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Marc Collat : « Le nouveau format de qualification au Mondial est proche du scandale »

Propos recueillis par Florian Lefèvre
6 minutes
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Pour la première fois depuis son remarquable parcours en Gold Cup cet été (avec une demi-finale face au Mexique perdue seulement en prolongation), l’équipe nationale d’Haïti retrouvera mardi soir son public à Port-au-Prince, face à Curaçao, en Ligue des nations. Se profilera ensuite un véritable marathon pour avoir une maigre chance d’aller au Qatar en 2022. Le sélectionneur Marc Collat revient sur son expérience à la tête des Grenadiers et explique pourquoi les petites nations sont lésées dans le nouveau système de qualification à la Coupe du monde dans la zone CONCACAF.

le 11/09/2019 à 00:00
Ligue des nations de la CONCACAF

Vous avez emmené Haïti en demi-finales de la Gold Cup en juillet dernier. Qu’est-ce qui a fait la force de votre équipe ? On a de nombreux joueurs qui évoluent à un niveau très bas : troisième, quatrième division, certains même ne jouent pas… Ils avaient des choses à prouver contre des sélections comme le Costa Rica, le Canada ou le Mexique, qui sont dotées de joueurs dans des équipes prestigieuses. On avait aussi un retour de l’effervescence en Haïti, c’était une force supplémentaire. Les joueurs haïtiens sont très croyants. Les voir prier à chaque entraînement et avant chaque match, ce sont des moments très forts où l’on ressent vraiment que ces gars vont se battre les uns pour les autres. C’est ce que je retiendrai et sur quoi je vais m’appuyer pour les échéances futures.

Revenons en arrière. Votre premier match en tant que sélectionneur d’Haïti, c’était à Mitrovica, en 2014, et c’était aussi le premier match officiel de l’équipe nationale du Kosovo. Un rendez-vous particulier.

Au Kosovo, on était logés à 20 km du stade où on jouait. Tout le long du chemin, on a été acclamés par les gens qui étaient reconnaissants envers Haïti de disputer ce match.

Beaucoup d’équipes avaient refusé d’aller jouer au Kosovo. Nous, on a accepté, non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’on avait et on a toujours besoin de rencontres internationales. Le problème, c’est que certains de mes joueurs n’ont pas eu l’autorisation de venir, étant donné que ce n’était pas une date FIFA. Donc, je me suis retrouvé avec quinze joueurs, dont un seul gardien. Les dirigeants auraient pu garnir un stade de 50 000 places, mais ils ont préféré faire le match dans un stade de 20 000 places qui était le lieu où se sont déroulées ces atrocités, pour rendre hommage à tous ces gens qui ont souffert. On était logés à 20 km du stade où on jouait. Tout le long du chemin, on a été acclamés par les gens qui étaient reconnaissants envers Haïti de disputer ce match. Après coup, on était très fiers parce qu’on a vu tous ces gens qui sortaient d’une guerre terrible, on a senti le poids que pouvait leur apporter un match de football. Il y avait énormément de fraternisation à la fin de ce match. On est restés sur le terrain avec les joueurs kosovars, et les spectateurs ont applaudi de la même façon les deux équipes.

Pourquoi votre premier mandat de sélectionneur s’est arrêté fin 2015 avec Haïti ?Pour deux raisons : c’était la fin de mon contrat, et de mon côté, je ne sentais pas la volonté de la Fédération de continuer avec moi et de se donner les moyens de progresser. Ce qui a orienté les dirigeants à changer, c’est que l’on a perdu nos deux premiers matchs des éliminatoires du Mondial 2018. Les dirigeants ont succombé à la pression du public et de la presse qui demandaient mon départ.

Le Tribunal arbitral du sport vient de donner raison à votre prédécesseur Patrice Neveu dans le litige qui l’opposait à la Fédération d’Haïti pour salaires impayés. Est-ce que vous êtes parti en 2015 car vous aussi ne receviez plus vos salaires ?Moi, j’ai toujours été payé. Bon, je ne vous cache pas que ce n’est pas toujours le 29 du mois…

Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir deux ans plus tard ?Les dirigeants m’ont dit qu’ils étaient prêts à répondre à mes exigences. À savoir préparer les événements dans de bonnes conditions. La Gold Cup est un bon exemple. Il y a eu de gros efforts de la part de la Fédération pour faire venir les joueurs le plus tôt possible. Des joueurs ont fait le sacrifice de semaines de vacances. Dès le 26 mai, je pouvais compter sur 14 joueurs pour faire ma préparation. (La compétition s’est déroulée du 15 juin au 7 juillet 2019, N.D.L.R.)

Vous habitez à Haïti ?C’est du 50/50 entre la France, où j’habite à Reims, et Haïti, où je vais tous les jours au centre d’entraînement. C’est important de passer du temps à Haïti parce qu’il y a un championnat, avec des joueurs très jeunes, qui mérite toute mon attention. Ce sont ceux-là, qui ont entre 18 et 23 ans, sur lesquels on va s’appuyer pour l’avenir. Je m’intéresse à ces joueurs-là pour leur dégoter des essais en France.

À quoi ressemble votre vie à Haïti en dehors de vos fonctions de sélectionneur ?Il y a une circulation impossible à Haïti. Pour faire 15km, vous mettez une heure et demie. Par la force des choses, on vit en vase clos. Moi, j’habite dans une résidence fermée où on peut aller à la piscine, jouer au tennis et courir. En dehors des entraînements quotidiens, je sors très peu – sauf pour aller voir les matchs ou dîner de temps en temps au restaurant.

À quel point les gens aiment le foot en Haïti ?

Haïti est une exception : c’est le seul pays de la zone où le football est numéro un.

Pour moi, Haïti, c’est un pays africain. Dans les Caraïbes, tous les pays jouent au baseball, voire au football américain, tout a été américanisé, et Haïti est une exception : c’est le seul pays de la zone où le football est numéro un.

Dans son histoire, Haïti a disputé une seule Coupe du monde, en 1974(1). Quel est l’héritage laissé par cette génération ? Les anciens en parlent souvent, surtout le président de la Fédération Yves Jean-Bart. C’est un souvenir malheureusement lointain, mais ce n’est pas avec la nouvelle façon d’organiser les éliminatoires de la Coupe du monde dans la zone CONCACAF qu’on risque de s’y retrouver… Le nouveau format est proche du scandale.

Pourquoi ?Il protège les grandes équipes de la CONCACAF. À partir de 2020, les six équipes nationales les mieux classées au ranking FIFA se disputeront les trois premiers tickets pour aller à la Coupe du monde. Alors qu’il y a quand même 41 membres de la zone CONCACAF ! (Le Mexique, les USA, le Costa Rica, la Jamaïque, le Honduras et le Salvador sont actuellement les mieux classés au dernier pointage du classement FIFA. Les six meilleures équipes seront sélectionnées sur la base du classement en juin 2020, N.D.L.R.)

Et quel sera le moyen de se qualifier pour les sélections qui ne figureront pas dans les six, ce qui devrait être le cas d’Haïti, même si vous gagnez tous vos prochains matchs ?En tout, la CONCACAF a droit à trois places et demie, donc les 35 pays restants se disputeront seulement une « demi-place » . Il y aura d’abord des groupes de quatre, puis une phase à élimination directe : quart de finale, demi-finale, finale… Et le vainqueur de la finale aura l’honneur de rencontrer le quatrième du groupe de six. Et le vainqueur de cette confrontation pourra enfin rencontrer un pays issu de la confédération océanique ou asiatique. Bref, un parcours du combattant alors que de l’autre côté, les États-Unis ou le Mexique ont une voie royale. Je sais que tous les pays qui se sentent lésés ont envoyé un courrier à la CONCACAF. Si jamais les choses n’évoluent pas, il faudra tout faire pour finir parmi les six…

Herve Bazile et Steeven Saba.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Florian Lefèvre

(1) À lire : la rubrique légende consacrée à Haïti 74 dans le SO FOOT #164

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