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Marc Keller: « Le tournant de la saison a été la signature de Van Persie »
L'Angleterre est son deuxième amour. Passé par West Ham, Porsmouth et Blackburn, Marc Keller n'a jamais oublié la perfide Albion. Aujourd'hui consultant à Canal + dans l'émission The Specialists, le président du RC Strasbourg se montre intarissable lorsqu'il s'agit d'en parler. Les nouvelles règles financières, la love-story des Français à Newcastle ou encore Wenger dans la tourmente, l'ancien international tricolore passe en revue l'actualité de la Premier League.
Avec 12 points d’avance, Manchester United se dirige – sauf grosse surprise – vers un 20e sacre national. Logique ?Je dirai, la grande surprise pour moi, c’était quand même l’année dernière où Manchester United avait huit points d’avance à six journées de la fin. Lorsqu’ils ont été rattrapés sur le fil contre Manchester City. Je commentais le dernier match de la saison de United et je dois dire que c’était surprenant. D’ailleurs, au terme de la rencontre contre Sunderland, pendant deux-trois minutes, Sir Alex Ferguson et ses joueurs pensaient être champions car City n’avait pas encore marqué le dernier but. Cette année, United a extrêmement bien réussi l’inter-saison et, notamment, cette période estivale du mercato. En perdant le titre au goal average, Ferguson avait déclaré que cela n’arriverait plus jamais. Et pour cela, il a recruté peut-être le meilleur attaquant de Premier League : Robin van Persie. Le fait qu’il rejoigne United plutôt que City, je pense que cela a été un tournant décisif. Alors que du côté de City, il y a eu quelques hésitations quant au recrutement de certains joueurs. Roberto Mancini n’a pas recruté des joueurs de classe vraiment au-dessus.
Qu’a-t-il manqué à Manchester City cette saison, pourtant si souverain lors de l’exercice précédent ?L’année dernière, on a senti une équipe qui, malgré un handicap de huit points à six matchs du terme, avait un peu cette niaque, cette envie d’aller au bout. Pour l’instant, on n’a pas retrouvé un Manchester City aussi affamé. La venue de Van Persie chez le rival a également dû peser dans l’équipe, j’en suis certain. La seule recrue qui s’est vraiment imposée, et c’est d’ailleurs une surprise, est le jeune Serbe Nastasić en défense centrale. Alors que l’année dernière, la charnière de City était l’un des points forts avec Lescott et Kompany. C’était peut-être la meilleure défense d’Angleterre et Kompany le meilleur défenseur. Ils avaient vraiment fait une série magnifique avec aussi de très bons joueurs offensifs. D’après moi, les joueurs importants de la saison dernière étaient Kompany, Yaya Touré, indiscutablement, David Silva et Tévez qui est revenu sur la fin.
Cet échec n’incombe-t-il pas en grande partie à la gestion de Roberto Mancini ?Ça fait maintenant quatre années qu’il est à City et il est un entraîneur qui a ramené des succès en remettant Manchester City sur de bons rails. On dit toujours qu’ils ont de l’argent, beaucoup d’argent. Mais contrairement à ce qui se dit, l’argent a été souvent assez bien utilisé. Quand ils ont investi sur Nasri, Agüero, voire Tévez, Kompany, Touré… Ils ont quand même pris des joueurs relativement jeunes qui avaient éventuellement trois-quatre ans à faire pour amener City un peu plus haut. Ils ont bien investi ces dernières années. Cette saison, par contre, ils ont pris Rodwell et Javi García au milieu. Lorsque Yaya Touré et Gareth Barry sont vos titulaires en tant que milieux défensifs et que vous prenez ces deux nouveaux joueurs, vous ne prenez pas, à mon sens, des joueurs supérieurs à ces deux-là. C’était peut-être ça aujourd’hui la difficulté de City qui est d’avoir un effectif de très grande qualité. Mais plus une équipe monte en terme de qualité, plus il devient difficile de recruter. Mancini parlait sans doute pour cela souvent de De Rossi, Hazard, Van Persie… Du haut niveau mondial, quoi.
Derrière, Chelsea, Tottenham, Arsenal, voire les deux de la Mersey, se tirent la bourre. Quelles équipes semblent les plus armées pour décrocher les places européennes ?Je le dis depuis le début de saison sur le plateau de The Specialists. Logiquement, les deux équipes de Manchester vont terminer devant. Manchester United aura du mal à être rattrapé cette année. Ils ont tenu compte des erreurs de l’an et ils vont terminer premiers. La deuxième place, elle est quand même pour Manchester City. Et après, c’est extrêmement ouvert pour ce deuxième championnat qui est la course pour la 3e et 4e place. Je pense que ça va se décanter dans cet ordre au bout de quelques matchs : Chelsea, Arsenal et Tottenham. Everton, c’est une équipe aussi très intéressante qui travaille bien, mais de là à atteindre les places européennes…
« Plus possible de continuer avec des clubs qui perdent des centaines de millions »
Newcastle, qui ne briguera pas ces places cette saison, s’est amouraché des Français (10 dans l’effectif dont 5 arrivés au mercato hivernal). Ce qui a fait pas mal de sceptiques outre-Manche. Vous comprenez les doutes exprimés ?J’ai moi-même émis des doutes. Pas sur la qualité, mais sur la quantité. Quand Newcastle recrute Cabaye il y a un an, Debuchy, Yanga-Mbiwa et Sissoko, par exemple, on peut dire qu’il recrute pratiquement quatre joueurs figurant plus ou moins dans les 25 meilleurs joueurs français. Là-dessus, c’est plutôt un bon recrutement de la part d’un club où il y a un Chief scout, Graham Carr, qui connaît bien le football français. Cabaye, ils l’ont acheté pour 5 millions, Debuchy 6,5 millions, Sissoko c’est 2,5 millions et Yanga-Mbiwa 8 millions. Donc, grosso modo, pour 22 millions d’euros, ils ont acheté quatre Français à fort potentiel et assez jeunes. C’est le prix pratiquement de Rodwell à Manchester City (transféré chez les Citizens entre 15 et 20 millions d’euros, ndlr). Le côté un peu négatif, tout de même, c’est qu’il n’y en a pas que quatre ou cinq. Il y en a beaucoup plus. C’est un problème qu’il faut gérer dans le vestiaire, notamment en ce qui concerne la langue. C’est clair. Sur ce sujet, Newcastle doit faire attention.
Arsène Wenger a, lui, critiqué ces arrivées en masse, accusées de fausser la deuxième partie du championnat. Il a notamment affirmé que « le nombre de joueurs achetables dans cette période devrait être limité » . Est-ce un vrai problème soulevé ou le reproche d’un coach envieux ?
Arsène aurait pu aussi recruter s’il avait voulu. Il a l’argent. La difficulté pour Arsenal et Arsène Wenger, je pense, est de recruter des meilleurs joueurs que ce qu’ils ont. Parce qu’ils possèdent déjà de très bons joueurs. Pour en parler régulièrement avec lui, c’est compliqué. Ça, c’est d’un point général. D’un point de vue particulier, ce qu’Arsène dit, il ne le dit pas là parce que ça l’arrange. C’est quelque chose qui est répété par Arsène et par beaucoup de dirigeants de clubs depuis des années. À savoir, ne faudrait-il pas limiter les arrivées et les départs au mercato hivernal pour éviter de fausser un championnat. Ce n’est pas un problème conjoncturel pour Arsène de dire ça.
Son projet établi ne semble-t-il pas arriver à bout de souffle ?Les résultats d’Arsène Wenger depuis 16 ans à Arsenal, il n’y a rien, strictement rien à en redire. Parce que jusqu’en 2005, ils ont gagné régulièrement des titres. C’était vraiment exceptionnel. Depuis 2005, et malgré des titres non gagnés, ils se sont qualifiés chaque fois pour la Champions League. À partir du moment où on se qualifie quinze fois de suite pour la Ligue des champions, c’est qu’il a, à mon avis, atteint quelque part son objectif. Parce que dire aujourd’hui qu’Arsenal, avec l’effectif qu’ils ont, peut être champion depuis deux-trois ans, c’est extrêmement difficile. United et City ont pris de l’avance, bénéficient d’un effectif plus dense ainsi que de plus de moyens. Figurer parmi les deux premiers aujourd’hui me paraît compliqué. Je l’ai dit l’année dernière aussi, si Arsenal se qualifie chaque année en C1, Wenger aura réalisé une superbe saison.
Début février, les 20 clubs de Premier League se sont mis d’accord sur de nouvelles règles financières stipulant qu’ils ne pourront pas enregistrer un déficit cumulé de 123 millions d’euros lors des trois prochaines années, sous peine de perte de points. Une décision qui doit ravir Michel Platini et son si cher fair-play financier…C’est un premier pas qui démontre que les clubs anglais sont dans une logique de maîtrise des charges. Ils le font à un moment intelligent parce que les droits TV anglais ont explosé à des niveaux encore jamais vus. Et à côté de ça, il y a un certain nombre de clubs moyens anglais, je pense à Porsmouth à une époque ou West Ham, où à un moment donné la masse salariale dépassait le chiffre d’affaires. À partir du moment où le chiffre d’affaires est rattrapé par la masse salariale, cela signifie que ces clubs deviennent financièrement ingérables. Il y a une prise de conscience aujourd’hui en Angleterre afin d’essayer de maîtriser la partie financière des clubs. Même si ce n’est pas aussi strict qu’en France ou aussi poussé que ce que voudrait Michel Platini avec le fair-play financier, c’est une première étape vers une gestion financière stable. Ce n’était plus possible de continuer avec des clubs qui perdent des dizaines, des centaines de millions chaque année.
« Le club référence est pour moi le Bayern Munich »
Un assainissement économique dont la Bundesliga fait déjà preuve…J’ai une préférence pour ces deux championnats que je ne connais pas parfaitement, même si j’y ai joué. L’Angleterre pour des raisons que tout le monde connaît. Et l’Allemagne. Même si je trouve que la Bundesliga est encore aujourd’hui sous-cotée pour le public français notamment. Pourquoi j’aime bien le championnat allemand ? Parce qu’il fait 45 000 personnes de moyenne à chaque match. Parce que tous les stades ont été refaits et que ça était une réussite rapportant des bénéfices. Avec un football engagé et beaucoup de buts. C’est, surtout, en moyenne le football le plus sain en Europe. Parce que d’une manière générale, les clubs allemands sont des clubs qui sont sains financièrement. Pourquoi ? Parce que contrairement à d’autres pays, d’ailleurs à l’Angleterre, les droits TV sont corrects. Mais on ne peut pas les comparer à la Premier League. La grande chance des clubs allemands, c’est qu’ils s’appuient sur des recettes récurrentes importantes mais très équilibrées. Les recettes stades, les recettes sponsoring, les recettes des droits TV, ça représente à chaque fois globalement 25%. C’est très équilibré. Et comme les clubs allemands s’appuient sur des stades pleins, sur des sponsors en constante augmentation… Finalement, ce sont des clubs sains. L’autre avantage des clubs allemands est que la majorité de l’actionnariat dans les clubs est détenu par l’association mère, autrement dit l’association support. Il y a une stabilité, une tradition, une continuité dans le management des clubs. Un investisseur étranger ne peut, par exemple, prendre la majorité au Bayern ou à Dortmund. Le club référence est pour moi le Bayern Munich, qui n’est pas le plus riche en Europe. Il fait 350 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, 50 millions de marchandising par an, environ 80 millions de sponsor par an, 100 millions de billetterie. Donc à chaque début de nouvelle saison, le Bayern Munich peut s’appuyer sur 250-300 millions d’euros de chiffre d’affaires garanti.
Mais concrètement, cette mesure peut-elle bousculer sur le long terme la hiérarchie actuelle du Big Four ?Faudrait voir comment le fair-play financier de Michel Platini va être mis en place, notamment pour des équipes comme City ou Chelsea par exemple. Si le fair-play financier est respecté à la virgule près, il pourrait peut-être effectivement y avoir des changements. Mais je pense que qu’il y a peu de chances que ça change avec l’hégémonie des deux Manchester, le Chelsea d’Abramovitch, Arsenal parce qu’ils ont un club sain. Derrière, Tottenham, voire Liverpool. Grosso modo, on va tourner autour de ça quand même. Malgré tout, des clubs, tels que Manchester United, gagnent de l’argent chaque année, génèrent du profit. Après, il y a une dette, mais ça c’est un autre débat. Mais c’est sûr que la logique de Manchester City et Chelsea est différente de celle d’Arsenal. Wenger espérait beaucoup avec le fair-play financier. Qu’est-ce que stipule le fair-play financier ? Une règle qui dit que les clubs n’ont pas le droit de dépenser plus que ce qu’ils reçoivent en recettes. Pour qu’il n’y ait pas de déséquilibre et pour que ce ne soit pas un actionnaire qui comble les déficits. Si cela était respecté au mot près, Arsenal aurait assurément de l’avance sur City ou Chelsea.
En parallèle, les droits TV se sont envolés avec un accord historique de 3,7 milliards d’euros entre la Ligue anglaise de football (EPL) et les différents diffuseurs de la Premier League pour la période 2013-2016. C’est le prix à payer pour le championnat considéré comme le meilleur au monde ?Tout le monde veut ce championnat, donc les gens sont prêts à payer cher pour avoir le championnat le plus médiatisé. Est-ce que c’est juste ou pas juste ? Pourquoi la France ne génère que 600 ou 700 millions d’euros de recettes de droits télé et la Premier League, maintenant cinq ou six fois plus ? C’est simplement une logique qui obéit à la loi de l’offre et de la demande. La mesure dont vous parliez où les clubs cherchent à limiter les pertes tombe à pic. Avec l’augmentation des droits TV, il y aura plus de revenus dans les clubs. Si les clubs anglais continuent à dépenser tout l’argent qu’ils reçoivent en plus dans les salaires, vous pouvez imaginer ce que les salaires vont représenter les années à venir en Angleterre. Il était temps de le faire.
Championnat le plus populaire, mais qui rayonne moins sur la scène européenne…Mis à part Barcelone qui a archi-dominé le football européen ces dernières années, la Ligue des champions reste extrêmement serrée. On a vu que Bayern avait réussi à se hisser deux fois en finale sur les trois dernières années, mais ne l’a pas gagnée. Manchester United a les moyens de la remporter. Ils l’ont perdue à deux reprises (2009 et 2011, ndlr) parce qu’ils ont affronté Barcelone. Chelsea l’a soulevée la saison dernière, alors qu’il ne partait pas favori. Cette année, c’est mal engagé pour Arsenal. En fonction des tirages, parce que ça compte, en fonction de la forme, des méformes et des blessures à un moment clé, une dizaine de clubs est capable de la remporter. Et les clubs anglais en font partie.
Sinon, quel votre joueur-frisson de cette cuvée 2012/2013 en Premier League ?Je ne donnerai pas qu’un seul nom. Ce que j’aime bien voir, c’est la durée. Sur les deux, trois dernières saisons, il y a quelques joueurs qui m’interpellent. Yaya Touré à Manchester City. Je l’ai connu à Monaco et les gens disaient qu’ils n’avaient pas le coffre, qu’il était incapable de répéter les efforts. C’est un joueur qui a franchi des caps et qui est désormais exceptionnel. Bien sûr, j’ai beaucoup apprécié Van Persie à Arsenal et aujourd’hui à Manchester United. Bale arrive aussi à haut niveau cette saison. J’ai également une petite faiblesse pour les Espagnols. Forcément, je pense à Mata, Cazorla, David Silva… Ce type de joueur était une interrogation lorsqu’ils sont arrivés en Angleterre. On se disait : est-ce qu’ils sont capables de s’imposer avec la vitesse, le physique ? Finalement, on voit que lorsqu’on est intelligent et technique, on peut être titulaire partout. Mais s’il y avait un joueur que je devais retenir, une image, c’est celle de Wayne Rooney à Manchester United. Sur les derniers matchs à domicile, quand l’équipe est en difficulté ou gagne 2-0, pour préserver le score, il joue à côté de Patrice Évra au poste d’arrière gauche. Voir un joueur de classe mondiale se démener, se mettre au service du collectif pour que United gagne, je trouve que c’est quelque chose de magnifique.
Propos recueillis par Romain Duchâteau