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Manuel Chiche : « Le Parasite de l’OM ? Grégory Sertic »
Manuel Chiche est un homme heureux. Ami de longue date de Bong Joon-Ho et patron de la société de distribution The Jokers chargée de la diffusion de Parasite en France, il était hier soir sur la scène des Césars pour recevoir au nom du réalisateur sud-coréen la statuette dorée du Meilleur film étranger. Et placer sa meilleure dédicace à l'OM, devant un parterre Pleyel qui ne s'y attendait pas.
Comment vous êtes-vous retrouvé sur la scène des Césars, à recevoir le César du meilleur film étranger à la place de Bong Joon-Oh ? C’est qui, Manuel Chiche ? Je suis un mec né à Marseille, le 26 décembre 1964 dans le quartier de La Pauline derrière le stade Vélodrome. J’y ai grandi jusqu’à mes 21 ans, et je suis venu finir mes études de cinéma à Paris. Je suis distributeur de films, et Bong Joon-Oh est quelqu’un qu’on connait et qu’on aime profondément depuis très longtemps. On avait eu beaucoup de rendez-vous manqués avec lui, notamment sur Memories of Murder. On s’est vraiment découvert autour de la promotion de Snowpiercer, et apprécié je crois humainement.
On l’a accompagné sur Okja au festival de Cannes, pour affronter un peu toute cette tempête de merde autour du fait que c’était un film Netflix. Il m’avait dit : « Ne t’inquiètes pas, le prochain film je le fais avec toi. » Il a tenu parole, Parasiten’a été présenté à personne d’autre. On l’a fait, et il s’est passé ce qu’il s’est passé. Pour une petite boîte de quatre salariés comme nous, c’était super cool de se retrouver avec la Palme d’Or puis l’Oscar avec un réalisateur qui est quand même le mec le plus cool de la Terre, quoi. Mais là, Bong était juste cramé physiquement. Il m’a dit : « Vas-y, au cas où on gagne » , et fait ce petit message filmé par un pote qui était à Séoul à ce moment-là. Et puis, j’ai dû m’y coller.
Manuel Chiche, producteur français pour #Parasite qui dédicace le #Cesar2020 du meilleur film étranger à la #TeamOM ?? Film à voir absolument ! ?? pic.twitter.com/EdL5WED80X
— Maestro | YT ? (@ilmaestrofut) February 29, 2020
Comment vous est venue l’idée de dédier ce César aux supporters de l’OM, vous y aviez pensé avant ?En fait, je m’étais dit : « Putain c’est sinistre comme soirée, comment est-ce que je place des trucs qui me font plaisir ? »
Si on gagnait, il fallait que j’en place une sur Marseille. Je trouvais ça fun, de donner un petit peu de mon moment de gloire personnel et très éphémère à ma ville. J’avais toute ma famille, mes potes qui regardaient. Ça m’a fait plaisir, d’autant plus que j’y suis la semaine prochaine pour OM-Amiens.
Est-ce qu’une fois sur scène, on ne se dit pas que l’on s’apprête à faire une connerie ?Si. Mais en même temps, quand vous y êtes, vous vous dites : « J’ai dit que je le ferai, je vais le faire. » En plus, c’est assez cool de le faire à Paris en pleine salle Pleyel. Raison pour laquelle je préviens avant que je vais sûrement me faire siffler. Je n’en n’avais rien à foutre, de toute façon. Et puis, ils n’ont pas tellement sifflé. Les supporters de l’OM se planquent un peu dans le milieu, mais il y en a pas mal qui sont passés me voir en sortant. « Bravo, c’est cool ! Allez l’OM ! » Je trouvais ça plutôt drôle, au lieu d’aller régler des comptes sur scène…
C’est vrai que c’était une soirée assez lourde…Oui. Enfin, vous avez surtout dû vous faire chier. C’est une caisse de résonance pour passer des messages donc les gens sont à la TV, ils le font…
En plus, vous vous prenez la musique au moment où vous commencer à évoquer l’OM. Ça ne vous a pas déstabilisé ?Ça m’a saoulé, j’étais sûr qu’ils allaient faire ça. C’est pour ça que je leur ai demandé d’arrêter, même s’ils ne l’ont pas fait. Mais j’ai essayé de tenir jusqu’à la fin de ce que je voulais dire. Et puis après, je suis allé boire un coup. Mais pas au Fouquet’s, parce que ça ça m’aurait cassé les couilles.
Vous dites dans votre discours qu’ « une société uniquement construite sur la course au profit et la matraque, c’est quand même pas terrible » . C’est un peu la direction que prend l’OM actuel. Le monde du foot d’aujourd’hui est un monde de trading. On achète, on vend, on fait perdurer les finances du club avec du trading de joueurs. Ça fait partie du mode opératoire, sur un sport qui a dérivé au profit de l’argent. Quand vous regardez les budgets de City, du PSG ou de Barcelone, c’est une aberration. Ce que j’aime bien dans ce que fait Eyraut à l’OM – et en même temps, il le fait pour des raisons économiques -, c’est de se focaliser un peu sur le centre de formation. Quand on voit un joueur aussi classe que Bouba Kamara, ça nous fait quand même quelque chose à nous qui disons depuis des années qu’on a un centre de formation de merde.
Vous avez déniché et distribué des chefs-d’oeuvre comme Old Boy, Mademoiselle, Drive, The Neon Demon, Blue Ruin, et d’autres… Quasiment en même temps que la sortie salle de Parasite, sortait un autre de vos films, Dirty God, qui a fait 5000 entrées. Un flop absolu. Votre métier est un peu celui de directeur sportif, avec vos tops et vos flops au recrutement ? Totalement.
Je compare souvent mon boulot de petit patron de PME à celui d’un entraîneur de foot, en disant à mon équipe : « Chez nous, il n’y a aucun star. Par contre, il faut qu’on soit tous complémentaire et qu’on joue dans le même sens, si possible vers l’avant. » Et j’adore former des jeunes. J’ai 55 ans, l’équipe n’est composé que de trentenaires. Et là, on a deux joueurs qui arrivent qui ont 23 ans chacun. Quand vous êtes patron, vous avez envie de créer des emplois quand c’est jouable. De la même manière que de partager les richesses, quand il y en a. Sur Parasite, ils ont tous eu des supers primes quand on a gagné un peu d’argent alors qu’ils avaient leurs salaires bloqués depuis trois ans parce qu’on ne faisait pas une thune et qu’on avait des dettes.
Qui est le parasite de l’OM ?Ça s’est pas mal assaini, mais on va dire que le pauvre Sertic qui cire le banc depuis des plombes et à qui on a en gros interdit de jouer, bon, il doit avoir un peu les boules.
Vous avez parlé football avec Bong Joon-Ho, pendant les sessions de montage ? (Il se marre)J’étais avec eux en Corée du Sud pendant la Coupe du Monde, et ils me demandaient comment prononcer « Mbappé » .
Parce qu’en coréen, ils avaient tendance à dire « Mbaffé » . Je leur ai juste corrigé la prononciation et ils étaient tous époustouflés par ce gamin, qui je l’avoue est époustouflant. Ils trouvaient que c’était un espèce de personnage de dessin animé qui se faufilait entre tout le monde à une vitesse folle, avec un côté assez Olive et Tom.
Lors d’une séance de questions/réponses avec des internautes organisée sur Reddit, il a été demandé à Bong Joon-Ho quelle serait la composition de sa tablée rêvée pour un dîner avec cinq personnes, vivante ou décédées. Il a choisi Alfred Hitchcock, Yuna Kim, Martin Scorsese, Jimmy Page, et… Kevin De Bruyne, pour manger une paella. Savez-vous d’où lui vient cette passion pour lui ?
Peut-être qu’il trouve que c’est quelqu’un qui voit extrêmement bien le jeu, tout comme Hitchcock voyait extrêmement bien le jeu aussi. Je vous avoue qu’en dehors de Mbappé, ça n’a pas franchement été le sujet majeur. À part Bong qui parle à peu près bien anglais, c’était compliqué avec les autres. Mais je ne le crois pas supporter de Manchester City. Song Kang-ho s’intéresse beaucoup au foot. Lui, c’est un compagnon de jeu extraordinaire, entre les sessions de karaoké et la descente de bière. Il est juste magique, hyper enthousiaste, super cool. Je leur dit souvent : « Putain les gars, vous me faites tellement penser à mes potes de Marseille. Vous êtes les mêmes. »
Ils ont l’esprit marseillais ?Ah, moi je trouve. Plutôt à la cool, ils aiment bien faire la fête et se réunir entre potes. Moi, ça me rappelle mon enfance à Marseille… Bong m’a demandé de l’emmener visiter Marseille ensemble, donc on le fera un de ces quatre.
Vous avez un jour décrit l’esprit de Wild Side, votre ancienne société, comme « un esprit de joueurs de baby-foot » . Qu’est-ce que ça veut dire ? Quand on a démarré, on s’est acheté un baby comme toutes les petites boîtes qui démarrent et il y a beaucoup de monde qui sont passés dessus. Mads Mikkelsen, avec qui j’ai discuté il n’y a pas si longtemps, se rappelait très bien qu’on lui avait mis une branlée au baby-foot.
Comment vous avez accueilli le César pour Polanski ?J’étais sur le côté, juste à côté de la sortie. Adèle Haenel est passée devant moi, suivie de pas mal de personnes. C’est une prise de position, c’est son droit. Elle a tenu, elle va au bout et je n’ai pas grand-chose à dire.
Elle a le droit de chier sur Polanski, si c’est son point de vue. Après, les votants ont donné le César du meilleur réalisateur à Polanski et les votants sont aussi ceux qui sont dans la salle. Ils ont également assumé leur position. Il y avait tellement de tensions avant la cérémonie avec Terzian destitué, une présidente de remplacement… C’était surtout dehors que c’était le bordel. D’ailleurs, Bong Joon-Oh m’a envoyé un message en me disant : « Mais c’est quoi, cette vidéo ? Pourquoi ces gens se font gazer par les CRS ? » Ça faisait le tour des réseaux sociaux, en Corée. Je lui ai dit qu’on avait l’habitude maintenant, en France. C’est devenu une tradition.
Vous en avez pensé quoi ?(Il soupire) Je regarde ça d’un œil assez extérieur. Je suis un peu le mec qu’on invite parce que le réalisateur n’est pas là, vous savez. Je n’étais plus allé aux Césars depuis 2011, au moment où Drive avait été nommé au César du meilleur film étranger.
Quand j’avais vu qu’on ne l’avait pas, je m’étais cassé. Ça me semblait bizarre comme vote, avec tout le respect que j’ai pour le film d’Asghar Farhadi (Une Séparation, récompensé ce soir-là, ndlr), quand on écoutait l’applaudimètre dans la salle. J’étais hyper vexé, donc j’avais traîné dans les rues très énervé. Depuis, je n’ai plus jamais voté aux Césars. Mais j’ai vieilli depuis, je suis plus calme.
Question bête : Parasite passe ce samedi soir sur Canal+. Vous allez le regarder, ou vous faire le replay de la victoire d’hier de l’OM ? Le replay du match de l’OM, grave. Je n’ai pas vu les trois buts de Benedetto, donc pour une fois qu’il claque un triplé, je compte bien le revoir.
Propos recueillis par Théo Denmat