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Marcelo Bielsa et les médias français
Marcelo Bielsa a fait parler de lui en conférence de presse en fin de semaine dernière à propos du cas Dória... C'est faux : Marcelo Bielsa a fait parler de lui en conférence de presse en fin de semaine dernière parce qu'il a parlé du foot français.
Parler de football
La conférence de presse de Marcelo Bielsa qui a précédé la rencontre contre Nice a sans aucun doute été la plus intéressante depuis son arrivée en France. Interrogé par des journalistes sur le sort de Dória, il a répondu en parlant de football : « Dória… Vous faites toujours référence à Dória. Le joueur qui joue à son poste, c’est Morel, sinon Nicolas Nkoulou et Baptiste Aloé. J’ai choisi ces options-là, je ne comprends pas le pourquoi de la question. À moins que vous ne pensiez que Jérémy Morel ne devrait pas jouer ? Dória est un professionnel, c’est un grand joueur, il est en bonne condition, mais moi, je choisis le plus adapté pour le match. De la même manière, pourquoi ne me demandez-vous pas pourquoi Sparagna ou Andonian ? » Une réponse qui n’a pas plu à un journaliste, qui a rétorqué que le joueur avait coûté 5 millions d’euros. « Vous ne comprenez rien à mon travail alors, a répondu Bielsa. Vous croyez donc que les joueurs jouent suivant le prix qu’on a payé pour eux. C’est impossible pour un directeur technique de suivre de tels critères. Vous croyez que celui qui a coûté le plus doit jouer, et moi je réponds que doit jouer celui qui a la meilleure condition pour le faire. »
Cet échange serait anecdotique s’il ne s’inscrivait pas dans une tendance plus lourde : la mythologie de la finitude de la « méthode Bielsa » , servie à toutes les sauces actuellement et vendue sur le terme plus racoleur de « limites du système Bielsa » . Étant déjà entendu que Bielsa a un système, soit. Une finitude sous forme de lapalissade puisque, par définition, tout système a ses limites. Depuis le début de l’année civile et les résultats cahin-caha de l’OM, la question fait surface comme un marronnier qu’on attendait de dégainer. Mais cette question était déjà sous-jacente lorsque les bons résultats de l’OM étaient décryptés en septembre dernier. « Jusqu’à quand vont-ils tenir ? Marcelo Bielsa ne dure jamais dans un club. C’est beau de courir, mais les joueurs ne pourront pas le faire éternellement » , pouvait-on entendre ici et là. Soit, si la méthode Bielsa a ses limites, pourquoi ne pas avoir évoqué lors de leurs intronisations respectives les limites de la méthode Fournier, de la méthode Blanc, de la méthode Sagnol, de la méthode Galtier ou de la méthode Montanier alors ? Si tant est qu’un jour, leurs méthodes aient été aussi définies et essorées que ladite « méthode Bielsa » .
Inverser les rôles
Finalement, cet échange est amusant parce qu’il inverse les rôles habituels : il met en scène un entraîneur qui parle de foot et un journaliste qui parle d’argent. L’annonce lapidaire « vous ne comprenez rien à mon travail » est même une attaque frontale de l’entraîneur olympien, qui va ensuite plus loin dans sa critique : « Un jeune est venu me voir et m’a montré l’écran de son téléphone. En grosses lettres, il y avait écrit Dória. C’est une conséquence de ce que vous dites sur un prétendu mauvais traitement de Dória. L’opinion publique pense que je ne le fais pas jouer uniquement à cause de mon désaccord initial, mais c’est faux. » Un propos clair sur la responsabilité des médias dans l’appauvrissement du traitement du football en France. Toujours sans sourire, les yeux baissés, avec ce phrasé professoral et minutieusement choisi.
Difficile, après cette sortie, de ne pas repenser à l’air désabusé de Carlo Ancelotti, qui se voyait lui administrer des leçons de tactique sur des talk-shows ou dans des grands quotidiens et qui, en conférence de presse, tentait d’expliquer la cohérence de son travail au PSG. Et de se rappeler la complaisance avec laquelle Laurent Blanc tient tant bien que mal à la tête du PSG, sans que personne n’ait réellement réussi à définir sa méthode. Pire, comment ne pas penser à cette blague de Pierre Ménès après Bordeaux-Monaco, lorsqu’il plaça Laurent Blanc parmi ses flops du match en ironisant : « Comme c’est toujours la faute de Laurent Blanc… (comprendre : tous les maux de son équipe actuelle) » . Ces petites scènes quotidiennes disent des choses sans le vouloir. Si Marcelo Bielsa est responsable du coup de fatigue hivernal de ses joueurs – coup de fatigue qui serait l’un des maux premiers de sa méthode inefficace quoi qu’il arrive à long terme – et se trompe lourdement sur sa défense à 3, Laurent Blanc ne serait lui pas responsable de la désinvolture de ses joueurs, mais souffrirait du manque de reconnaissance de son président. Voilà, en des termes grossiers, comment le football français débat à l’heure actuelle…
Par Antoine Mestres