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Maradona, Di Stéfano, Messi : le génie argentin

Par Chérif Ghemmour
5 minutes
Maradona, Di Stéfano, Messi : le génie argentin

On n’arrêtait pas de comparer Diego à Lionel. En Argentine, grand pays de ballon, on comparait aussi, en plus, Diego à Alfredo Di Stéfano : qui était le plus grand ? Réponse : c’est le football argentin qui est le plus grand. Grâce à ses trois étoiles...

La planète foot est faite de trinités qui définissent leurs pays. Les Pays-Bas, c’est la grâce résumée à Cruyff, Van Basten et Bergkamp. L’Allemagne, c’est l’efficacité organisationnelle déclinée à travers Beckenbauer, Netzer, Müller (Gerd), soit un 5, un 10, un 9 et boum ! Le Brésil aligne Pelé, Garrincha et Ronaldo, soit la liberté hédoniste d’un foot qui a mis du temps à intégrer ses Noirs et qui est joué comme une fête. L’Argentine, c’est tout simplement le génie. Di Stéfano, Maradona et Messi. Soit le Père, le Fils et le simple d’Esprit. Dans un pays de foot qui sacralise les grands numéros 9 (de Kempès à Agüero en passant par Batistuta), Alfredo, Diego et Lionel s’affichent eux aussi comme des grands buteurs, mais d’un type différent. Pour rappel, Di Stéfano, c’est 513 buts en clubs et sélection, Maradona 350, et Messi, plus de 720, série en cours… Malgré leurs statistiques impressionnantes de véritables machines à marquer, ils n’affichent pas le profil de renards de surface, en finisseurs carnassiers isolés face au but. Nos trois cracks évoluent dans un registre plus large, comme en retrait, avec une dimension d’organisateur évidente pour les deux aînés tout au long de leur carrière, mais plus restreinte pour Léo, après l’effacement progressif de Xavi puis d’Iniesta.

Di Stéfano, Maradona et Messi sur le tard incarnent le concept très italien d’uomo squadra, (homme équipe), ou plutôt joueur-équipe. C’est par cette définition qu’on avait caractérisé le registre protéiforme de Di Stéfano, un vrai buteur, certes, mais qui avait fait exploser les frontières du territoire de l’avant-centre. Capable de tout régenter, en décrochant souvent très bas pour défendre et organiser le jeu, il était selon le journaliste et sélectionneur français Gabriel Hanot « une tactique à lui tout seul ». Diego Maradona s’inscrit en droite ligne comme le successeur de la « Flèche blonde ». Au top de sa forme, notamment au Mundial 1986, le Pibe évolue dans tous les registres : attaquant, buteur, finisseur, meneur de jeu en vrai 10, mais aussi relayeur et récupérateur, sans oublier de défendre dans ses propres 16 mètres ! Comme Alfred, il est le régisseur en chef dans la salle des machines du vaisseau albiceleste. Avec le Barça et la sélection argentine, Messi est devenu lui aussi le centre névralgique de ces deux équipes dont le jeu passe en grande partie par lui. Sauf que, plus attiré vers le but et privé des capacités physiques hors normes (endurance, répétition des efforts) de ses deux illustres aînés, son champ d’action est plus limité, au point de ne pas défendre.

Diego, le maillon fort !

Reste que… Léo demeure l’égal d’Alfredo et Diego dans la difficulté tactique imposée à l’adversaire. Depuis les années 1950, les entraîneurs adverses ont dû « inventer » des plans anti-Stéfano, anti-Maradona et anti-Messi pour les neutraliser. Parce que les trois as possèdent l’arme fatale du dribble, parfaite pour déstabiliser un bloc sur une prise de balle, sur un changement de direction ou sur une accélération. Là se niche sûrement le génie argentin en football : l’art du dribble, imprévisible et mystérieux, qui solutionne les problèmes, à l’inspiration, au feeling, sans schémas préétablis, mais toujours dans le sens du collectif. Dans son but du siècle contre l’Angleterre au Mundial 1986, le slalom géant victorieux de Diego a associé dans sa réalisation la course parallèle en leurre de Burruchaga vers les cages de Shilton. Quatre ans plus tard, face au Brésil en 8es du Mondiale italien, la série de dribbles de Diego au milieu du terrain était directement connectée à la transmission finale vers Canniggia, parti marquer le but victorieux (1-0), et non un raid perso en solitaire.

Un autre trait commun rallie les trois génies : celui d’une certaine extraterritorialité. Même s’ils sont nés en Argentine et qu’ils ont joué pour la sélection nationale, c’est en Europe qu’ils ont passé l’essentiel de leur carrière de club (l’intégralité pour Léo) et qu’ils y ont gagné une identité très particulière. Le Madridiste Alfredo Di Stéfano a fini espagnol, jouant même plus souvent pour la Roja que pour l’Albiceleste. Diego est devenu spécifiquement napolitain de par son bail de 7 ans, les succès offerts au Napoli et l’amour éternel qu’il a suscité auprès du peuple de la cité partenopea. Lionel Messi est catalan, point barre ! Diego Maradona est resté le plus argentin des trois. Durant sa carrière, commencée et achevée au pays, son lien direct et permanent avec l’Albiceleste l’a identifié pour toujours comme le grand héros national, maillot ciel et blanc au corps, brassard de capitan au bras et numéro 10 au dos. Rétrospectivement, son triomphe personnel au Mundial 1986 est venu sanctifier la trinité qui l’associe à Di Stéfano et Messi, déroulant un fil invisible glorieux qui les relie tous les trois. Sans couronne mondiale 1986, c’est un défenseur, Daniel Passarella, capitaine de l’Argentine vainqueur de la Coupe du monde 1978, qui serait aujourd’hui la figure tutélaire du foot de son pays… Di Stéfano, Maradona et Messi n’apparaîtraient que comme footballeurs d’exception, certes, mais isolés dans leur époque. Maradona a laissé à Messi le lourd fardeau « d’homme-équipe qui fait triompher le pays en Coupe du monde ». En 2022, il aura une dernière occasion d’y parvenir.

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