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Ugarte au trésor

Par Thomas Broggini, à Montevideo
11 minutes

Cette semaine, le Paris Saint-Germain doit présenter sa première recrue officielle de l'été : Manuel Ugarte. Un petit gars de 22 ans débarquant du Sporting, mais qui a déjà tout d'un grand aux yeux de ceux qui l'ont vu grandir à Montevideo, capitale de l'Uruguay. Portrait.

Vizela, 05/26/2023 - Futebol Clube Vizela hosted Sporting Clube de Portugal tonight, at Estádio do Futebol Clube Vizela, in a match for the 34th round of the 2022/23 I Liga. Ugarte (Ivan Del Val/Global Images) - Photo by Icon sport
Vizela, 05/26/2023 - Futebol Clube Vizela hosted Sporting Clube de Portugal tonight, at Estádio do Futebol Clube Vizela, in a match for the 34th round of the 2022/23 I Liga. Ugarte (Ivan Del Val/Global Images) - Photo by Icon sport

Il y a un moulin à l’abandon, des bâtiments de brique ocre, quelques graffitis tracés à la va-vite. Il y a de hautes grues qui cachent la vue, une autoroute, les pétroliers immobilisés dans la baie de Montevideo. Et il y a un stade presque invisible au milieu de ce décor froid, un jour d’automne dans l’hémisphère Sud, dans le quartier ouvrier de Capurro, à l’ouest de la capitale de l’Uruguay. Il faut prudemment avancer sur un chemin caillouteux, le long de la quatre-voies, grimper dix-sept marches bien trop hautes pour le commun des mortels, jeter un coup d’œil à travers la grille rouillée, apercevoir la pelouse bosselée, les tribunes minuscules, les vestiaires à l’ancienne, la boue devant les buts, deux chiens qui montent fièrement la garde, et enfin constater à la lecture du panneau que la destination est bien la bonne, malgré un petit moment de doute : « Campo de Deportes del Centro Atlético Fénix ».

L’histoire du milieu Manuel Ugarte dans le monde professionnel commence ici, à des années-lumière du PSG qu’il vient de rejoindre en provenance du Sporting Portugal. « On est un petit club à la grande histoire », sourit Álvaro Chijane, le secrétaire général d’une institution fondée en 1916, depuis les gradins de l’enceinte de 5000 places, avec vue sur le Río de la Plata et les buildings du centre historique. Habitué à lutter pour le maintien, le Centro Atlético Fénix totalise six titres de deuxième division à son palmarès, deux participations à la Copa Libertadores, quatre à la Copa Sudamericana. Il raconte un foot local qui manque de moyens et d’infrastructures dignes de ce nom, mais pas de talents, comme le souligne la récente victoire de l’Uruguay lors de la Coupe du monde U20.

Produit du système

Ici, tous les mômes, futurs joyaux ou futurs anonymes, empruntent le même chemin : celui balisé par l’Organisation nationale du football infantile (ONFI), la structure publique chargée de préformer les gamins jusqu’à leurs 13 printemps. La stratégie : placer les jeunes dans un environnement exigeant et compétitif, dès le commencement, afin d’en faire de féroces compétiteurs. À 5 piges, Ugarte tape donc déjà ses premiers ballons dans l’un de ces 680 clubs disséminés dans tout le pays. Conseillé par un ami, son père choisit City Park, à quelques pâtés de maisons du domicile familial situé à Ciudad de la Costa, en bordure de la capitale. « J’ai fait une première année comme défenseur, avec mon frère aîné (Hernán), puis j’ai alterné entre les postes de milieu avancé et d’attaquant tout au long de mon enfance, se souvient le nouveau joueur du PSG (22 ans), de retour au bercail durant ses vacances. En Uruguay, tu joues des championnats avec montée et descente dès le moment où tu prends ta première licence. » Ce qui crée donc une culture de la gagne, « décuple ta faim de réussir », mais pousse aussi certains à lâcher l’affaire « car ils ne prennent pas de plaisir », constate-t-il.

En Uruguay, tu joues des championnats avec montée et descente dès le moment où tu prends ta première licence. Ça décuple ta faim de réussir.

Manuel Ugarte

« Manu était plus grand que les autres à cette époque (1,82 m aujourd’hui), il attaquait beaucoup, marquait tous les buts et s’énervait quand il perdait, se remémore tendrement Gabriel Grecco, qui a coaché Ugarte entre ses 9 et 13 ans. Il était surtout déjà très intelligent, sur le terrain et en dehors. » « Manu », comme tout le monde l’appelle, est alors un écolier facile et sans histoire, proche de son frangin, fan de Lionel Messi et Juan Román Riquelme. « Un garçon bien éduqué, toujours heureux, toujours respectueux », résument unanimement ceux qui le connaissent, saluant le rôle des parents, une mère institutrice, un père vendeur dans le domaine de la restauration. À 11 ans, il tape dans l’œil de plusieurs entraîneurs, lors d’un tournoi organisé à Rosario en Argentine. « Il a été élu meilleur joueur de la compétition, alors qu’il évoluait face à des jeunes deux ou trois ans plus âgés que lui, tu sentais qu’il se passait un truc », raconte Miguel, son papa.

En D1 à 15 ans

Logiquement, il intègre le centre de formation d’un club professionnel, qui aurait pu être Wanderers, avec qui City Park nouait alors un partenariat, ou le réputé Defensor Sporting, chez qui il effectue des tests. « Mais j’ai choisi Fénix pour être avec mes amis », avoue-t-il aujourd’hui. Un cadre tranquille pour grandir, dans lequel « il est plus facile pour un jeune d’avoir du temps de jeu qu’à Peñarol ou Nacional », les deux géants du pays. Lors de sa deuxième année au club, il rencontre un technicien qui aura un « impact énorme sur sa carrière », dixit le paternel : Marcelo Broli, l’homme qui vient de mener l’Uruguay au titre de champion du monde U20 et lui prédit un avenir doré.

Ça ne rate pas : le 4 décembre 2016, il fait ses premiers pas chez les pros, lors d’un match à domicile contre Danubio. À 15 ans et 237 jours. « Je ne comprenais rien, se marre-t-il avec le recul. À 4-1, on m’a appelé pour faire le changement (à la 83e minute, à la place d’Agustín Canobbio, NDLR). J’étais super nerveux. Dans mon dos, j’entendais les journalistes faire des commentaires en direct sur mon âge. L’entraîneur (Rosario Martínez) m’a dit : “Peu importe que tu sois bon ou pas. L’important, c’est que tu coures.” J’ai joué dix minutes et j’ai fini épuisé. (Rires.) » Ses coéquipiers applaudissent. « C’était une surprise totale, parce qu’on n’avait partagé que quelques séances d’entraînement ensemble, rembobine Ignacio Pallas, le capitaine de Fénix lors de cette rencontre. Il était discret, très à l’écoute. Il avait un truc en plus et était clairement en avance sur son âge en matière de maturité. » Juan Álvez a aussi vu de près l’éclosion du phénomène : « S’il était stressé, ça ne s’est pas vu, il est entré sur la pelouse comme s’il avait déjà joué plusieurs matchs avec nous », s’étonne le latéral droit, toujours titulaire au CAF à 39 balais.

Reculer pour mieux avancer

La trajectoire n’est pas linéaire pour autant. Après ce passage dans la lumière, Ugarte retourne bosser à l’ombre, avec les gars de son âge : il ne dispute pas un seul match avec l’équipe première l’année suivante, et se contente d’un coucou de 45 minutes en 2018. À quelques jours de ses 17 ans, il est pourtant convoqué à l’arrache en sélection U20. Fabián Coito, le coach de cette génération, n’en a rien oublié : « On l’a appelé le jour même de notre voyage au Chili, où on devait jouer deux matchs amicaux, en raison d’un forfait de dernière minute. Et pourtant, ça a été le premier à arriver au centre d’entraînement. Ça dit beaucoup de sa motivation et de son sérieux. »

On l’a appelé le jour même de notre voyage au Chili, en raison d’un forfait de dernière minute. Et pourtant, ça a été le premier à arriver au centre d’entraînement. Ça dit beaucoup de sa motivation et de son sérieux.

Fabián Coito

Souvent utilisé comme enganche (meneur avancé, derrière les attaquants) par ses ex-entraîneurs, Ugarte découvre alors le poste qui va lui permettre de briller au plus haut niveau : milieu positionné juste devant la défense, seul ou dans un double pivot. Un recul que l’intéressé accueille « positivement », persuadé de pouvoir ainsi satisfaire son « besoin de toucher des ballons et d’en récupérer »« Il s’est très vite adapté », relate Coito, bluffé par « le physique, la relance, la lecture du jeu et l’implication aussi bien offensive que défensive » de sa trouvaille. Bref, Ugarte est déjà « un joueur complet » et, ça ne mange pas de pain, un type « humble, bon camarade, brillant humainement ». Ce qui ne convainc toutefois pas l’encadrement technique de l’emmener au Mondial 2019 de la catégorie, disputé en Pologne. « Un coup dur », admet Ugarte quatre ans plus tard.

Le coup de fil qui change tout

Il l’ignore encore, mais sa carrière va bientôt basculer. Entraîneur de Fénix à cette époque, Juan Ramón Carrasco raconte : « Durant la présaison (en 2019), je reçois un appel de Jorge Chijane (alors agent d’Ugarte, et frère d’un dirigeant du club), qui me dit, gêné, en s’excusant : “Écoute Juan, je vais te demander un service. Est-ce que tu pourrais prendre Manu avec toi aux entraînements ? Il est un peu dans le dur en ce moment parce qu’il n’a pas été pris en sélection. Ça pourrait lui remonter un peu le moral.” À ce moment, je ne l’avais jamais vu jouer, car il évoluait dans la troisième équipe du club. J’ai dit : “OK, pas de souci”, car je regarde seulement le talent d’un joueur, jamais son CV. »

Réputé pour ses prises de parole à la tronçonneuse et la haute idée qu’il possède de lui-même, Carrasco est aussi un entraîneur adepte du football offensif (qui se compare lui-même à Marcelo Bielsa), habitué à lancer des jeunes. « J’ai aimé ce que je voyais durant les séances, donc je l’ai mis titulaire (à 17 ans) à la place de Raúl Ferro, une légende du club, et ça n’a pas vraiment plu aux supporters, nargue-t-il. Mais il a été bon et n’a plus jamais perdu sa place ensuite. » Plus que les qualités d’un « milieu qui savait absolument tout faire », le technicien retient « la constante volonté d’apprendre » d’Ugarte. « Parfois, développe-t-il, les jeunes divaguent, se concentrent sur le téléphone, les réseaux sociaux, leur coupe de cheveux ou les soirées… Manuel était une exception, il était très attentif aux consignes et voulait toujours s’améliorer. Il travaillait énormément. »

Gustavo Ferreyra Briozzo, qui a eu le milieu sous ses ordres en sélections U20 puis U23, acquiesce : « Cette humilité de ne pas se reposer sur son seul talent, ça vient de son éducation et de son entourage, souligne-t-il. C’est vraiment une belle personne, quelqu’un de très mature et d’intelligent. Malgré la déception de ne pas avoir été pris pour le Mondial, je me souviens qu’il était quand même venu nous saluer avant notre départ, ce qui est peu commun dans ce genre de situation. »

Sur le plan comptable

« Il a relevé la tête, car Carrasco lui a donné la confiance dont il avait besoin », estime Miguel Ugarte, persuadé que son fils est « touché par une baguette magique, parce qu’il répond toujours présent dans les moments importants ». Avec Fénix, il est inarrêtable, dispute 55 matchs en deux saisons, devient capitaine à 18 ans, entre dans le giron du puissant agent portugais Jorge Mendes, suscite l’intérêt de Nacional et Peñarol, ainsi que de clubs allemands et néerlandais. Il a soufflé ses 19 bougies, pense encore étudier l’économie à l’université, projette de devenir comptable, mais doit faire une croix sur ses ambitions scolaires.

La décision ne s’est pas faite sur une question de salaire. Il s’est senti valorisé par le club : Nasser al-Khelaïfi l’a appelé en personne, Luis Campos a été remarquable humainement, lui a montré qu’il le voulait vraiment… Ce sont des choses qui comptent.

L’entourage d’Ugarte

Fin 2020, quelques semaines après avoir joué un huitième de finale de Copa Sudamericana (la Ligue Europa sud-américaine), il quitte son pays pour rejoindre Famalicão (Portugal), où il reste à peine six mois avant de s’engager au Sporting. Son talent saute vite aux yeux des cadors européens, alertés par les performances du milieu en sélection (huit capes) et en Ligue des champions : Manchester United, Liverpool, Chelsea et le PSG lui font la cour. Finalement, Paris l’emporte après un bras de fer avec le club londonien et paye le montant de sa clause libératoire (60 millions d’euros). Le transfert est déjà bouclé, comme ceux d’Asensio, Skriniar, Ndour et Lucas Hernandez, mais la présentation officielle ne se fera qu’une fois que le dossier concernant le nouveau coach sera tranché. « La décision ne s’est pas faite sur une question de salaire, comme on a pu le lire dans certains médias, précise son entourage. Il s’est senti valorisé par le club : Nasser al-Khelaïfi l’a appelé en personne, Luis Campos a été remarquable humainement, lui a montré qu’il le voulait vraiment… Ce sont des choses qui comptent, comme le projet qu’on lui a proposé. »

« Pas encore sûr de bien réaliser » ce qui lui arrive, Ugarte va entrer dans un nouveau monde. « Je suis sûr qu’il va réussir à s’imposer, car sa mentalité est irréprochable et qu’il s’est adapté partout où il a joué, présage Álvaro Chijane, le secrétaire général du CA Fénix. Les supporters du PSG ne le connaissent peut-être pas encore, mais ils vont vite l’adopter. » Pendant ses vacances au pays, toujours entouré de ses potes d’enfance et de sa famille, l’Uruguayen a commencé à prendre des cours de français : ça ne suffira pas à se mettre le Parc des Princes dans la poche, mais ça peut aider.

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Par Thomas Broggini, à Montevideo

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