et de nos productions. Il s’agit d’élever nos prestations et pas de profiter d’une apparente, ou supposée, faiblesse momentanée de l’adversaire. (Il répète au traducteur) Une faiblesse supposée.
Vous allez avoir un sacré rythme d’ici à la trêve, car vous allez jouer 9 matchs dont un en Coupe de la Ligue. Est-ce que c’est entré dans vos paramètres dans le sens où vous ne faites pas énormément tourner votre effectif ?Eh bien, nous avons un groupe qu’on croit capable d’assumer les 9 matchs qui restent, à une moyenne de deux matchs par semaine, sauf quelques exceptions. Même si nous ne sommes pas beaucoup, la quantité est suffisante. On a des remplaçants à tous les postes. Et on doit démontrer ce que je présume que nous pouvons faire.
Le communiqué médical fait état de deux joueurs qui seraient blessés ou peut-être forfaits, probablement. Ballo-Touré et Kouamé. Ce seront deux joueurs qui ne partiront pas avec vous ? Il y a d’autres joueurs incertains ? Et allez-vous reconduire l’équipe qui a gagné à Metz ? Aujourd’hui, j’ai parlé avec Kouamé, qui m’a dit qu’il se sentait en condition pour jouer. Si c’est ainsi, il jouera. Il y a aussi l’absence obligée d’Edgar Ié. Donc voilà les postes à couvrir. Dans le cas où Kouamé ne joue pas, c’est Maia qui jouerait. Et si Maia joue sur le côté, Bouba jouerait en 6 et Amadou en défense centrale. L’alternative, c’est que Soumaoro joue en défense centrale et Amadou en 6. C’est un peu moins probable parce que… prendre une décision pour un joueur qui ne joue pas depuis longtemps comme Soumaoro est toujours plus difficile. Même si toutes les références, du corps médical, de la préparation physique et des aspects techniques, indiquent que Soumaoro est disponible. Et à un moment, il devra jouer son premier match officiel après tant de temps. Ce qui reste à décider est s’il le fera directement en équipe première ou après quelques approximations en CFA.
Nous sommes déjà à la 13e journée. Vous ne pensez pas que ça passe un peu vite pour vous, Marcelo Bielsa ? Vous ne préfériez pas que ça aille un peu moins vite et avoir le temps de travailler ? Écoutez, moi je n’attribue pas au manque de travail notre réalité sportive.
Par conséquent, je n’interprète pas le temps qui passe comme un allié pour la croissance ou le développement de l’équipe. J’ai toujours dit que je ne voulais avancer aucune excuse ou prétexte pour justifier notre réalité sportive. C’est sûr que jouer des matchs est toujours un espoir pour nous. En particulier parce que nous avons l’illusion d’enchaîner des résultats favorables.
Après la réception de Saint-Étienne, vous allez vous rendre une deuxième fois au stade de la Licorne en reprenant le match à 0-0. Est-ce que selon vous, c’est une forme d’injustice que votre équipe soit privée du but qu’elle a marqué lors du premier match ? Eh bien, mis à part les commentaires qu’on peut faire, on ne peut pas considérer comme injuste qu’on règle une affaire selon une règle qui était fixée avant le début du championnat,
et qui faisait référence à ce type d’épisode, exactement comme il est survenu, et qui prévoyait la solution qui a été déterminée. L’attachement aux règles ne me paraît jamais injuste. Peut-être que cet épisode aidera à réviser les règles, si ceux qui en sont responsables pensent que cette norme n’est pas totalement juste. Mais en aucun cas je ne crois que j’ai la capacité, la connaissance, l’information pour suggérer quoi que ce soit sur une règle en vigueur.
(Silence.)
Euh, si on prend les statistiques, Lille n’a gagné que 3 de ses 16 derniers matchs à domicile, et n’a pas marqué sur 4 de ses 5 derniers matchs à domicile. Est-ce que la principale difficulté est pour vous d’imposer votre jeu très offensif à domicile plutôt qu’à l’extérieur ? Non, non. Une chose est ce que l’on désire, ou ce que l’on propose, et parfois il n’y a pas de relation entre ce qu’on recherche et ce qu’on réussit. Moi, je pense toujours qu’il faut aspirer à gagner les matchs, que c’est plus facile de le faire en jouant bien que sans jouer bien et qu’il est plus facile de faire des différences en attaquant qu’en défendant. Mais bon, ce sont des généralités qui ont des exceptions, ce n’est pas toujours ainsi. Il y a des styles de jeu qui vont dans le sens contraire de ce que je dis et qui ont beaucoup de succès. Mais moi, j’ai toujours choisi de me baser sur ce qu’indiquent les statistiques. C’est-à-dire qu’il y a plus de chances que celui qui joue mieux gagne et que celui qui attaque a plus de chances de gagner que celui qui défend. Mais bon, c’est aussi quelque chose de discutable.
Un autre élément d’appréciation, c’est qu’il n’y a que trois équipes en L1 qui n’ont pas marqué de la tête, dont vous faites partie. Est-ce que c’est une faiblesse de votre équipe ou juste un concours de circonstances ? Je ne connaissais pas cette donnée. Nous donnons beaucoup d’importance aux coups de pied arrêtés et de là surgissent beaucoup de buts de la tête. Et nous donnons beaucoup d’importance au jeu sur les côtés qui finit souvent par des centres dans la surface, ce qui donne également beaucoup de buts de la tête. Par conséquent, si on ne marque pas de buts de cette façon, ce n’est pas parce que nous ne l’avons pas essayé. En revanche, nous avons raté beaucoup de buts. J’ai déjà livré une statistique : nous sommes la seconde équipe qui crée le plus d’occasions de but après le PSG, mais nous avons besoin de créer entre 7 et 8 occasions de but pour en transformer un, sachant que la moyenne des équipes qui réussissent est entre 2 et 3 occasions pour marquer un but. Cette information est vraie, elle est exacte et précise. (Le traducteur traduit « Cette information est vraie, précise. » Bielsa répète : « et exacte » .) Peut-être peut-on objecter que seuls les tirs qui sont cadrés doivent être considérés comme des occasions de but. Nous, nous avons plus d’occasions de buts que de frappes cadrées. Mais même si on ne frappe pas au but, et que la situation est dangereuse, c’est quand même une occasion de but. Pour qu’un but soit raté, il n’y a aucune raison que la condition soit que le tir soit cadré. Je fais cette clarification parce qu’on a considéré la statistique que j’ai donnée comme erronée. Parce qu’on l’a comparé au nombre de tirs cadrés. Et là, oui, il y a une erreur conceptuelle. Il peut y avoir une occasion de but sans que le tir soit cadré. Et intuitivement, je dirais même qu’il y a plus de buts ratés sans que le tir soit cadré que de buts ratés à la suite d’un arrêt du gardien.
Vous avez toujours dit que vous étiez content de votre effectif. Malheureusement, le premier quart de cette saison est un peu compliqué parce que vous n’êtes que 19e. Est-ce que vous réfléchissez au mercato, est-ce qu’on peut s’attendre à l’arrivée de plusieurs joueurs dès le mois de janvier ? Écoutez, pour ce qui est de la formation d’un effectif, l’entraîneur, dans la mesure où il valide l’arrivée d’un joueur, devient responsable devant l’opinion publique de son rapport rendement / valeur.
Donc, à la fin du mercato précédent, j’ai préféré que ne viennent pas certains joueurs à certains postes qu’il était nécessaire de renforcer parce que j’ai soupesé tous ces arguments : c’est-à-dire les joueurs qui étaient partis du club et leurs prix, les joueurs qui pouvaient être recrutés et leurs prix, si ceux qu’on pouvait recruter étaient meilleurs que ceux qui étaient partis ou que ceux que nous avions. Donc, par exemple, on m’a proposé définitivement l’arrivée de Wilfried Bony le dernier jour du mercato, après le transfert de Préville. J’étais d’accord pour son arrivée. À tel point que, moi qui ne parle pas anglais, j’ai demandé à mon épouse qu’elle parle avec Bony, parce que Bony avait posé cette condition de parler avec l’entraîneur. Et quand j’ai voulu parler avec lui selon les conditions qu’il m’avait fixées, il était déjà à Swansea en train d’arranger son transfert. Il avait choisi cette option. Je dis cela comme un exemple pour montrer que s’il y a des joueurs qui répondent à l’équation rendement / valeur / rapport de supériorité avec les joueurs dont nous disposons, je suis toujours pour accroître le potentiel de l’effectif. Je ne sais pas, j’ai répondu à la question ?
Donc c’est possible d’avoir des nouveaux joueurs au mois de janvier ?Comment ?
S’il est possible d’avoir des nouveaux joueurs au mois de janvier ? Ah oui, bien sûr. Écoutez, je veux dédouaner le club, parce que le dernier jour du mercato, le club était disposé à investir 25 millions d’euros sur deux ou trois joueurs. Le club, qui avait tant investi, était disposé à investir presque 50% de plus que ce qu’il avait déjà dépensé. Cela indique la claire disposition du club à renforcer l’équipe. Si cette disposition se maintient en décembre, et je n’ai aucune raison de penser que ce ne sera pas le cas, et si on arrive à convaincre les joueurs voulus, je serai toujours d’accord.
Ça confirme l’entière confiance du club à votre égard ? Quoi ?
Ça confirme l’entière confiance du club à votre égard ce que vous venez de dire ? Je ne comprends pas la relation que vous faites. Peut-être que vous allez m’aider à la comprendre ?
Si vous demandez des renforts, alors que vous en avez déjà eu beaucoup, et que le club vous suit, c’est qu’il a confiance en vous et dans votre plan futur ? Il y a des décisions qui sont risquées. Par exemple, il y avait aussi la volonté d’intégrer un défenseur central à la fin du mois d’août, et j’ai préféré attendre la réintégration de Soumaoro. Et donc à ce poste de défenseur central ont joué Alonso, Ié et Amadou.
Et on a pu prendre le temps d’attendre Soumaoro et éviter d’investir 10 ou 12 millions d’euros pour un défenseur central. Maintenant, savoir si c’est vrai que renforcer l’équipe est une preuve de confiance, moi je ne dis pas que le club n’a pas confiance en moi, mais je dis que l’effectif est très limité, qu’on savait clairement qu’il y avait des postes à renforcer et que cela n’a pas été le cas. Je crois que cette conviction n’est pas liée à la confiance en moi, et je ne dis pas qu’on n’a pas confiance en moi, mais le club peut le vérifier par lui-même.
(Silence)
Vous accompagnez votre travail de nombreux statistiques et chiffres, notamment des éléments que nous n’avons pas à notre disposition, est-ce que vous pouvez me confirmer comme vous l’avez dit par le passé, que les joueurs de Lille ne sont pas ceux qui courent le plus, mais ceux qui courent à la plus haute intensité ? Est-ce que c’est toujours le cas et quels sont les éléments récents à votre connaissance ? Je ne suis pas un amoureux des statistiques. J’accorde de l’importance à l’information. Quand on est constamment mis en cause, et n’importe quelle personne publique se soumet à ce régime, on se pose aussi des questions sur le bien-fondé des décisions que l’on prend.
Donc j’analyse la réalité que je dois administrer, j’écoute les critiques sur les décisions que je prends, et je cherche des données pour savoir si je suis dans le vrai ou si je dois faire des corrections. Si on ne fait pas un bon diagnostic, nous ne pouvons pas corriger correctement. Cela est vrai aussi quand on reçoit des éloges qui ne correspondent pas à la réalité. Pour ce qui est de l’intensité, les autorités de la ligue nous transmettent des informations sur chaque match, qui nous indiquent la quantité de mètres parcourue pour chaque joueur, le nombre de mètres parcourus à haute intensité, et les mètres parcourus en sprint. Des mètres ou des kilomètres. Données individuelles et données collectives.
Dans la plupart des matchs, nous sommes supérieurs à nos adversaires en sprint, c’est-à-dire pour les courses de plus de 24 km/h, et aussi en haute intensité, c’est-à-dire les courses entre 21 et 24 km/h. Normalement, nous sommes supérieurs à nos adversaires pour les sprints et pour les courses à haute intensité, et logiquement l’équipe qui remporte ces deux catégories ne domine pas le volume total. Donc, pour ce qui est du volume total, parfois nous gagnons, parfois nous perdons. Pour la haute intensité et les sprints, normalement nous gagnons. Je ne pourrais pas dire, parce que c’est une affirmation que je ne pourrais pas certifier, que nous sommes « les meilleurs du championnat » . En revanche, oui, nous dominons normalement nos adversaires dans ces catégories. Écoutez, je ne suis pas un spécialiste de ça. Je répète ce que je demande chaque jour à ceux qui comprennent ça. Et si vous vous intéressez au sujet, je vous suggère de ne pas me consulter, mais plutôt Benoît (au traducteur : « c’est quoi son nom ? » ) Benoît Delaval, qui est un spécialiste de ces informations, avec 10 ou 12 ans d’expérience. Il pourrait illustrer ces commentaires avec des connaissances que je ne possède pas.
Par ailleurs, courir plus en volume, à haute intensité ou en sprint, c’est lié au style de jeu. Il y a des équipes qui ont besoin de s’imposer en distance totale parcourue, c’est-à-dire en volume. Nous, ce n’est pas le volume qui nous intéresse, mais les accélérations et les décélérations, les sprints et la haute intensité. Courir plus ou plus vite ne garantissent pas de bien jouer ou de mieux jouer. Ça illustre simplement qu’il y a un aspect de l’évaluation comparative que le jeu contient, que la compétence… (le traducteur demande à Marcelo Bielsa de répéter). Courir plus, en qualité ou en quantité, ne signifie pas être meilleur que l’adversaire. Ça peut être le cas ou ne pas être le cas. Le jeu se décide sur beaucoup de comparaisons. Et comme cette information est très précise et très accessible, cela permet de l’écarter du scénario et d’étudier d’autres paramètres quand les données donnent satisfaction sur cet aspect. Je ne sais pas si… (il lève les yeux) je n’ai pas été clair, si ?
Si, si. Ah, c’est bien, tant mieux !
Vous parliez du mercato, est-ce que vous vous opposeriez à des départs de certains joueurs de votre équipe, je pense à des garçons qui brillent comme Mike Maignan ou Thiago Mendes, est-ce que vous diriez non à un départ de ces joueurs-là ? Bon, ce sont des questions hypothétiques sur lesquelles je ne m’exprime pas normalement. J’ai déjà beaucoup de difficultés sur le concret pour prêter attention à l’hypothétique.
(Silence)
Une question sur la sélection argentine. Après la défaite contre le Nigeria, Diego Maradona a déclaré qu’il aimerait revenir à la tête de l’Argentine. Qu’est-ce que vous en pensez ? Nous devons tellement à Diego que quoi qu’il dise, je n’exprime jamais d’accord ou de désaccord.
Il nous a tant donné que je sens comme l’obligation d’écouter et respecter plutôt que d’écouter et donner mon opinion. Mais il y a un processus en marche qui jusqu’à maintenant a été une réussite. Même si le processus est récent, il a permis une qualification très difficile à obtenir. Et nous espérons tous qu’il se cristallise en Russie. Et je suis sûr que le destin offrira à Diego une nouvelle possibilité, comme celle qu’il désire.
(Il se lève et s’en va.)
Propos traduits par Pierre Boisson