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Manuel Estiarte, du water-polo à Guardiola
Bras droit de Guardiola, Manuel Estiarte se charge de la préparation mentale des ouailles de Pep. Mais que vient faire une légende du water-polo sur le banc de Manchester City ?
Tous les quatre étés, les Jeux olympiques offrent un spectacle saisissant. Celui de captiver le spectateur un mois durant, devant des sports à la popularité relative. Parmi eux, le water-polo. Du « handball-boxe aquatique », pratiqué à la perfection par Manuel Estiarte. C’est bien simple, entre 1980 et 2000, El delfín goleador (« Le dauphin buteur », en VF) est élu sept fois meilleur joueur du monde (1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992). Un monstre du sport espagnol, qui aura pris part à six JO, en glanant l’or à Atlanta en 1996 et en devenant porte-drapeau national à Sydney en 2000. Mais que vient faire cette légende dans le football ? La réponse est simple : Pep Guardiola. À 61 ans, l’ancien poloïste est en effet l’un des bras droits du Josep, son plus fidèle aussi, qu’il suit sur chacun de ses bancs de touche depuis 2008 et son entame de carrière derrière la ligne blanche.
Since 1991
Malgré les apparences, la nouvelle vie de Manuel Estiarte n’a rien d’un emploi fictif. Si en français, sa fonction semble floue, de l’autre côté de la Manche, elle est limpide : personal decision-making assistant. C’est-à-dire un « conseiller aux décisions à prendre », soit un garde-fou, permettant à Pep d’être conforté dans ses idées ou d’en être dissuadé. En déclinaison, le champion de water-polo s’occupe également des joueurs, par divers échanges et discussions, visant à les dégager de toute pression inutile. Il faut dire que le sexagénaire en a vu de belles, mais aussi des tragiques. Afin de trouver l’origine de cette curieuse relation, il faut remonter à l’aube des années 1990.
En 1991, Josep Guardiola Sala est un alumno de 20 ans, fraîchement diplômé de la Masia, commençant son cursus professionnel au sein du grand FC Barcelone. Déjà fasciné par la méthode Johan Cruyff, le milieu récupérateur se renseigne également sur la préparation invisible, physique et mentale. Ainsi, quand son corps connaît ses premiers pépins, il décide de devenir un pensionnaire régulier de la Piscina Municipal de Montjuïc, tout juste rénovée pour les JO de la ville prévus un an plus tard. Les séances de natation le remettent sur pied, lui font découvrir un monde loin du football et lui donnent l’occasion d’étaler son bavardage à outrance. L’une des victimes se nomme bien évidemment Manel Estiarte Duocastella, dit « Manuel ». En fin de carrière, le poloïste est revenu préparer ces Jeux à domicile, au Club Natació Catalunya, après cinq ans d’exil en Italie. La relation se noue, Estiarte devient un confident et, surtout, diffuse sa force de caractère à un Pep encore trop tendre.
Bouclier mental
Cette solidité psychologique est en effet l’élément principal de la fidélité liant Guardiola et son grand frère d’adoption. Celle qui l’amènera à le contacter en 2008 pour venir renforcer son premier staff constitué au Barça. Estiarte le suivra au Bayern Munich et à Manchester City. Une motivation pourtant née de drames. En 1985, Rosa Estiarte, grand espoir de la natation espagnole et sœur aînée de Manuel, met fin à ses jours, sous ses yeux. « Rosa m’a regardé tendrement dans les yeux, s’est retournée, et s’est ruée vers la fenêtre de notre appartement. Quand elle s’est jetée, je n’ai rien pu faire, il était trop tard… » Les mots du frangin d’alors résonnent cruellement dans les colonnes d’ABC, l’un des premiers médias auxquels il accepta de se confier sur cet épisode inqualifiable, dix ans après avoir couché ses pensées dans son autobiographie, Todos mis hermanos (Tous mes frères, 1999).
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La vie bouleversée pour toujours, Estiarte se lance à corps perdu dans son sport. Au point d’en devenir une bête insubmersible. Le préparateur mental était né et Guardiola ne le lâchera plus jamais. « Je ne sais pas si les anges gardiens existent, signera Pep, en préface de la fameuse autobiographie de son mentor. Mais s’il fallait les personnifier, je dirais que tu en es un, Manuel. » Ses premiers « services », Manuel les lui rendra au début des années 2000, en le soutenant au maximum, tandis que sa fin de carrière s’écrit en Italie (Brescia, Roma) et que les accusations de dopage écornent sa réputation. Indissociables depuis leurs retraites d’athlète, les deux grandes gueules vont même, côte à côte, vivre leur ultime chagrin éveilleur. Le 11 mars 2006, quelques mois avant de collaborer au Barça, Jesús Rollán, ancien coéquipier d’Estiarte, se tue en chutant du balcon de son établissement psychiatrique. Champion à la dérive, devenu toxicomane, Rollán a erré comme une âme en peine jusqu’à la fin. Et si les circonstances de cette nouvelle tragédie n’ont jamais été éclaircies, elles bouclent ce récit commun fait de réussites et de traumatismes. Viendra donc le Bayern, et aujourd’hui Manchester City, trente-deux ans après leur rencontre, avec un objectif fusionnel. À la quête d’une première Ligue des champions, les Skyblues pourront en effet compter sur leur génie de coach pour gesticuler tactiquement et son homme de l’ombre pour les blinder mentalement. Haaland et consorts n’ont pas peur de grand monde – demandez au Bayern Munich, giflé mardi dernier en quarts de finale allers – et encore moins avec un garant pour les épauler. Car souvent, le résultat ne se joue pas sur le terrain, mais dans les têtes.
Par Adel Bentaha