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Marc Sauvourel : « Si l’arbitre considère que ça reste un accident mineur… »

Propos recueillis par Julien Perthuis
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Dans le cadre du documentaire Je ne suis pas un singe, qui sera diffusé sur Canal+ le 6 janvier à 21h, Marc Sauvourel, journaliste au service des sports de la chaîne cryptée, a parcouru l'Europe avec son compère Olivier Dacourt pour prendre le pouls du racisme dans le football. Il revient sur l'affaire Koulibaly qui frappe de plein fouet l'Italie.

Tout le monde parle de l’affaire Koulibaly (le défenseur du Napoli victime d’insultes racistes face à l’Inter, N.D.L.R.). On sait que les cas de débordements racistes sont relativement fréquents dans les stades, mais pourquoi ce cas-là précisément a un tel retentissement ? C’est dû, à mon avis, au fait que Carlo Ancelotti ait menacé de quitter le terrain la prochaine fois. Ça ne s’est jamais vu en compétition officielle. Il y a eu un précédent, qu’on traite dans notre doc, avec Patrick Vieira à l’époque où il entraînait les jeunes de Manchester City. Il était parti faire un match amical de présaison en Croatie, et un de ses joueurs a été pris à partie par un adversaire. Ni l’arbitre ni l’entraîneur adverse n’ont souhaité intervenir, et Patrick Vieira lui-même est entré sur le terrain en demandant à ses joueurs de le quitter. Je pense que ce qui donne encore plus de retentissement au cas Koulibaly aujourd’hui, c’est qu’Ancelotti ait menacé de le faire. Parce qu’effectivement, si ça se produit, ça risque d’avoir un impact important sur la lutte contre le racisme. Ça voudra dire qu’on a franchi un cap dans la non-acceptation de ça.

Le staff napolitain a demandé à trois reprises la suspension de la rencontre. Selon toi, l’arbitre aurait-il dû agir dans ce sens ?On a rencontré deux arbitres, un Italien et un Espagnol. L’arbitre italien qu’on a rencontré s’appelle Tiziano Pieri, il est à la retraite aujourd’hui, parce que tu te doutes bien que la Fédération italienne et le syndicat des arbitres ont refusé de laisser parler un arbitre en activité… On a donc pu s’entretenir avec Tiziano Pieri, qui fait autorité dans le milieu puisqu’il était arbitre international. Ce qu’il nous a expliqué, c’est que les arbitres appliquent le règlement, et plus précisément l’article 11 des lois du jeu en Italie. Cet article 11 donne la possibilité au reste du public de se dissocier de la minorité, du groupe auteur d’insultes racistes. En gros, s’il n’y a pas vraiment un suivi massif du stade, s’il n’y a pas une majorité qui se laisse aller à ce genre de manifestation, ça annule l’insulte raciste. Du coup, moi ça ne me surprend pas. Il y a eu trois interruptions de match pour demander à ce que le public cesse ses chants racistes, mais ça n’a pas été au-delà. Si l’arbitre se réfère à ce règlement, il considère que ça reste un incident mineur par rapport à un ensemble de supporters dans le stade et il ne va pas au-delà d’un simple avertissement. Quand on a rencontré cet arbitre il y a quelques mois, avant l’incident Koulibaly donc, on s’était basés sur ce qui était arrivé à Blaise Matuidi, le 6 janvier 2018, lorsqu’il avait été insulté à Cagliari. Il l’avait signalé à l’arbitre, mais celui-ci n’avait rien écrit dans le rapport. L’arbitre avait sûrement entendu les cris de singe, mais il a considéré que le public de Cagliari s’était dissocié du groupe qui faisait ça, donc pas d’incident. Pas d’incident, pas de rapport, pas de rapport, encore moins d’interruption de match… Je pense que c’est un peu dans cette logique que l’arbitre n’est pas intervenu.
Même s’il n’y a pas qu’en Italie qu’on assiste à ce genre de choses, il y a quand même une forte récurrence de l’autre côté des Alpes…On a constaté avec Olivier qu’il y avait une récurrence des actes racistes en Italie. On a posé cette question à Piara Powar, qui est le directeur exécutif d’une ONG qui s’appelle Football Against Racism in Europe, qui travaille avec la FIFA justement sur les questions de racisme. Son ONG recense tous les cas de racisme dans les championnats européens. Quand on l’a rencontré, il nous a expliqué qu’il y avait, dans les sociétés qui ne sont pas multiculturelles, une montée de l’extrême droite, du populisme, du nationalisme… C’est le cas dans les pays de l’Est par exemple, on a une recrudescence depuis 4-5 ans, parallèlement à la montée des extrêmes, des actes racistes dans les stades. Et ça arrive en Italie, parce qu’effectivement, c’est une société moins multiculturelle que peut l’être la France par exemple. Il nous explique aussi qu’il y a une nouvelle vague d’immigration en ce moment liée à la crise des migrants avec beaucoup de gens qui quittent l’Afrique pour arriver en Italie. Il y a un rejet de cette vague d’immigration avec, en même temps, le parti d’extrême droite qui est très puissant, celui de Matteo Salvini. Tout cela se traduit dans les stades. C’est pour ça qu’en Italie, on se retrouve avec effectivement plus d’actes qu’ailleurs.

Tu as analysé en profondeur le racisme dans le foot, allant même jusqu’à interviewer un « supporter » raciste. On a rencontré un supporter du club du Hellas Vérone, en deuxième division italienne. Lui, il ne se définit pas du tout comme raciste. En revanche, il se revendique fasciste, ça il en est fier. Ce qu’il nous explique, c’est que les cris de singe, les manifestations de racisme dans les stades, sont faits pour déstabiliser le joueur. C’est leur première motivation. La sienne et celle du virage de Vérone. Après, même si c’est pour déstabiliser le joueur, il y a quand même une conscience politique chez ces gens-là. Il nous décrit le virage dans lequel il a l’habitude d’aller. Effectivement, on y retrouve, sans englober tout le monde, des gens qui sont proches de groupuscules d’extrême droite comme CasaPound ou Forza Nuova. Ils ne se disent pas racistes, mais comme quelqu’un d’extrême droite pourrait dire « moi je suis pas d’extrême droite, mais je ne veux pas de ces gens » en parlant de ceux issus de la diversité. Lui, c’est exactement la même chose : « Je suis pas raciste, mais quand je vois un joueur noir, je lui fais un cri de singe pour le déstabiliser et puis, quelque part, c’est normal puisque le singe est noir, ces joueurs sont noirs, le singe monte à l’arbre et fait hou hou hou, nous, on reproduit ce cri pour déstabiliser le joueur. » Et il rajoute : « On fait ça pour le déstabiliser, mais en même temps, lui, il vient nous provoquer quand il a marqué un but en faisant tout un tas de gestes sous notre virage, sous notre nez. » Qu’est-ce qui t’a le plus choqué au cours de ton enquête ?Déjà, ça, ce que je viens de vous raconter, c’était assez choquant. Nous, on a voulu donner la parole à tout le monde. L’idée, ce n’était pas de donner une tribune à quelqu’un d’extrême droite, mais d’essayer de comprendre ce qu’il y a derrière ces cris de singe. Ça nous a frappés, c’était percutant. On n’en menait pas large déjà quand on est allés rencontrer ce mec chez lui. Entendre son discours et se dire qu’il justifie le fait de s’adonner à de tels actes, c’était vraiment dingue. Et puis après, ce qui nous a surpris, c’était le fait qu’un arbitre en Italie ait la possibilité de considérer que, parce qu’un stade ne suit pas, et qu’il n’y a pas un ensemble de gens qui poussent des cris racistes, l’incident, finalement, c’est comme s’il n’existait pas. Ça a même surpris un arbitre espagnol que l’on a été voir, Victor Esquinas Torres, qui était aux commandes du fameux match où Samuel Eto’o avait été victime de cris de singe et voulait quitter le terrain en 2006.

Comment les autorités du monde du foot s’organisent-elles pour endiguer ce phénomène que l’on ne veut plus voir ?On a donné la parole à Gianni Infantino, le président de la FIFA. Pour lui, la lutte contre le racisme s’articule autour de plusieurs axes et notamment le fait de faire des campagnes contre cela, de s’appuyer sur des personnalités du monde du foot pour éduquer. Après, on peut considérer que ces campagnes ne sont pas suffisantes. C’est ce que pensent d’ailleurs plusieurs joueurs interrogés. Ils considèrent que les dirigeants du foot mondial ne prennent pas assez leurs responsabilités. Et en même temps, d’après Infantino, les arbitres ont suffisamment d’armes en matière de règlements pour mettre fin aux agissements racistes. Il dit qu’ils ont fourni tout un arsenal de règles et que c’est aux fédérations de suivre et de mettre en place les préconisations qui leur ont été données. Il renvoie la balle aux différents pays. Et puis, il donne une responsabilité aux clubs eux-mêmes. Il dit que les clubs connaissent leurs supporters, que c’est d’abord à eux de les identifier et, s’il y a des racistes dans les tribunes, de les sortir. On peut considérer que c’est une position un peu légère, mais c’est la sienne…

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Propos recueillis par Julien Perthuis

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