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Marcelo Bielsa, arrivé à Leeds comme un fou, reparti comme un roi
Marcelo Bielsa et Leeds United, c'est terminé. En dépit d'une cote de popularité inébranlable dans le Yorkshire, le technicien argentin n'aura pas résisté à la cascade de mauvais résultats des Whites. Remplacé par Jesse Marsch, El Loco laisse derrière lui des trophées, quelques casseroles, mais surtout beaucoup de bons souvenirs. Quelle trace va donc laisser Bielsa dans l'histoire de Leeds United ? Décryptage.
À en croire les météorologues anglais, Preston serait la ville la plus pluvieuse du Royaume. Mais depuis ce dimanche 27 février et les torrents de larmes tombés sur Leeds, on peut sérieusement en douter. En actant le départ de son entraîneur phare, le président Andrea Radrizzani a déclenché une vague d’émotion à travers tout ce bastion du Yorkshire. Si les joues des supporters de Leeds United sont encore humides, et un peu plus encore après la défaite de ce week-end contre Leicester (1-0), celles de Marcelo Bielsa et de ses joueurs ont eu le temps de sécher. Pourtant, dans le quartier général du club aussi les sanglots ont éclaté.
Supporters dévastés, Spygate et montée en Premier League
La scène se passe en petit comité. Marcelo Bielsa sait que son avenir est tranché. Il vient officiellement l’annoncer à ses joueurs. Celui que l’on peint parfois comme distant avec ses ouailles ne peut à ce moment-là retenir son chagrin. Après avoir lâché quelques mots, le coach argentin fond en larmes et entraîne avec lui l’émotion de tous ses enfants adoptifs. C’est dans cette ambiance aux allures de veillée funèbre que l’aventure de Bielsa à Leeds s’est terminée. À l’extérieur, une poignée de supporters dévastés attendaient le départ du technicien pour lui faire un dernier adieu. Ils auront bien plus : photos, vidéos, et signatures de maillots, le tout entremêlé de « thank you » mutuellement transmis. Une scène qui ne ressemble à aucun autre licenciement et qui résume l’amour réciproque que les fans et Bielsa se sont porté.
L’amour. C’est de ça dont il a été question depuis l’année 2018. Plus qu’une idylle d’une année comme ce fut le cas à Marseille, la relation passionnelle s’est entretenue mois après mois, année après année, au gré de prolongations de douze mensualités chaque été. À tel point que Bielsa himself– pourtant loin des siens – exposait publiquement son envie de durer à très long terme dans le club anglais et avouait en privé à quel point il se sentait chez lui dans cette ville anglaise pourtant bien différente de son Rosario. Comment expliquer ce coup de foudre à Elland Road ? Rembobinage, accompagné de deux fans : Jacques, 26 ans, qui n’avait jamais vu jouer son club en Premier League, et David, Britannique habitant en France, supporter depuis les années 1970 et qui n’hésitait pas à régulièrement traverser la Manche pour voir son club tutoyer à nouveau les sommets.
À l’arrivée du technicien argentin, Leeds United végète dans le ventre mou de Championship, un championnat dans lequel il n’est qu’un figurant depuis de nombreuses années. Le technicien argentin accepte le challenge, arrive avec sa ribambelle d’adjoints, regarde comme à son habitude des dizaines et des dizaines de matchs du club et change les mentalités en un été. D’une équipe morose, El Loco va faire une machine à gagner. Et il ne lui faudra qu’un match pour conquérir toute une ville. David y était. « Stoke était relégué de Premier League et était favori du match. Nous les avons largement dominés (3-1) avec un jeu très excitant. Je suis allé au match et c’était vraiment une transformation de notre équipe par rapport à la saison précédente. »
Un succès tel que les médias locaux et internationaux vont rapidement se découvrir une passion pour Luke Ayling, Kemar Roofe, Kalvin Phillips, Mateusz Klich ou encore Ezgjan Alioski. « Il a extrait des talents inconnus et des performances physiques extraordinaires d’une équipe que beaucoup avaient longtemps rejetée », insiste Jacques, premier surpris de cette transformation. « Kalvin Phillips, qui ne jouait même pas régulièrement avant l’arrivée de Bielsa, est devenu international anglais en deux ans », complète David. Des joueurs pour certains prometteurs, pour d’autres quelconques qui accèdent en une vingtaine de matchs à la lumière en vertu du BielsaBall qui conquiert un peu plus le continent chaque week-end. La fin de saison sera pourtant de l’ordre de celles qu’ont connue sous ses ordres les supporters de l’OM. Un « choke » dans les grandes largeurs, d’abord pour l’accession directe en Premier League, l’équipe finissant troisième, puis en play-off face au Derby County de Frank Lampard. La deuxième partie de saison sera néanmoins marquée par deux événements dont seul Bielsa a le secret.
Tout d’abord, durant l’hiver, l’épisode du « Spygate » . Pour le définir en peu de mots, il s’agit d’une observation non autorisée des entraînements des adversaires de Bielsa par l’un de ses adjoints avant les confrontations directes. Un petit espionnage des familles qui conduira Bielsa – dont l’adjoint avait été pris en flagrant délit dans un arbre à Derby County – à décrypter sa méthode de travail devant un parterre de journalistes estomaqués lors d’une conférence de presse exceptionnelle. Jamais dans l’histoire de ce sport un entraîneur en poste n’était venu, PowerPoint à l’appui, expliquer les points forts et faibles de chaque joueur de toutes les équipes de son championnat. Mais Bielsa le fait, pour se défendre de tout miser sur ses espionnages pour gagner les rencontres.
La « lose » presque admirable de Bielsa l’emmènera aussi jusqu’à ce fait de jeu dans une décisive rencontre face à Aston Villa où Leeds marqua un but que Bielsa trouvait non fair play, la faute à un joueur adverse resté au sol durant l’action. Il demandera alors aux siens de laisser Villa égaliser sans s’y opposer. Deux points précieux de perdus, une dynamique cassée, mais un honneur sauf. Et une remise en question perpétuelle de ce qu’est véritablement ce sport aux yeux de ceux qui l’aiment. Un jeu où l’important est de remporter des trophées ? Où il faut s’accrocher à de mornes victoires d’un but d’écart sans volontés proactives ? Ou plutôt tenter de transposer des valeurs qui manquent parfois au football d’aujourd’hui ?
Malgré cette fin au goût amer, toute la ville est conquise. Et la raison est simple selon Jacques : « Il nous a permis de retomber amoureux de notre club. Nous avons longtemps regardé les autres équipes atteindre le sommet du football anglais, tandis que nous nous contentions de relégations, de défaites en barrages et de déchirements sans fin. Il nous a appris ce que signifiait être un adepte du football et nous a permis de trouver de la joie, de la beauté et du sens là où nous n’avions trouvé que de la douleur. »
La plus grande ville du Yorkshire se met à rêver plus grand. Et l’inimaginable deux années plus tôt va se produire en août 2020, à la fin d’une saison dominée de la tête et des épaules, mais surtout mise entre parenthèses plusieurs mois pour cause de Covid : Leeds United va gagner le droit de retrouver la Premier League, seize années après l’avoir quittée. Le tout en étant champion de Championship. Un titre qui est peut-être un détail pour vous, mais qui pour Bielsa veut dire beaucoup, même s’il ne le revendiquera pas publiquement. Une récompense pour celui souvent raillé pour son palmarès et un signe aussi que le plus Poulidor des coachs renommés était, à l’image de son club, en train d’effectuer sa mue. Car comme dans toute belle histoire d’amour, il y a apport mutuel. Bielsa a transformé Leeds, mais Leeds a aussi transformé Bielsa. Dans la tête, dans le cœur, dans la sérénité dégagée. Terminé les reproches à ses employeurs. Terminé les coups de colère auprès de certains adjoints. El Loco ne deviendra jamais « The Craziest ». Au contraire, l’Argentin traversera son épopée anglaise dans la sérénité, le sourire et l’apaisement.
Pour son retour parmi l’élite du football anglais, Leeds fera bien plus que de la figuration. Le club de Bielsa terminera neuvième à seulement trois petits points de Tottenham, dernier qualifié pour les compétitions européennes. Les 59 points glanés par le club font de Leeds le « meilleur promu de l’histoire de la Premier League » , un fait honorifique, mais qui prend sens lorsque l’on regarde de plus près certains résultats, et la manière avec laquelle Leeds a égayé la Premier League. Adepte des corrections face aux plus faibles, poil à gratter face aux plus forts, capable même de renverser le City de Guardiola à l’Etihad Stadium… Et tous, notamment les plus prestigieux adversaires, n’auront que compliments et mots admiratifs sur ce Leeds imprévisible et parfois insaisissable. Pourtant, moins d’un an plus tard et en dépit de tout le crédit que ses trois premières années avaient pu lui accorder, Bielsa s’est vu perdre sa place en pleine saison au profit de Jesse Marsch. « Je suis allé aux trois matchs face à Manchester United, Liverpool et Tottenham, raconte David. Trois performances catastrophiques avec 14 buts encaissés… Cependant, je pense que la manière dont sa sortie a été décidée n’était pas bonne. Le club a laissé fuiter son licenciement à la presse une journée avant l’annonce du club. Ce n’était pas digne face à quelqu’un qui a été très correct pendant ses trois ans et demi chez nous. »
Un héritage inestimable
Se pose désormais la question de son héritage. Un héritage qui apparaît déjà comme bien lourd à porter pour le nouveau coach des Whites, tant sur un plan sentimental que sur celui du jeu. Côté terrain, Bamford, Raphinha, Meslier et Phillips feront les belles heures de clubs plus huppés. À ce titre, l’hommage rendu par le dernier nommé – « vous avez vu en moi ce que j’ignorais moi-même » – résonne comme un éternel remerciement envers celui qui aura, comme lors de ses précédentes expériences, changé le destin de plusieurs sportifs. Plus qu’à l’équipe première, il manquera aux jeunes qu’il n’a jamais hésité à lancer, aux U9 et aux U11 à qui il donnait câlins et bons conseils lorsqu’il prenait du temps pour diriger leurs entraînements. Côté infrastructures, tout Thorp Arch a été repensé selon le degré d’exigence du technicien argentin. Un centre d’entraînement qu’il aura lui-même amélioré sur ses deniers personnels, faisant construire à ses frais une salle de gym dédiée au staff pour la modique somme de 150 000 livres. Au sein même de la ville, la « Bielsa Rhapsody » est presque plus chantée que la « Bohemian » de Queen. La « Marcelo Bielsa way » fera peut-être figure de lieu de villégiature pour les fans d’El Loco. De même que le Costa Coffee et le Morrisons, où les habitués de ces établissements auront pu développer un lien privilégié avec celui qui se fondait dans la ville tel un (quasi) anonyme. Un quasi anonyme qui a malgré tout eu des fresques géantes à son effigie. En attendant une statue aux abords du stade ?
Et dans le cœur de tous les habitants, il restera celui qui aura ressuscité la belle endormie. « Bielsa a fait beaucoup plus qu’améliorer le côté foot. Il a créé un lien entre le club, les supporters et la ville. Il aura été très humble, ne s’est jamais trouvé d’excuses, n’a jamais critiqué l’arbitrage », s’exclame David. Jacques va encore plus loin : « Marcelo Bielsa, son staff et ses joueurs, nous ont apporté une joie sans limite. Ils ont enrichi nos vies et amélioré nos expériences personnelles et collectives. Ils nous ont aidés à trouver l’amour, la joie, le sens et l’épanouissement. Il a révélé en nous une philosophie et une approche non seulement du football, mais de la vie. Nous sommes devenus témoins de la valeur de travailler avec intensité, intégrité, respect et humilité, d’accepter l’adversité comme inséparable de la vie elle-même, mais avec de bonnes raisons de l’aborder avec optimisme et courage. »
Côté Bielsa aussi l’heure est au bilan. Il est évidemment positif. La cote de popularité du technicien argentin n’a peut-être jamais été aussi haute tant il a su performer sur les terrains en gommant ses traits de caractère inquiétants. Plus fiable, capable de travailler à moyen voire long terme, avec un budget non extensible, Bielsa a su se montrer rond et à l’écoute lorsqu’on l’a longtemps et à raison peint comme une perpétuelle grenade dégoupillée. Mais comme après toutes les belles et longues relations, est-il prêt à repartir sur le marché des célibataires ? Seul le temps apportera une réponse. Du temps, il en a en tout cas pris pour lui, pour retrouver les siens dans son fief de Rosario. Loin de son armée anglaise où il aura comme souvent marqué toute une communauté de fans qui doit maintenant vivre avec cette question : ressentirons-nous un jour de nouveau cette exaltation ? Les larmes ont fini de couler. Resteront les souvenirs de Jacques : « Ce fut magnifique et ce le sera pour toujours. »
Par Maxime Masson