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Manuel Neuer cuvée 2016, ça vaut quoi ?
Il y a deux ans, Manuel Neuer avait été cette machine froide et implacable qui avait déjà douché les espoirs des Bleus en quarts de finale de Coupe du monde. Depuis, l'emballement médiatique et populaire autour de lui est un peu retombé. Mais Neuer reste un ogre, et peut-être même plus qu'il y a deux ans.
Cela fait plus d’une heure et quart que les Français n’y arrivent pas. Depuis cette satanée tête de Mats Hummels à la 13e minute, les Bleus se démènent pour reprendre la main sur ce quart de finale de Coupe du monde, en vain. Dans les arrêts de jeu de la deuxième mi-temps, les coéquipiers de Lloris ont déjà la main sur la poignée de la porte de sortie quand, soudain, Karim Benzema leur fait signe de ne pas faire un pas de plus. À la 94e minute, il vient de récupérer un ballon dans la surface allemande sur le côté gauche et se verrait bien offrir une prolongation à l’équipe de France. Seul face à Neuer, il tabasse le ballon du pied gauche à cinq mètres du but, sans succès. « Poteau ! Poteau… La transversale !!! » estime Christian Jeanpierre, persuadé que la balle a tapé un des montants. « Transversale, transversale » , lui indique Lizarazu, sûr de lui au point de répéter : « Karim Benzema qui trouve la transversale » quelques secondes plus tard, au moment du ralenti. Les images sont pourtant claires, Benzema n’a touché ni le poteau ni la transversale, mais la main de Manuel Neuer, irréel de sérénité sur cet arrêt, et qui avait juste levé le bras pour stopper le tir. Là où d’autres gardiens – sans compter ceux qui auraient pris le but – auraient rendu spectaculaire la parade en sautant, en surjouant la claquette, et en retombant à terre en se roulant, Neuer n’a pas bronché. Une simple main levée, sans bouger de ses appuis, qui voulait tout bonnement dire « nein » .
La révolution
À l’époque, Manuel Neuer était l’une des attractions principales de la compétition. Un gardien sur lequel on était en train de dire et d’écrire tout ce qui pouvait être dit et écrit sur un gardien. Les termes de « révolution du poste » valdinguaient ici et là. Avant son quart de finale contre l’équipe de France, Neuer avait déjà laissé une planète entière les yeux écarquillés avec son match face à l’Algérie, ses ballons joués au milieu de terrain, et ses tacles à 30 mètres de sa ligne. À la fin du Mondial, certaines statistiques laissaient pantois. Neuer avait parcouru plus de terrain que Mario Götze, il avait touché 59 ballons dont 21 hors de sa surface face à l’Algérie. « Neuer ? C’est certainement le gardien le plus complet au monde » , jugeait Lloris avant le quart de finale de 2014, avant que le monde entier ne chante la même chanson en couronnant Neuer « meilleur gardien du monde » à peine la fin du Mondial sifflée. « Ai-je déjà vu un si bon libéro ? Peut-être Beckenbauer, à sa grande époque » , riait l’entraîneur des gardiens allemands, Andreas Köpke, en ne blaguant qu’à moitié. Et si le très grand public, habituellement peu concerné par les gardiens de but, découvrait Neuer, certains observateurs clamaient haut et fort que ça faisait au moins cinq ans qu’il était le meilleur à son poste. La traditionnelle foire du « je l’avais dit avant tout le monde » , et qui semblait laisser insensible le principal intéressé. Car après sa Coupe du monde réussie, Neuer avait continué son bonhomme de chemin sans la ramener, sans devenir une de ces stars bruyantes du football, et en gardant au passage un niveau stratosphérique.
Pas de slip, pas de Ballon d’or
Le gardien à la carrure de métallurgiste – 1m93, 92kg – s’était tout de même permis une petite provocation au moment du Ballon d’or 2014, qui aurait très bien pu lui revenir, en déclarant non sans justesse qu’ « après les matchs, on montre toujours les buts et les passes décisives. Les jolis arrêts, on ne s’en souvient jamais. Je suis juste gardien de but, je ne suis pas l’ambassadeur d’une marque ou un mannequin qui pose en sous-vêtements. » Sur l’année civile 2014, Neuer avait assuré 24 clean sheets rien qu’avec le Bayern, avec 45 ballons touchés par match en moyenne. Pour comparer, en ayant joué seulement deux matchs de plus que Courtois, Neuer avait touché 750 ballons de plus. Depuis, les chiffres le placent toujours au-dessus de la mêlée. Depuis 2014, en sélection, Manuel Neuer a enchaîné deux saisons en tournant globalement à 90% de tirs arrêtés, et 80% de passes réussies. « Ce qui est bien avec Manuel, c’est qu’il continue à vouloir progresser » , nous informait Köpke il y a peu, histoire de faire flipper les attaquants. En club, sous l’impulsion des conseils de Guardiola, Neuer joue encore plus de ballons hors de sa surface qu’il y a deux ans. Cette saison, il sortait 81% des tirs adverses en BuLi – 10% de plus de Lloris ou De Gea –, touchait 41 ballons et effectuait 33 passes par match. Il a aussi fêté son 300e match en championnat, et son 143e clean sheet. Un record, évidemment.
Oliv’ n’a pas peur
Et si ses qualifications pour l’Euro avaient été en dessous de son rendement habituel avec 2 petits clean sheets en 9 matchs et 65% de tirs stoppés, le robot Neuer semble avoir huilé ses circuits depuis le 10 juin dernier. Depuis le début de l’Euro, le portier allemand, c’est 83% de passes réussies, 8 tirs repoussés, un seul but encaissé et sur penalty, 14 sorties réussies sur 14, le tout en 499 minutes passées sur le terrain. En outre, les Allemands sont largement leaders du classement des équipes qui passent le plus vers leur propre surface de réparation. Et s’il n’a pas été sollicité plusieurs fois par match comme certains de ses collègues, le grand Manu a répondu présent à chaque fois. Les frappes ukrainiennes, la tête de Juraj Kucka, deux pénos italiens lors de la séance de samedi dernier, tout a été sorti. Si Neuer est moins sur le devant de la scène qu’au moment de la Coupe du monde 2014, cela n’a donc rien à voir avec ses performances. Et c’est sans doute cruel pour lui, mais le public s’est simplement habitué et exige de lui qu’il conserve son niveau. Un autre progrès, non quantifiable celui-là, que Neuer semble avoir fait en deux ans : la crainte qu’il inspire désormais chez presque chaque attaquant. Personnalité au charisme discret, mais indéniable, gardien à l’aura encore plus immense qu’auparavant, Manuel sait faire sentir mieux que n’importe quel autre gardien que la surface est son royaume, et qu’y pénétrer est risqué. Et pourtant, en bon Gaulois résistant encore et toujours, Olivier Giroud n’a pas peur : « Neuer n’est pas un mur infranchissable. » « Neuer ou pas, j’m’en bats les couilles » , aurait pu ajouter Makelele.
Par Alexandre Doskov