- Espagne
- FC Barcelone
Marc Ciria i Roig : « Le risque est que le Barça devienne une société anonyme »
Les finances du Barça et ses innombrables leviers ont été le hit de l'été, permettant le recrutement de stars comme Robert Lewandowski ou Jules Koundé. Seulement, ces ventes de patrimoine interrogent. Pourraient-elles entraîner le Barça vers la faillite ? Ces ventes d'actifs sont-elles vraiment anodines ? Enfin, ce système viendrait-il remettre en cause la financiarisation actuelle du monde du football ? Marc Ciria i Roig, directeur général de Diagonal Inversiones et spécialiste des finances blaugrana, répond.
Pourquoi le Barça était-il obligé de passer par ce drôle d’été ?Le Barça avait, de la direction précédente, une dette de 1,2 milliard d’euros et un problème très grave de liquidités à court terme. La seule chose que pouvait faire le club la saison passée, c’était restructurer sa dette avec le prêt Goldman Sachs pour passer la dette de court à long terme et espérer que le budget soit respecté cet été. Ce ne fut pas le cas, et le Barça, dans la vie courante, continue de perdre de l’argent. Il priorise d’être à nouveau compétitif. La direction pense que cela engendrera suffisamment de revenus pour payer la dette et les affaires courantes, ils ont donc signé plusieurs joueurs pour pouvoir envisager de gagner tous les titres. Comment ont-ils fait ? Aujourd’hui, avec une dette estimée à 1,4 milliard d’euros, le seul choix était de vendre une partie du patrimoine. Mais quel est le patrimoine intéressant, pour les investisseurs ? Les droits télévision qui sont constants, toujours en hausse et sûrs. Pour le club, cela a permis de finir la saison passée dans le vert et de signer des joueurs. Les autres patrimoines de club qui intéressent les entrepreneurs sont le merchandising ou les plateformes numériques (NFT, tokens…). Donc le Barça a vendu 49% de Barça Studios à socios.com et Jaume Roures contre 200 millions, le club encaissant 767 millions d’euros.
On peut dire que le club est sauvé ?Non, le Barça est dans une situation économique grave. Dans ce que le club projette pour la saison prochaine, il y a 1,3 milliard d’euros de revenus… mais 900 millions d’euros de dépense. C’est la dépense la plus élevée de n’importe quelle institution sportive du monde, et elle est totalement impossible à assumer. Même avec 1,3 milliard de revenus, dont la majeure partie vient de cette vente d’actifs. En temps normal, le Barça est capable d’engendrer entre 700 et 800 millions d’euros. Donc si tu dépenses 900 millions et que tu en reçois habituellement 800, tu perds 100 millions d’euros par an. Donc aujourd’hui, le Barça a toujours la même dette et un bilan comptable de -100 millions par saison qu’il faut recouvrir en vendant encore plus d’actifs.
Y avait-il d’autres solutions ?C’est une solution à court terme. À long terme, il faut que le Barça devienne un club viable en économisant ses coûts : en masse salariale, et en dépenses non sportives (des dirigeants du club). Aujourd’hui, ces deux postes de dépenses coûtent plus cher, alors que le club devrait baisser ses coûts. Sur la masse salariale, le Barça doit économiser 200 millions d’euros pour être entre 400 et 450 millions. Aujourd’hui, elle est à 600. La seule solution pour payer les salaires et être de nouveau compétitif après l’échec de la réduction des dépenses la saison passée, c’était la vente d’actifs. Cette vente signifie que chaque saison, le club recevra 45 millions d’euros en moins. Mais ça ne me préoccupe pas, parce que cela peut se combler autrement : en sponsors, en partenaires, en engagement des supporters… Ce qui me préoccupe est qu’aujourd’hui, le club vit au-dessus de ses moyens au quotidien.
Est-ce vraiment viable ?Si le Barça commence à gagner des titres cette année, crée plus d’engagements avec les fans et est capable de le monétiser, il va engendrer beaucoup de revenus. Mais il y aura toujours ces dépenses qu’il faut restructurer, pour que les revenus soient supérieurs à ces dépenses et que le club soit viable. Sinon, il faudra vendre du patrimoine chaque saison. Un patrimoine qui, au fur et à mesure, va se consumer. Il faut que les revenus soient supérieurs aux dépenses sans avoir à recourir constamment à la vente d’actifs parce que le jour où la bulle spéculative du football explose, ils seront les premiers à tomber. Le risque est qu’à terme, le club devienne une société anonyme. Je pense que le Barça a le patrimoine suffisant pour rester un club appartenant à ses socios, mais pour ça, il faut que le club se professionnalise dans sa gestion financière.
Pourquoi parle-t-on autant de ces ventes d’actifs du Barça ?Je pense que les gens sont énervés contre le Barça, certains espérant que le Barça reste en traversée du désert pendant des années. Mais le club est si puissant et avec tant d’histoire qu’en un an, il peut se retourner. En 124 ans d’existence, il a engrangé énormément de richesses et de patrimoine. Des clubs n’ont pas forcément d’histoire, comme le PSG qui est un club-État, alors que le Barça a été un club important pendant des années. Avec tous ces biens, il peut en utiliser quelques-uns pour revenir sur le devant de la scène. La valeur patrimoniale du Barça a baissé, parce que le club a dû renoncer à une partie de son patrimoine pour pouvoir signer des recrues. Les socios ont, ensemble, décidé en assemblée de vendre certains actifs pour être de nouveau compétitif. Et ce que décident les socios, il faut le respecter.
Est-ce que d’autres clubs pourraient suivre cette direction ?Oui, parce qu’il y a ce qu’on appelle « les partenaires stratégiques » . Si tu as une entreprise qui se porte très bien, que tu as un département qui pourrait se développer encore plus et que tu manques de talents, tu vas chercher des partenaires spécialisés qui vont développer cette partie stratégique. Le Barça n’a pas été capable d’avoir les meilleurs talents comme dirigeants au sommet du club. Donc concernant les sujets du développement numérique et de l’engagement des fans (leur monétisation et interaction), ce que vont faire beaucoup de clubs, c’est chercher des partenaires qui peuvent développer des revenus que toi, en tant que club de football, tu n’aurais jamais réussi à engendrer. Barça Studios perdait de l’argent chaque saison jusqu’à maintenant, et avec cette vente à socios.com, qui est un leader du marché, ils proposent au club des liquidités et des revenus beaucoup plus importants que si c’était le club lui-même qui gérait ça. Le risque résidera dans le choix du partenaire.
C’est donc ça, le nouveau monde du football ?Avant, un club de football n’avait que quelques branches différentes en son sein : les droits télévision, le développement… Depuis, les clubs ont formé des entreprises qui gèrent ces différents secteurs elles-mêmes. Elles ont un budget, un plan financier et des bénéfices ou des pertes. Si un club comme le Barça n’a pas d’entreprises compétitives, il va petit à petit perdre des fans, de l’engagement, des revenus de match, de visites de musée… C’est une spirale qui rend pauvre et qui force à vendre une partie de l’entreprise, en cherchant des partenaires qui vont apporter du cash. Tous les clubs qui ont des entreprises spécialisées et qui n’ont pas le talent nécessaire en interne pour développer ces aspects sont condamnés à passer par là, un jour.
Y a-t-il un risque de voir disparaître des clubs comme le Barça, qui n’ont ni milliardaire ni État à leurs côtés ?Pour concurrencer ces clubs, le Barça doit s’appuyer sur la Masia et ne payer que trois ou quatre éléments supplémentaires. S’il cherche à rivaliser pour acheter des joueurs avec des cheikhs, il sera toujours perdant. Et s’il dépend des investisseurs extérieurs pour acheter ces joueurs, il est condamné à souffrir en cas d’explosion de la bulle. Dans un monde où le Barça est à l’équilibre entre revenus et dépenses, le système de socios paraît tout de même plus viable que les clubs qui dépendent de familles ou d’investisseurs. Ils dépendent de la santé économique de la propre entreprise de leurs propriétaires, ou de la volonté ou non d’investir dans le club ou de le quitter. Le Barça a ses propres revenus, il est indépendant. Mais aujourd’hui, s’il doit vendre des actifs pour équilibrer son bilan, c’est un problème.
Et d’où vient l’argent du Barça ?De ses socios(5% du budget), de sa vingtaine de sponsors dont Spotify majoritairement cette saison, des jours de match, des visites du musée, du Camp Nou, du merchandising. Le Barça engendre énormément de richesses de lui-même. Il y a des stratégies pour que le club engendre plus et aujourd’hui, il y a donc des investisseurs qui sont entrés dans des entreprises appartenant au club. Le Barça ne peut pas vendre d’actions du club, sinon il faudrait transformer le club en société anonyme. Il ne vend que des parts d’entreprises du groupe Barça.
Propos recueillis par Anna Carreau